L’Espagne doit-elle demander pardon aux musulmans pour al Andalus ?


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L’histoire nous apprend qu’entre 711 et 1492, l’Espagne fut sous la domination des arabo-berbères, des troupes musulmanes qui conquérirent tout le maghreb, puis la péninsule ibérique dans sa totalité avant d’être arrêtés (un symbole pour la chrétienté) par un certain Charles Martel à Poitiers en 732.
(Je vous renvoie à l’un des rares ouvrages sérieux et objectif qui se réfère à ce fait historique: celui de Salah Guermiche, Abd er-Rahman contre Charles Martel : la véritable histoire de la bataille de Poitiers, (Perrin, 2010, 310 pages).
Une présence donc de près de huit siècles, des batailles mais aussi une coexistence qui a donné lieu à ce qu’on a appelé la civilisation d’al Andalus, celle des trois cultures, des trois religions, jusqu’à la chute du dernier royaume musulman de Granada en 1492, après un long processus historique appelé « reconquista ».
Plus de cinq sècles après, des voix (musulmanes) s’élèvent de-ci de-là pour revendiquer al Andalus et demander des « excuses » de l’Espagne…
Certaines véhémentes et violentes comme celles des « islamistes »: Daech et autres, qui revendiquent cet âge d’or, cet eldorado perdu pour une chimérique construction d’une « oumma » islamique.
Mais pas que…
Des musulmans dits « modérés », « pondérés », « plus avisés », demandent aussi leur « part » de cet héritage qui leur reviendrait de droit : celui de la mosquée de Córdoba, l’Alhambra de Granada ou la Giralda de Sevilla… et sollicitent même la repentance et une demande de pardon de la part de l’Espagne aux musulmans.
L’Espagne doit-elle donc demander pardon aux musulmans d’avoir « reconquis » et « rechristianisé » al Andalus?
On verrait alors Felipe VI demander pardon à Tariq Ibn Zyad comme me le proposait avec humour un ami espagnol…
Et par là-même l’Espagne doit-elle s’excuser de l’expulsion des morisques et des juifs? Et si l’on pousse le bouchon encore plus loin, le pardon également pour la conquête des amériques et la destruction des empires incas et aztèques…
Je me pose alors cette question toute simple: si l’on considère toutes ces conquêtes autour du « mare nostrum » d’un point de vue historique, de nombreux peuples, peuplades et civilisations pourraient revendiquer une part de leur patrimoine, leur mémoire historique, et demander pardon à « l’autre », celui du territoire conquis.
En effet, quid des présences des berbères, visigoths, égyptiens, perses, Byzance…
En Algérie, celle des phéniciens, des romains, des vandales, des byzantins, des arabes, des portugais, des espagnols, des ottomans, de la France …
Eduardo Manzano, chercheur au Csic, (Le Cnrs espagnol), nous rappelle qu’il s’agit d’une problématique assez compliquée : « Lorsque tu utilises le passé à l’intérieur d’une argumentation politique, il s’agit d’un niveau différent. Cela ne veut pas dire que c’est illégitime. Ça peut se faire. »
Si les gens considèrent que pour une certaine raison sérieuse (le racisme, l’esclavage et la traite des noirs aux Etats-unis, aux antilles…), on doit mobiliser le passé pour les problèmes politiques du présent, et si l’on arrive à un certain consensus pour cela, on peut le faire.
Quel est le problème?
C’est que l’histoire est remplie de torts et de griefs et on a tous à demander pardon pour une chose ou une autre: l’Espagne pourrait par exemple demander des excuses à la France pour les invasions napoléoniennes de 1808.
Il me semble que demander pardon pour tout, nous entraînerait dans une dynamique incontrôlable…
L’histoire nous apprend qu’il n’y a pas de bons et de méchants. Il y a des faits historiques basés sur l’économie, les expansions territoriales ou la géo-stratégie…
Il faut, tout simplement avoir une conscience historique qui mette en relief le fait que les puissances « colonialistes », comme l’Espagne, l’Angleterre, la France… ont construit leur pouvoir et leur richesse sur la base de l’exploitation.
Et au lieu de demander des gestes et un pardon « moral » au nom d’une religion, il serait plus intéressant, comme le souligne Eduardo Manzano, de « promouvoir des actions concrètes de coopération, d’aide et de développement qui seraient basés sur des principes de redistribution des richesses ».

Ce qui me semble fondamental, c’est qu’il y ait une conscience manifeste et établie sur les conséquences réelles et objectives de faits historiques déterminés.


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Lamine BENALLOU




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