À la recherche d'armes toujours plus impressionnantes et meurtrières pour choquer l'ennemi et remporter une victoire totale, les armées de la Grèce antique, de Carthage et même parfois de Rome se tournèrent tout naturellement vers les éléphants. Énormes, exotiques et capables d'effrayer un ennemi non préparé, ils semblaient être l'arme parfaite à une époque où les développements en matière de guerre étaient très limités. Malheureusement, aussi impressionnants qu'ils aient pu paraître sur le champ de bataille, le coût d'acquisition, d'entraînement et de transport de ces créatures, ainsi que leur imprévisibilité dans le feu de l'action, ont fait qu'ils ne furent utilisés que brièvement et pas particulièrement de manière très efficace dans les conflits méditerranéens


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Éléphant de guerre carthaginois


Deux espèces d'éléphants
Dans l'Antiquité, on connaissait deux éléphants: l'éléphant d'Asie (Elephas maximus) et l'éléphant de forêt d'Afrique (Loxodonta cyclotis). Ce dernier est aujourd'hui presque éteint et ne se trouve qu'en Gambie; il était plus petit que l'éléphant d'Afrique (Loxodonta africana), inconnu à l'époque, d'Afrique centrale et australe, ce qui explique pourquoi les auteurs anciens ont tous affirmé que l'éléphant indien était plus grand que l'éléphant africain. L'éléphant d'Asie fut connu en Europe à la suite des conquêtes d'Alexandre le Grand au IVe siècle av. JC et de son contact avec l'empire Mauryan d'Inde. Alexandre fut tellement impressionné par les éléphants de guerre de Poros, qui aurait eu un corps de 200 hommes lors de la bataille de l'Hydaspe en 326 av. JC, qu'il forma son propre corps d'éléphants de cérémonie. De nombreux successeurs d'Alexandre allèrent encore plus loin et les employèrent dans la bataille proprement dite. En effet, l'Empire séleucide veilla à contrôler exclusivement le trafic des éléphants d'Asie.
Acquisition et déploiement
Les éléphants n'étant disponibles qu'en Afrique ou en Asie, leur acquisition était coûteuse pour les puissances méditerranéennes. À cela s'ajoutait le coût de leur entretien et de l'entraînement de l'éléphant sauvage et de son cavalier pour former une sorte d'ordre de bataille sur le champ de bataille. Il y avait ensuite le problème de leur transport jusqu'à l'endroit où ils étaient nécessaires, bien que le général carthaginois Hannibal ait réussi à faire traverser les Alpes à au moins quelques-uns de ses 37 éléphants pour les amener en Italie en 218 av. JC.
Malgré le coût et les difficultés, et parce que dans l'Antiquité l'évolution de l'armement était extrêmement lente, l'attrait de ces grands animaux piétinant l'ennemi demeurait puissant. C'est pourquoi les commandants militaires n'hésitaient pas à compléter leurs armées par des éléphants. Le célèbre Séleucos Ier Nikator échangea des parties de son empire oriental pour obtenir 500 éléphants de l'empereur indien Chandragupta en 305 av. JC. Les armées des Antigonides et des Ptolémées disposaient également d'éléphants d'Asie, mais généralement en nombre bien moindre. Dans les années 270 av. JC, par exemple, Ptolémée II dressa des éléphants d'Afrique pour son armée et nomma même un haut fonctionnaire qui en était responsable, l'elephantarchos. Selon Plutarque, 475 éléphants participèrent à la bataille d'Ipsos en 301 av. JC pendant les guerres de succession. En 275 av. JC, lors d'une bataille connue sous le nom de "victoire des éléphants", Antigone Gonatas, bien qu'en infériorité numérique, utilisa 16 éléphants pour terrifier une armée de Galates et les obliger à battre en retraite.
CAPABLES DE JETER, ETRIPER ET ÉCRASER L'ENNEMI, LES ÉLÉPHANTS ÉTAIENT ÉGALEMENT UTILISÉS POUR CAUSER DES RAVAGES DANS LES OUVRAGES DÉFENSIFS ET LES FORTIFICATIONS.
Pyrrhus d'Épire fut le premier commandant à employer des éléphants en Europe lorsqu'il utilisa 20 éléphants asiatiques dans ses campagnes en Italie et en Sicile de 280 à 275 av. JC. Pyrrhus y remporta des victoires notables contre les Romains lors des batailles d'Héraclée (280 av. JC) et d'Asculum (279 av. JC).
Les Carthaginois furent les prochains grands utilisateurs. Capables d'acquérir facilement des éléphants d'Afrique dans la région de la forêt de l'Atlas, ils formèrent un corps d'éléphants dans les années 260 av. JC. Ces éléphants furent utilisés lors de la première et de la deuxième guerre punique contre Rome, au milieu et à la fin du IIIe siècle av. JC, notamment lors de la bataille du Tage, en Espagne, en 220 av. JC, et de la bataille de la Trébie, dans le nord de l'Italie, en 218 av. JC. Les éléphants apparaissent même sur les pièces carthaginoises de l'époque. Après la mort de son premier corps d'armée au cours de l'hiver 218/217 av. JC, Hannibal se procura des remplaçants et utilisa de nouveau des éléphants lors du siège de Capoue en 211 av. JC.


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Mosaïque romaine montrant le transport d'un éléphant


Les Romains ne semblent pas avoir été impressionnés par l'utilisation des éléphants et ne les employèrent que rarement et en petit nombre, généralement fournis par la Numidie. On raconte qu'ils auraient astucieusement lâché des cochons pour perturber les éléphants de Pyrrhus lors de la bataille de Maleventum en 275 av. JC. Plus célèbre encore, lors de la bataille de Zuma en 202 av. JC, le général romain Scipion l' Africain laissa les 80 éléphants d'Hannibal passer à travers les brèches pratiquées à dessein dans ses lignes d'infanterie, puis il leur fit faire demi-tour à l'aide de tambours et de trompettes pour les laisser causer des ravages dans les rangs ennemis. Les éléphants ne furent pas non plus d'un grand secours aux armées sénatoriales de Scipion et de Caton qui affrontèrent Jules César en Afrique du Nord lors de la bataille de Thapsus en 46 av. JC. Curieusement, les éléphants n'étaient pas non plus utilisés par les Romains pour le transport de marchandises lourdes.
Il existe un cas curieux où deux corps d'éléphants se rencontrèrent alors que chaque camp était composé de types différents. C'était à la bataille de Raphia (dans la péninsule du Sinaï) en 217 av. JC entre Ptolémée IV et Antiochos III. Le premier disposait de 73 éléphants d'Afrique contre 102 éléphants d'Asie pour le second. Les deux corps d'éléphants s'affrontèrent directement et les éléphants africains, de plus petite taille, cédèrent, même si Ptolémée remporta globalement la bataille. Après quelques siècles où les éléphants n'étaient plus en vogue, les Sasaniens de Perse relancèrent l'utilisation des éléphants de guerre, en alignant l'espèce indienne à partir du IIIe siècle de notre ère, mais surtout pour la logistique et pendant les sièges.
Armure et stratégies du champ de bataille
Les éléphants étaient revêtus pour la bataille d'une armure qui protégeait leur tête et parfois leur front. Un sac épais ou une couverture en cuir pouvait également être accroché sur le dos de l'éléphant pour protéger ses flancs. Des lames d'épée ou des pointes de fer étaient ajoutées aux défenses et des cloches étaient suspendues au corps pour faire le plus de bruit possible. Les successeurs d'Alexandre n'utilisaient les éléphants au combat qu'avec un cavalier (cornac) et peut-être un lancier. Le cavalier était crucial car il avait entraîné l'animal pendant des années et celui-ci n'obéissait qu'à ses ordres. Il contrôlait la direction de l'éléphant en exerçant une pression derrière les oreilles de l'animal avec ses orteils. Il avait également un ankush ou un bâton crochu à cet effet.


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Détail de sarcophage romain avec un éléphant


À partir des années 270, une tour légère (howdah ou thorakia) en bois et en cuir était attachée au grand éléphant d'Asie à l'aide de chaînes, et protégée par des boucliers suspendus sur les côtés. Elle était généralement occupée par un maximum de quatre lanceurs de javelots ou de missiles. Cependant, c'est l'éléphant lui-même qui était l'arme principale, utilisé comme une sorte de boule de démolition mobile. Avec une hauteur moyenne de 2,5 mètres, un poids d'environ 5 tonnes et une vitesse de trot pouvant atteindre 16 km/h, les éléphants pouvaient être des machines de destruction extrêmement efficaces. Comme le dit l'historien antique Ammien Marcellin, "l'esprit humain ne peut rien concevoir de plus terrible que leur bruit et leurs corps énormes" (Anglim, 132).
L'effet le plus important des éléphants sur le terrain était donc probablement d'ordre psychologique. Ces énormes bêtes auraient terrifié les hommes et les chevaux à la fois visuellement et oralement avec leurs barissements. Même l'odeur des éléphants pouvait pousser des chevaux non préparés à la débandade. En commençant la bataille en une simple ligne devant leurs propres troupes, ils pouvaient provoquer la panique de lignes de cavalerie indisciplinées et mal entraînées. Ils étaient également utilisés pour combattre les éléphants présents dans les rangs de l'adversaire. Capables de jeter, étriper et écraser l'ennemi, les éléphants étaient également utilisés pour causer des ravages dans les ouvrages défensifs et les fortifications, en abattant les murs avec leur front ou en les tirant avec leur trompe.
Bien entendu, les corps d'éléphants n'avaient pas tout pour eux. Tout d'abord, les soldats et les chevaux de cavalerie devaient s'entraîner à s'habituer à la vue, à l'odeur et au bruit des éléphants. Ensuite, ils constituaient évidemment de grandes cibles pour les tirs d'artillerie. Des fosses et des pics étaient préparés pour les piéger et, s'ils pouvaient s'approcher suffisamment, des hommes étaient chargés d'entraver les bêtes ou d'entailler leur trompe. Cette dernière éventualité était, en partie, évitée par le stationnement d'une petite équipe d'infanterie pour protéger les pattes de l'éléphant. Si l'éléphant était blessé, l'enfer pouvait se déchaîner car, imprévisibles dans le meilleur des cas, les éléphants blessés pouvaient littéralement devenir fous et causer d'énormes dommages aux deux camps. Si cela se produisait, le cavalier utilisait un pic métallique et un marteau pour percer le cerveau de l'éléphant et le tuer immédiatement.


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Détail d'une mosaïque d'éléphants du 6e siècle de notre ère


Conclusion
Une fois que la vue dévastatrice des éléphants de guerre devint plus courante sur les champs de bataille antiques, leur efficacité diminua car l'ennemi était mieux préparé et mieux équipé pour y faire face. En réalité, seule une poignée de batailles antiques furent décidées grâce à l'intervention des éléphants. Ce fut particulièrement le cas lorsque la guerre romaine se développa. Les troupes devinrent plus mobiles, les techniques de siège devinrent aussi courantes que les batailles ouvertes, et l'artillerie passa au premier plan. Plus tard, l'utilisation des éléphants se limita à des activités en temps de paix, comme les spectacles dans les arènes romaines et les cirques pour le divertissement du public ou comme complément impressionnant des processions publiques. En effet, la demande était telle qu'au Latium et à Constantinople, des troupeaux permanents étaient maintenus et que le désir insatiable d'éléphants sauvages fit pratiquement disparaître l'éléphant de forêt d'Afrique du Nord. À la fin de l'Empire romain, les éléphants étaient également offerts et reçus en cadeau pour améliorer les relations diplomatiques avec les États voisins.
 
Bibliographie
Anglim, S. Fighting Techniques of the Ancient World 3000 BCE-500CE. Amber Books, 2013.
Bagnall, R. et al. The Encyclopedia of Ancient History. Wiley-Blackwell, 2012
Campbell, B. et al. The Oxford Handbook of Warfare in the Classical World. Oxford University Press, 2013.
Chaniotis, A. War in the Hellenistic World. Wiley-Blackwell, 2016.
Hornblower, S. The Oxford Classical Dictionary. Oxford University Press, 2012.
Plutarch. The Age of Alexander. Penguin Classics, 2012.
 
 

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