Un changement de phase brutal de l'Univers pourrait expliquer la formation des trous noirs géants... et de la matière noire
Trois physiciens démontrent dans une étude que la formation des trous noirs supermassifs, qui reste à ce jour une énigme, pourrait avoir été rendue possible par une "transition de phase" brutale de l'Univers jeune, comparable à celle de l'eau sur Terre. Ce changement d'état soudain pourrait également être à l'origine d'un autre mystère cosmique : la matière noire.

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Une simulation informatique d'un trou noir supermassif au cœur d'une galaxie. À ce jour, la formation de tels objets, les plus massifs de tout l'Univers, reste incomprise par les chercheurs.

Parmi la longue liste des mystères de l’Univers, celui de la formation des trous noirs supermassifs. La façon dont sont apparus ces objets monstrueux, avec des masses pouvant atteindre jusqu’à 40 milliards de fois celle du Soleil, reste en effet incomprise, même si de nombreux groupes de recherches s’activent à échafauder des scénarios. La problématique est la suivante : comment de tels colosses, dont on sait que les plus anciens existaient à peine 800 millions d’années après le Big Bang, ont-ils eu le temps de se former – et donc d’agréger autant de matière – en si peu de temps ?

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La matière noire comme "ingrédient" fondamental
Régulièrement, des théories font l’objet de publications dans des revues à comité de lecture, permettant d’alimenter les réflexions des physiciens et cosmologistes du monde entier. En décembre 2020, un astrophysicien de l’Université de La Plata, en Argentine, formulait par exemple dans une étude l’hypothèse selon laquelle des "grumeaux" de matière noire, présents en plus ou moins grand nombre en certains endroits, avaient pu contribuer à la croissance extraordinairement rapide des trous noirs supermassifs. Le chercheur avait démontré que des noyaux de galaxies constitués de matière noire et entourés d'un halo de matière noire diluée pouvaient être stables et donc théoriquement exister. Partant de ce principe, le centre de ces structures aurait pu devenir si concentré qu'il se serait effondré en trous noirs gigantesques une fois un seuil critique de densité atteint, faisant de ces objets les tout premiers habitants des galaxies.
Exposée dans une étude parue le 23 février 2022 dans les Physical Review Letters, une autre théorie vient renforcer cet hypothétique lien entre trous noirs primordiaux – du nom donné aux trous noirs que l’on pense s’être formés à l’époque de l’Univers primordial - et matière noire. Trois physiciens du Laboratoire national de Brookhaven (BNL), dans l’État de New York, avancent cette fois le fait que l’Univers primitif aurait connu une transformation rapide et brutale qui aurait entraîné l’effondrement de ses régions les plus denses en trous noirs. Cette transformation, Hooman Davoudiasl, Peter B. Denton et Julia Gehrlein la nomment "transition de phase cosmologique". Pour bien comprendre leur argumentation, il est toutefois nécessaire de revenir en arrière.
Comprendre l'invisible
Durant ses premiers instants, l'Univers était incommensurablement dense et chaud. Un point infime où régnait une température 100.000 fois supérieure à celle du centre du Soleil. La matière, composée de particules élémentaires qui n'avaient aucun lien entre elles, était alors sans structure, comparable à une soupe. Puis l’Univers, en expansion, s’est progressivement refroidi, les quarks et les gluons se condensant pour former des particules nommées hadrons (soient les protons et les neutrons). Les premiers atomes sont apparus au bout de 380.000 ans ; les étoiles et les galaxies, après 200 millions d'années. Parce qu’elle implique des particules connues qui interagissent entre elles, les physiciens ont pu retracer cette histoire. Une histoire dans laquelle les trous noirs supermassifs ont bien du mal à trouver leur place. "Comment retracer les événements liés à des particules dont l’existence nous échappe encore et qui se comportent différemment ?", se demande Hooman Davoudiasl, interrogé par Sciences et Avenir. En imaginant, et en vérifiant, par des calculs, la plausibilité d’un scénario.
"S'il existait bien un 'secteur sombre' avec de la matière noire ultralégère, l'Univers primitif pourrait avoir réuni les conditions idéales pour une forme très efficace d'effondrement."
Nous savons que la matière baryonique, ou visible, ne compte que pour 5% de la matière constitutive de l'Univers. Les 95% restants seraient faits d’énergie sombre et de matière noire, à hauteur respective de 68% et 27%. Parce qu’elle serait fondamentalement invisible et qu’elle n’interagirait que faiblement, voire pas du tout, avec les atomes ordinaires, la matière noire reste pour l’instant un mystère. Pour autant, son existence a été déduite de manière convaincante à partir de ses effets gravitationnels. Aussi, l’équipe d’Hooman Davoudiasl est partie du point de départ suivant : si la quasi-totalité de la matière ordinaire est composée d'électrons et de deux types de quarks, ces particules ne représentent qu'une partie d'un secteur beaucoup plus vaste d'autres particules visibles. "Il y a donc des chances que la matière noire, même si elle n’est elle-même composée que d’un seul type de particules, fasse partie intégrante de toute une gamme de particules encore inconnues, que nous appelons 'secteur sombre'", explique Hooman Davoudiasl.
Un changement violent dans le "secteur sombre"
Ainsi, les chercheurs en ont déduit que l’existence d’un "secteur sombre" dont la structure ne serait pas différente de celle de notre secteur visible pourrait expliquer la formation des trous noirs supermassifs. "La fréquence des interactions entre les particules connues suggère que la matière telle que nous la connaissons ne se serait pas effondrée en trous noirs de manière très efficace", a déclaré Peter B. Denton dans un communiqué. "Mais s'il existait bien un secteur sombre avec de la matière noire ultralégère, l'Univers primitif pourrait avoir réuni les conditions idéales pour une forme très efficace d'effondrement."
Ces conditions idéales, justement, auraient été permises grâce à cette transition de phase, comparable à la transformation familière de l'eau bouillante en vapeur. "Mais en sens inverse et à l'échelle de l'Univers", précise Hooman Davoudiasl. Cette mutation soudaine et rapide aurait ainsi rendu plus probable l'effondrement des régions les plus denses de l'Univers primitif en trous noirs. Comme l'eau se comporte différemment avant et après la transition de phase, il en aurait été même pour les particules présentes aux origines. Dès lors, c'est bien cette mutation rapide qui serait la clé de la formation des trous noirs supermassifs.
Mais leur démonstration va plus loin : selon eux, cette transition de phase cosmologique pourrait également avoir permis la formation de particules de matière noire ultra-légères - des particules dont la masse serait infiniment plus légère que celle d'un neutrino, la particule la plus légère connue à ce jour. "Un tel événement aurait pu fournir les bons ingrédients", complète Hooman Davoudiasl, avant de qualifier la mystérieuse croissance des trous noirs supermassifs et la matière noire de "deux faces probables d'une même pièce". Selon le trio de scientifiques, si d'autres groupes ont déjà étudié les implications de ce type de transition, leur étude est la première à établir un lien entre trous noirs supermassifs et matière noire de cette manière.
Des conséquences encore observables
Après la démonstration théorique viendra forcément le temps de la preuve empirique. Bonne nouvelle : malgré les quelque 13 milliards d'années qui nous séparent de cet événement, il serait possible d'observer des ondes gravitationnelles susceptibles d'avoir été créées par un événement aussi violent. "Étant donné que la transition de phase et la formation des trous noirs supermassifs se seraient produites partout dans l'Univers, les ondes gravitationnelles auraient été émises en de nombreux endroits, dans de nombreuses directions", ajoute le physicien.
"Bien sûr, un tel signal se dilue avec le temps, mais nos calculs indiquent que ces ondes ont une forme caractéristique qui nous permet de faire une prédiction pour ce signal et sa gamme de fréquence attendue." Par ailleurs, le signal d'ondes gravitationnelles résiduel d'un événement cosmique aussi tumultueux pourrait tout à fait être à la portée des prochaines expériences de synchronisation des pulsars.






https://www.sciencesetavenir.fr/espace/astrophysique/un-changement-de-phase-brutal-de-l-univers-pourrait-expliquer-la-formation-des-trous-noirs-geants-et-de-la-matiere-noire_162393?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR2OSojB4VbMwfX9MlVWFrBVMlRwiGL38AZ90Yvo9Brn9FvC84yFcJUup6c#Echobox=1648216256