Avril 80. La diaspora partie prenante. Interview avec Rabah Ait Messaoud
?1/ Comment sont parvenues et comment ont été perçues les premières informations du printemps amazighe
Les connexions entre la Kabylie et la diaspora, même si elles ont connu des fluctuations en fonction des périodes, ont toujours existé. Depuis l’époque de l’Académie berbère, en passant par le Groupes d’études berbères de Vincennes, la coopérative Imedyazen, jusqu’à ce jour les communications Algérie-France ont été maintenues. Ce qui fait qu’en avril 80 les informations nous arrivaient du pays à travers des militants aguerris qui nous tenaient au courant par des conversations téléphoniques ; certains qui arrivaient à sortir ramenaient avec eux des documents. Dans la journée même du 20 avril, nous savions sur quels sites l’assaut avait été donné et quels étaient les premières arrestations.
Par la suite des journaux comme Libération, qui n’étaient pas encore engagés dans les narrations tendancieuses des années 90, donnaient aussi des nouvelles fiables sur ce qui se passait dans les travées du pouvoir algérien.
C’était un étrange moment. Nous étions naturellement inquiets pour nos camarades et amis mais dès que l’on a appris qu’il n’y avait pas eu de décès, un sentiment de fierté et d’optimisme s’installa. Les militants en Algérie défendaient la culture et la langue amazigh, mais aussi la démocratie. Nous pressentions déjà que quelque chose d’inédit venait de se mettre en mouvement.
?2/ Quelles ont été les premières réactions des militants déjà organisés ? Comment a agi l’Amicale des Algériens en Europe
Les militants déjà organisés ont créé le comité de défense des droits culturels en Algérie, le CDDCA pour alerter l’opinion internationale sur le sort de nos amis et donner un maximum de visibilité à un combat mal connu en France car conduit par une génération étrangère aux médias et aux partis politiques. Français. C’est ainsi que les animateurs de ce comité ont appelé à plusieurs manifestations. En fait, il y avait déjà un premier regroupement silencieux organisé dès le 7 avril devant l’ambassade d’Algérie, en même temps que celui d’Alger. Je me souviens que l’ambassade avait refusé de recevoir la délégation et l’avait traitée de « non Algérienne ». Les militants alertaient sans arrêt la presse qui, d’une façon générale, a bien répercuté les informations. Par ailleurs le CDDCA transmettait le maximum de nouvelles à la diaspora par des tracts distribués dans les cafés, les bouches de métro, les marchés…. Matoub Lounès habillé en treillis militaire a donné un gala de solidarité à l’Olympia le 10 mai, la salle était pleine et une minute de silence fut observée en signe de soutien avec le mouvement populaire en Algérie. Il y avait encore des rumeurs qui faisaient état de morts mais elles n’ont pas vraiment impacté l’opinion dans la mesure où le niveau d’organisation permettait de rétablir assez rapidement les vérités.
L’Amicale des Algériens en Europe a réagi violemment. Comme elle le faisait souvent quand il y avait des activités de l’opposition, elle a envoyé ses provocateurs lors de la manif du 26 avril. Sans grand succès.
?3/ Quelles ont été les réactions des intellectuels français et celles des autorités françaises
La pétition de soutien lancée par le CDDCA le 3 juin fut signée par 140 personnalités universitaires et artistiques. Il y avait parmi elles des individualités qui avaient soutenu le peuple algérien pendant la guere de libération nationale.
Par contre, les manifestations devant l’ambassade étaient réprimées par les autorités françaises. Le FLN avait de solides relations avec le pouvoir français. Lors de la manifestation du 26 avril, des centaines de personnes ont été interpellées et conduites par fourgons à Vincennes. Certains militants, anciens de la Fédération de France, qui y avaient déjà séjourné pendant la guerre, disaient alors avec humour qu’ils avaient l’impression de faire « un pèlerinage ».
?4/ L’émigration a-t-elle été rapidement mobilisée ou avez-vous relevé des attitudes de surprise ou de peur
Les contacts avec l’émigration se sont en règle générale bien passés. Réactions favorables et peur étaient mêlées. Les militants étaient bien accueillis, les émigrés étaient scandalisés par ce qui se passait, même s’ils ne venaient pas forcément aux manifestations. L’AAE a fait courir plusieurs fois le bruit que les passeports seraient retirés aux manifestants et les émigrés craignaient de ne pas pouvoir retourner au pays. Uns vieille pratique.
?5/ De votre point de vue, comment évolue le message d’avril 80 dans la diaspora algérienne ? Observez-vous une convergence avec les autres communautés nord-africaines ou sahéliennes ? Y a-t-il dans la diaspora une évolution sur la question amazighe chez vos compatriotes arabophones
Évolution favorable du côté arabophone. Aujourd’hui même les islamistes tentent de récupérer la question amazigh alors que pour eux, les militants qui la portaient en 1980 étaient des impies. Un peu plus tard, une grande partie de l’émigration considèrera que ce qui s’est passé en Kabylie est le prélude, le moteur de ce qui s’est arrivé plus tard en Tunisie, en Egypte, en Libye lors des printemps dits arabes. En Tunisie, quand Idir chantait, c’était un énorme succès. Au Maroc aussi. De nombreuses vidéos circulent où on voit des Tunisiens chanter Matoub. J’ai eu l’occasion de rencontrer au cours de toutes ces années plusieurs Tunisiens ou des Marocains à l’hôpital, des chauffeurs de taxi ou des commerçants de ces deux nationalités au marché d’Aligre. Ils m’ont témoigné leur admiration pour l’action des Kabyles. Les Kabyles jouissent d’un grand prestige auprès des Berbères marocains qui les considèrent comme les précurseurs d’un combat qui doit libérer l’Afrique du nord. Mais malgré cette attente populaire, il n’y a pas encore de cadres où ces élans puissent se rassembler.
Dans la diaspora algérienne des associations existent. Elles organisent chacune à son niveau des manifestations de solidarité pour les plus précaires, des spectacles, des enseignements de la langue, de la culture amazigh… Mais là encore, il n’y a pas de structures pour les regrouper, cela manque cruellement. Yennayer ( le jour de l’an amazigh ) qui est fêté partout en Europe et en Amérique du nord commence à peine à être organisé solidairement par des citoyens issus des trois pays. Souvent d’ailleurs c »est à à l’initiative d’élus locaux binationaux que sont commémorées ces événements. Il est vrai que les États veillent à ne pas permettre des actions solidaires. Peut-être est-ce le combat de l’heure. En tout cas, merci pour adn-med d’avoir ouvert ce dossier. Il est temps de réfléchir à un nouveau départ sur le sujet de Tamazgha. Et la diaspora qui a toujours été partie prenante des luttes qui se mènent dans les pays d’origine a un rôle important à jouer dans ce combat.
*Fonctionnaire à la retraite, militant de la cause amazigh dans la diaspora.
Source : sites Internet