Tunisie. À la recherche d’un printemps amazighe tunisien. Par Monia Ben Hamadi*
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Il est nécessaire de se rendre dans le Sud de la Tunisie, à Tataouine, Matmata, Gabès ou encore l’île de Djerba pour espérer entendre des personnes, souvent âgées, parler encore une des langues Amazighes locales, le Chelha tunisien ou le “Libyen oriental” – langue Amazighe de Zouara -, qui composent les langues Zénètes de l’Est parlées en Tunisie et en Libye. Les berbérophones du Nord-Ouest de la Tunisie, à Siliana ou au Kef, sont encore plus rares.
Regain d’intérêt citoyen et vieille négation officielle
Si le dialecte tunisien a préservé de nombreux termes d’origine amazighe, celles et ceux qui parlent la langue constituent moins de 5% de la population, soit 500 000 personnes selon les estimations les plus optimistes et seulement 100 000 selon l’UNESCO.
Mohsen Esseket est originaire de Tataouine et vit à Tunis. Il est le président de l’association Tamaguit pour les Droits, les libertés et la culture Amazighe. Si lui ne parle pas couramment la langue, sa femme par contre la maîtrise et le couple tente de transmettre cet héritage à leurs trois enfants. Après la révolution, les revendications culturelles et identitaires de groupes minoritaires ont refait surface et plusieurs associations ont été créées profitant d’un engouement citoyen et d’une liberté d’expression nouvellement acquise.
M. Esseket rejoint alors l’Association tunisienne de la culture Amazighe. En 2016, un nouveau bureau est constitué et M. Esseket n’en fait plus partie. Il considère aussi que l’aspect culturel limite le champ des activités et, pour pouvoir s’engager davantage pour la défense de droits civiques et politiques des populations amazighes en Tunisie, il crée l’association Tamaguit en 2017. Il se consacre ensuite à la défense des citoyens qui souhaitent revendiquer leurs origines amazighes, notamment en choisissant le prénom à donner à leurs enfants, une question épineuse à l’époque.
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Effectivement, une circulaire datée du 12 décembre 1965 n’autorisait que les prénoms arabes et les services de l’état civil de différentes municipalités se faisaient souvent un devoir de l’appliquer à la lettre. La circulaire publiée après l’indépendance sous la présidence de Habib Bourguiba s’inscrivait dans une politique d’arabisation forcée des populations autochtones dont une partie importante parlait encore le Chelha tunisien, notamment. “D’abord c’était l’arabisation forcée, ensuite la disparition de références amazighes dans les manuels scolaires dans les années 80”, déplore Mohsen Esseket.
Après de nombreuses polémiques, le texte est finalement annulé le 16 juillet 2020 par Lotfi Zitoun, ministre des Affaires locales. Ce dernier écrivait alors que l’interdiction de certains prénoms constituait “une forme de restriction de liberté” incompatible avec “le climat de liberté et de responsabilité qui règne en Tunisie aujourd’hui”.
Timide bougé des institutions
Depuis cette petite victoire pour les parents soucieux de préserver leur patrimoine familial et culturel, la volonté politique au niveau de l’État tunisien est encore très timide. Le 24 mars 2023, Minority Rights Group International a interpellé le représentant tunisien à l’occasion de l’Examen périodique universel de la Tunisie, lors de la 52ème session du Conseil des droits de l’homme à Genève. “Nous déclarons l’urgence de défendre le patrimoine amazigh en voie de disparition. Les enfants amazighes et même les personnes moins jeunes devraient avoir la possibilité de pouvoir apprendre le Tamazight”, a déclaré Cyrine Hammemi, au nom de l’organisation.
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Dans le rapport national soumis par la Tunisie au Conseil des droits de l’homme et rendu public en octobre 2022, les autorités affirmaient qu’à partir de 2024, “la culture amazighe sera intégrée aux programmes scolaires officiels, via des activités culturelles assurées par des clubs à l’intention des personnes intéressées”, assurant que “les Amazighs [jouissaient] de leurs droits dans tous les domaines sans aucune discrimination, ni exclusion ou marginalisation”. “Les institutions éducatives et culturelles valorisent le patrimoine culturel amazigh et l’école a vocation à enraciner et affermir ce patrimoine dans toutes ses composantes historiques et culturelles”, précise encore le rapport.
Dans une tribune publiée sur le site Kapitalis, Wahid Ferchichi, ancien président de l’Association de défense des libertés individuelles et professeur de Droit s’insurge contre les “mensonges” et les “contre-vérités” de ce rapport. Il rappelle ainsi qu’il n’y a aucune reconnaissance officielle de la culture et de l’identité amazighe en Tunisie et pointe du doigt des tentatives de manipulation. “Dire qu’à partir de 2024, il y aura intégration de la culture amazighe dans les programmes scolaires officiels, via les clubs, constitue une manipulation, puisque les clubs ne font pas partie du cursus scolaire. D’autant plus que le rapport ne traite pas de la langue amazighe qui constitue la principale revendication des personnes amazighes”, fustige l’universitaire.
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Pour Mohsen Esseket, comme pour beaucoup d’autres, l’apprentissage de la langue se fait surtout à la maison. “Nous avons mis en place des cours de langues grâce à l’association, mais nos moyens sont très limités et nous ne savons pas ce que l’État compte faire dans le cadre de ces ‘clubs’, ni s’il y aura un financement adéquat”, regrette le président de Tamaguit.
Sur les réseaux sociaux, la référence à la commémoration du printemps Amazighe en Tunisie est quasiment inexistante. Chaker Mouelhi vit à Makthar, une ville du Nord-Ouest de la Tunisie connue pour son site archéologique et située sur le territoire de la tribu des Ouled Ayar, une tribu d’origine berbère arabisée. Ce photographe, amateur d’Histoire et d’archéologie, rappelle quasiment chaque année le 20 avril, l’anniversaire du printemps Amazighe de 1980. “Que reste-t-il du Tafsut n Imaziɣen d’20 avril 1980 ?”, s’interroge-t-il cette année. Personne pour lui répondre. “Sans doute l’événement est encore présent chez certains Imazighen, avec de nouvelles revendications identitaires chez certains Tunisiens”, se rassure-t-il.
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Un regain d’intérêt pour la culture et la langue amazighe est cependant perceptible. Grâce à la pratique du tatouage ou de la poterie, de nouvelles générations découvrent un patrimoine enseveli. Fairouz Ben Salah, une journaliste qui a travaillé sur la question, l’assure : “les jeunes reprennent un peu le flambeau”.



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