Tunisie. Justice kafkaïenne et annulation de la visite de la Rapporteuse de l’ONU
C’est par voie de presse que la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats Margaret Satterhwaite a appris vendredi 28 avril l’annulation de sa visite en Tunisie prévue du 16 au 26 mai 2023 par les autorités sans qu’une nouvelle date ne soit fixée.
Répression à huis clos
Sur son compte Twitter, la Rapporteuse ne cache pas sa “déception” et “espère qu’il y a une bonne raison pour ce report”, indiquant que celui-ci “a été rapporté dans la presse”.
Cette visite très attendue par les défenseurs des droits humains et de l’indépendance de la justice aurait dû intervenir dans un contexte de mainmise du président Kaïs Saïed sur la justice tunisienne. Déjà, des pages sur les réseaux sociaux affiliées au régime avaient critiqué ce qu’elles considèrent comme une ingérence dans les “affaires internes” du pays, véhiculant le discours officiel, plus virulent depuis que l’arrestation de Rached Ghannouchi a provoqué une vague d’indignation à l’international. Le président de la République et son ministre des Affaires étrangères avaient alors fustigé les déclarations de pays étrangers, les jugeant “inacceptables” et “inadmissibles”.
C’est par les mêmes pages sur les réseaux sociaux que les avocats de Ghazi Chaouachi ont appris l’annulation de l’audition de leur client prévue le mercredi 26 avril. Arrêté dans l’affaire dite du complot contre la sûreté de l’État avec plusieurs figures de l’opposition, l’avocat et ancien secrétaire général du Courant démocrate devait être auditionné dans le cadre d’une tout autre affaire. Il est en effet poursuivi sur la base du décret-loi 54-2022 promulgué en septembre 2022 officiellement pour lutter contre “les fausses informations ou des rumeurs mensongères” mais qui, dans les faits, est utilisé pour limiter la liberté d’expression et museler l’opposition.
Juges. La maladie comme remède
Les raisons de ce report ? Un congé maladie déposé par le juge dont le comité de défense n’a été informé qu’à “la dernière minute”, selon l’avocate Dalila Ben Mbarek Msaddek. Son collègue Ahmed Souab, ancien juge, connaît bien ces pratiques. S’exprimant sur la radio privée Diwan FM le même jour, il affirme que les congés maladie étaient utilisés sous l’ancien régime par “des juges honorables” pour éviter qu’ils n’aient à prendre des décisions arbitraires imposées par le pouvoir exécutif contre ses opposants.
Sans avoir d’informations sur la situation particulière de ce juge, une épidémie mystérieuse semble avoir touché un certain nombre de magistrats, notamment ceux du pôle antiterroriste. Plusieurs avocats de prisonniers politiques avaient déjà rapporté que les bureaux de plusieurs d’entre eux avaient été désertés depuis février et l’arrestation des opposants accusés de complot, invoquant des raisons de santé. Les juges qui poursuivent leur travail se retrouvent face un dilemme : emprisonner des personnes sans raison ni preuves ou être révoqué et risquer soi-même la prison. “Le juge était abattu au moment d’émettre le mandat de dépôt contre Chaïma Issa”, première femme prisonnière politique sous Kaïs Saïed, a témoigné Dalila Ben Mbarek Msaddek. “Il se tenait la tête dans les mains et disait ne pas avoir le choix”, assure-t-elle.
Ces craintes sont loin d’être infondées. Fin février, le juge d’instruction qui a décidé de libérer Hattab Ben Othman, président du syndicat national des agents et des cadres de la justice, a trouvé son bureau fermé et a été empêché d’y accéder. Quelques jours plus tard, il a été soumis à une inspection et suspendu, selon son avocate, Inès Harrath. Othman Ben Hattab a ensuite été arrêté de nouveau et un mandat de dépôt a finalement été émis par un autre juge.
En juin 2022, Kaïs Saïed avait décidé de révoquer 57 magistrats de manière unilatérale et
sans possibilité de recours, malgré une décision du tribunal administratif d’annuler cette décision pour 49 d’entre eux. Parmi eux, Béchir Akremi, ancien procureur de la République du Tribunal de Tunis, a fait l’objet d’un acharnement judiciaire. Emprisonné depuis des mois, sa libération a été empêchée par les forces de l’ordre malgré la décision du juge d’instruction. Comme pour Othman Ben Hattab, un autre mandat de dépôt avait été émis à son encontre. Au même moment, Kaïs Saïed avait prévenu : “Celui qui les innocente devient leur complice.”
Source : sites Internet