Impact du printemps Amazigh d’avril 80 sur le Maroc
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Dans la trajectoire historique de chaque peuple qui aspire à son émancipation, il y a des moments qui sont des références et des repères fondateurs. En Afrique du Nord, parmi les dates célébrées par quasiment tous les Imazighens, on peut citer Iḍ n Yennayer et le 20 avril. Le premier est la nuit du nouvel an amazighe et le second renvoie aux événements qu’a vécus la Kabylie en 1980.
Un écho profond mais non structuré
La date de 20 avril est une date célébrée par les Imazighens un peu partout en Afrique du Nord comme dans la diaspora. Elle est désormais inscrite dans les annales historiques amazighs sous le nom de Tafsut Imazighen (Le Printemps Amazigh). Au Maroc comme ailleurs, nous savons que cette insurrection civique fait référence aux évènements tragiques que la Kabyle, une terre farouchement attachée à sa liberté, a connus le 20 avril 1980 suite à l’interdiction de la conférence portant sur la poésie kabyle ancienne que devait animer le chantre de l’amazighité, Mouloud Mammeri.
Cette interdiction a donné naissance à un mouvement populaire démocratique qui a payé cher la cause qu’il défendait. Nous savions par ouï-dire que le pouvoir d’Alger avait réagi violemment contre un mouvement pacifique et en procédant notamment à des arrestations arbitraires parmi les jeunes. Pour nous jeunes Amazighes du Maroc, cette répression n’avait qu’un objectif : museler la voix amazighe qui aspire à une vraie démocratie. Le mouvement rencontra un intérêt immédiat mais discret chez les élites amazighophones du Royaume où la question amazighe évoluait dans un climat de suspicion permanente de la part des autorités.
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Ensuite et sans que l’on sache vraiment comment ni pourquoi, un écho de sympathie général mais non organisé naquit spontanément dans les lycées et les universités.
Les événements du Printemps Amazigh connurent donc une résonnance culturelle et politique importante, non seulement en Algérie, mais dans toute Tamazgha et, donc, au Maroc aussi.
Depuis l’indépendance du Maroc en 1956, le pays s’est construit sur un substrat et une dualité idéologique qui se basaient sur l’arabité et l’islamité, niant ainsi toute dimension amazighe. L’arabisation s’est beaucoup accélérée et a été soutenue à travers les maillons partisans et les institutions de l’Etat.
Les différentes constitutions l’ayant consacrée, elle se traduisit mécaniquement à l’école, l’administration, les medias…
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La pouvoir sur le qui-vive
Au lendemain des événements de Printemps Amazigh de 1980, il y eut une conférence de presse tenue au Palais royal de Casablanca. Un journaliste français posa une question à Hassan II sur la problématique amazighe en demandant si le Maroc ne risquait-il pas de vivre des manifestations à la kabyle. La réponse du monarque était que ce genre d’événements sont impensables au Maroc car, expliqua-t-il, les Marocains arabophones et berbérophones étaient soudés et qu’ils ont acquis leur immunité contre ce genre de réaction depuis le dahir de 16 mai 1930 (appelé abusivement Dahir Berbère). Le Roi évoqua ensuite l’« origine yéménite » des Amazighes, ce qui, ajouta-t-il était prouvé « grâce aux livres d’Histoire contemporaines ». (Voir la revue Renaissance d’d’une Nation, Tome XXV, 1980).
Le même argument sera d’ailleurs utilisé par Chadli Bendjedid une année plus tard. La revue Tafsut, publiée par le Mouvement Culturel Berbère, le MCB, dont certains exemplaires parvenaient au Maroc via la diaspora notamment, répondit sur un ton ironique mais documenté à ces arguties. La réplique de Tafsut qui éteint la polémique eut un certain écho au Maroc.
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Il faut savoir que le fait amazigh a toujours été vu d’un mauvais œil aussi bien par Rabat que par Alger. L’amazighophobie de Hassan II est ancienne et n’a point besoin d’être démontrée, beaucoup d’écrits existent sur ce sujet. Plus tard, l’amazighité sera pour lui un cauchemar puisqu’elle sera intimement liée aux deux tentatives de coup d’Etat de 1971 et de 1972, lesquels durent menées par des militaires, tous Amazighes originaires du Rif et du Moyen Atlas.
Décennie 1980 : années de plomb
Dans le parcours historique du Mouvement Amazighe au Maroc, ce fait culturel et identitaire a été criminalisé et considéré comme suspect durant les années 1980. C’est pendant cette décennie que la revue Amazigh, lancée par Ouzzine Aherdan, fils du célèbre Mahjoubi Aherdane, l’un des rares homme politique à avoir assumé son amazighité, fut interdite.
L’historien et poète Ali Sadki Azaykou, auteur d’un article intitulé « Pour une vraie définition de notre culture nationale » publié dans un numéro de cette revue, fut arrêté le 9 juin 1982 et condamné à une année de prison. Dans cet article il présentait une lecture de l’Histoire du Maroc jugée iconoclaste. D’autres personnes furent également interpelées dans « l’affaire amazigh ». Ce fut le cas du docteur Ousadden Abdelmalek, du sociologue Ahmed Bouskoul, de Messaadi Boukhalef…Ils seront relâchés après des jours d’interrogatoire. L’avocat Hassan Id Belqacen, un vieux routier de combat amazighe, a été emprisonné, lui aussi, en 1982 pendant une semaine pour avoir écrit son nom en tifinagh sur la plaque de son cabinet. Le 19 avril 1981, l’universitaire linguiste amazighe Boujamâa Habbaz fut enlevé. Son sort demeure inconnu jusqu’à présent.
Toujours au début des années 80, et dans la ville d’Agadir, quatre hôtels ont été sermonnés et punis de fermeture pour avoir accroché des plaques en tifinagh sur leur devanture. La seule association amazighe activant dans le Souss pendant cette période, à savoir l’Université d’Eté d’Agadir, s’est vue interdire sa session annuelle dédiée à la culture amazighe.
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Sortie du tunnel
Au début des années 1990 c’est lendemain de la chute de mur de Berlin. La période est marquée par la sortie de l’hibernation des acteurs de mouvement amazighe et l’encadrement de la société par un tissu associatif qui connaitra un ancrage dense et un rapide enracinement au niveau national, notamment après la signature de la charte d’Agadir en 1991 où furent consignées les revendications linguistiques et culturelles du mouvement amazigh marocain.
La prise de conscience identitaire commence alors à se poser avec plus d’acuité dans la mesure où elle était vraiment portée par des élites qui étaient en phase avec leur société.
Dans les locaux des associations amazighes, il y avait régulièrement des conférences et des débats sur la trajectoire militante du combat amazighe mené en Kabylie depuis le printemps 1980. Des figures artistiques (Idir, Ferhat Imazighen Imula, Lounes Matoub, Lounis Ayt Menguellat, Majid Soula, Djurjura, Malika Doumrane …) Sont admirées et écoutées par une jeunesse marocaine assoiffée de sa culture et de son identité. Des écrivains et intellectuels kabyles de renommée comme Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun, Salem Chaker, Saïd Sadi, Taher Djaout, Tassadit Yacine, Remdane Achab et d’autres sont lus partout. J’ai rappelé auparavant que des revues clandestines comme Tafsut circulaient massivement grâce à la photocopie. Les émissions de la radio chaîne II en kabyle sont suivies notamment au Sud-est du Maroc. Autant d’exemples, parmi d’autres, qui attestent que la prise de conscience identitaire amazighe au Maroc doit beaucoup au flambeau allumé et porté par le Mouvement Amazighe de Kabylie.
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Au début de la décennie 90, et avec la naissance de mouvement amazighe estudiantin dans les universités de Meknès, Fès, Oujda, Agadir, Marrakech …, les semaines culturelles organisées dans les campus universitaires relayaient la littérature militante amazighe à travers les expositions des livres venus de Kabylie, des photos des chanteurs kabyles sont affichées dans les bibliothèques ou les chambres des étudiants, leurs cassettes atteignent le monde rural…. Les étudiants militants de la ville d’Er-Rachidia sont allés même jusqu’à rebaptiser leur université en l’appelant « Université Mouloud Mammeri ».
Les jeunes artistes marocains revisitent et reprennent les répertoires musicaux de beaucoup de leurs idoles kabyles pendant les soirées musicales organisées dans les campus universitaires. Chaque 20 avril est célébré dans par des expositions ou des galas un peu partout dans le pays. Des manifestations sont organisées pour commémorer cette date symbolique fondatrice perçue comme un moment de renaissance de la modernité du monde amazigh.
Besoin de connexion supra national
Le brassage culturel et les contacts directs avec cette terre rebelle seront effectués aussi au début des années 1990 avec les visites de beaucoup d’acteurs de Mouvement amazighe marocain en Kabylie. La région du sud-est d’où on pouvait capter la radio kabyle connaitra une influence plus intense des luttes menées dans cette région. L’anthropologue américain Paul Silverstein a d’ailleurs consacré une étude sur cette influence. Elle est publiée dans « The journal of North Africa Studies ».
C’est par solidarité avec cette Kabylie inspirante qu’un groupe de militants(es) ont organisé un sit in devant l’ambassade d’Algérie à Rabat pendant les événements du Printemps Noir de 2001 au cours duquel 127 jeunes furent assassinés et plus de 3000 autres furent blessés par les forces de sécurité du régime d’Alger. Ce sit in fut d’ailleurs violemment réprimé par la police marocaine. Et c’est aussi par solidarité que le MCB avait observé un sit-in devant l’ambassade du Maroc à Alger en 1994 pour réclamer la libération des détenus politiques amazighes ; un groupe resté dans les annales du mouvement cultuel amazighe marocain sous la dénomination de « détenus de l’associations Tilelli de Goulmima ».

Le mouvement Amazighe en Kabylie en général et les événements du 20 avril 1980 en particulier sont des actes politiques essentiels qui ont contribué à l’accélération de l’émergence puis de l’affirmation du Mouvement Amazighe au Maroc. C’est pourquoi, certaines voix, proches du pouvoir, que la renaissance amazighe dérange, se sont levées pour appeler à « dékabyliser » le Mouvement Amazigh du Maroc. Ces niches ont compris que « lorsque la Kabylie est arrosée, c’est toute Tamazgha qui moissonne ».
Oui, la Kabylie, aujourd’hui malmenée, fut le théâtre d’un éveil intellectuel, culturel et politique qui a inspiré et nourrit le débat autour du projet démocratique d’une l’Afrique du Nord qui peut et doit se ressourcer à son socle amazigh.


Source : sites Internet