Découverte d’une langue inconnue sur une tablette d'argile
Exemplaire de tablette d'argile inscrite d'un langage cunéiforme retrouvée sur le site d'Hattusa, semblable à celle récemment découverte.
Une tablette d’argile a été découverte dans la ville de Hattusa, qui regorge de pièces similaires. Elle présente cependant une petite particularité : un passage entier est écrit dans une langue inconnue.
L’antique ville de Hattusa, située à proximité du village de Boğazkale, dans la province de Çorum, dans l'actuelle Turquie, était l’ancienne capitale du monde hittite, civilisation aujourd’hui disparue d’Anatolie centrale, qui dominait les hauts plateaux turcs du 19e au 12e siècles avant notre ère.
Depuis sa découverte en 1834 par l’archéologue français Charles-Marie Texier, des générations de chercheurs se sont succédé dès la fin du 19e siècle, déterrant au fil des fouilles plus de 30 000 tablettes et fragments de tablettes d’argile, inscrites en 2001 au titre de « mémoire du monde » de l’UNESCO.
Depuis 2006, un vaste programme de fouilles dirigé par Andreas Schachner, chercheur à l’Institut Archéologique Allemand (DAI), a pris la relève et s’applique à étudier, entre autres, ces tablettes d’argile qui regorgent d’informations, allant des coutumes religieuses aux pratiques médicales, ou encore aux grands passages de l’histoire de l’empire hittite.
Au mois d’août 2023, les chercheurs ont fait une découverte étonnante : une tablette d’argile différente des autres. Cette tablette comprend deux passages. Le premier est en hittite, facilement déchiffrable par Daniel Schwemer, orientaliste à l’Université de Wurtzbourg. Mais le second est une citation dans un dialecte incompréhensible. Les chercheurs pensent avoir découvert une langue ancienne inconnue jusqu’alors.
UNE ÉCRITURE CUNÉIFORME INCONNUE
Le site de Hattusa est l’un des plus étendus de la région, pour la deuxième moitié de l’Âge du Bronze. La tablette récemment mise au jour a été retrouvée dans une zone où les fouilles ont commencé l’an passé sur le versant nord-ouest de la ville, où se trouve un grand monticule rocheux, qui s’élève à 400 mètres au-dessus de la vallée.
« Cette tablette est différente de celles retrouvées cette année », explique Andreas Schachner. En effet, les tablettes ou fragments retrouvés sont généralement libérés par l’érosion. Ils se détachent de leur site d’origine avant de débouler dans les vallées en contrebas. C’est dans ces zones que les archéologues ont collecté la majorité des tablettes d’argile à ce jour. Dans le cas de la récente découverte, « on retrouve par stratigraphie [sur le site nord-ouest] des couches de monuments les uns par-dessus les autres », explique l’archéologue en chef.
Vue aérienne où la tablette présentant des inscriptions d’une langue inconnue a été découverte.
Au dessous, on retrouve un bâtiment hittite, par-dessus lequel il y a un bâtiment datant de l’âge du fer, puis un autre de l’empire byzantin. « Cette tablette a émergé alors que nous étions en train de nettoyer certaines parties du bâtiment daté de l’âge du fer, et que nous nous trouvions sur le bâtiment hittite ». L'origine hittite de la tablette a également été confirmée par le contenu du texte, particulièrement bien conservé.
« Cette tablette est facilement déchiffrable », explique Daniel Schwemer. « Elle est écrite dans un style cunéiforme que les scribes hittites utilisaient au 13e siècle avant notre ère ». Il ajoute que le début du texte est tout à fait ordinaire. Il s’agit de l’un des nombreux textes rituels, où l’auteur explique en l’occurrence le déroulement d’une cérémonie sacrificielle à destination des dieux.
C’est sur la deuxième partie de la tablette que les scientifiques s’interrogent. Le scribe citait une sorte d’incantation, probablement prononcée lors des prières qui accompagnaient le sacrifice pour la ou les divinités vénérées. « Cette récitation peut être lue aussi aisément que le premier passage », fait remarquer Schwemer, « car l’écriture cunéiforme correspond à une lecture phonétique ». Il est donc possible de prononcer les sons, « mais je n’ai pas compris un seul mot de cette récitation », avoue-t-il.
Après des études plus poussées, les chercheurs ont découvert que cette langue n’était ni hittite, ni d’aucun autre dialecte utilisé, à leur connaissance, dans le culte hittite. Alors de quelle langue s’agit-il ?
Malgré la sollicitation d’experts linguistes en langues indo-européennes d’ancienne Anatolie, le mystère reste entier. Une hypothèse pourtant se dégage. « La langue présente des formulations et calligraphies particulièrement similaires à ce que l’on connaît de certaines formes de louvite », explique Daniel Schwemer. Le louvite est une langue anatolienne apparentée au hittite-nésite qui aurait été parlée dans la mythique cité disparue de Troie. De plus, le scribe fait mention d’une langue qui était parlée dans le pays de Kalašma, qui selon les archéologues devait se trouver quelque part au nord ouest de la cour de l’empire hittite.
Il s’agit à ce jour du seul exemplaire connu portant des inscriptions de cette langue. Il éclaire d’une lumière nouvelle la relation des hittites avec les régions nord-ouest de leur empire. Il n’y avait pas jusqu’alors de preuves de cette influence hittite dans la région.
UN EMPIRE À LA CROISÉE DES LANGUES ET DES CULTURES
Les tablettes de Hattusa ont été rédigées en écritures cunéiformes, par une bureaucratie impériale très active. Ces textes ont résisté à l’épreuve du temps, potentiellement grâce à des incendies accidentels ou bien criminels, qui les auraient solidifiés. Les scribes ne faisaient que sécher leurs écrits au soleil, et sans cuisson de l'argile à la flamme ces tablettes auraient été transformées en boue au fil du temps, selon Andreas Schachner. Outre les informations relatives aux influences culturelles de l’empire hittite, en passant par ses langues, ses rites et divinités, ces artefacts nous renseignent également sur son système politique et le mode de gouvernance dans cette région montagneuse d’Anatolie.
Gauche : La porte des Lions de Hattusa, située au sud-ouest de l’ancienne capitale de l’empire Hittite, civilisation aujourd’hui disparue, qui vivait en actuelle Turquie, vers 1750 à 1200 avant notre ère (photographie prise en août 2019).
Le scribe qui a écrit cette tablette en langue de Kalašma a enregistré les instructions et récitations d’un rituel observé dans cette région. « Il est d’ailleurs possible que personne dans la région de Kalašma n’ait jamais mis par écrit les étapes de ce rituel », précise Daniel Schwemer. En écrivant sur les coutumes et croyances des confins de l’empire, ce dernier se nourrissait d’une incroyable diversité linguistique et cultuelle.
La capitale Hattusa était un croisement multilinguistique et multiculturel, centre de la légitimité du pouvoir du souverain. Il avait à son service une armée de scribes très actifs dans le domaine de « l’administration du culte religieux », ce qui explique la forte concentration de tablettes d’argile retrouvées sur le site. « Le roi gagnait ainsi la faveur des dieux, garantie de sa capacité à assurer la prospérité de son empire sous son règne », explique Daniel Schwemer.
« Ce qui est particulier à propos des découvertes de textes dans la capitale hittite », précise Daniel Schwemer, « c’est qu’il n’y a pas un seul texte dans une seule langue », bien que toutes soient rédigées en écriture cunéiforme. Les archéologues ont retrouvé des influences de Mésopotamie, mais également de Syrie, avec des textes écrits en akkadien.
L’empire hittite, l’un des quatre plus puissants empires d’Asie de l’ouest au 13e siècle avant notre ère, n’imposait pas une seule langue ou tradition religieuse à travers l’empire, du moins pas par la force. La diversité de traditions du centre de l’Anatolie qui se reflète dans les textes écrits dans la capitale, montre que d’un point de vue hittite, « il s’agissait probablement de persuader les gens de croire en leur système », explique Andreas Schachner.
Droite :Exemple de tablette d’argile présentant des inscriptions cunéiformes. Cette tablette raconte la mise en place d’un traité de paix égyptien-hittite par le pharaon Ramsès II (à Thèbes) et le roi Ḫattušili III de Hattusa, au milieu du 13e siècle avant notre ère.
Les rois hittites exerçaient leur influence et leur pouvoir en cherchant à intégrer les traditions religieuses de différentes zones. « Les hittites se qualifient d’ailleurs de peuple "aux mille dieux" », conclut Andreas Schachner. « Ils ont ainsi choisi d’intégrer l’intégralité des croyances anatoliennes en un seul système, soit les mille dieux du Hatti ».
Source :sites internet