05 MAI 1871 / 05 MAI 2021.
150ème  ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE MUHEND At MUQRAN  nommé EL MOKRANI CHEF DE L'INSURRECTION DE 1871,


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Cheikh El Mokrani (1815-1871) Le chef de la Commune kabyle,
en guerre contre la colonisation.
En 1871, de l’autre côté de la Méditerranée, en Kabylie, Cheikh El Mokrani conduit la plus importante insurrection contre la colonisation française. Histoire croisée d’insurgés.
C’est un fait historique trop peu connu : la Commune fut contemporaine de la première grande insurrection contre la colonisation française. En mars 1871, à la faveur de l’instabilité créée par la défaite de Sedan et du climat insurrectionnel qui gagnait Paris, de l’autre côté de la Méditerranée, en Kabylie, les confédérations de tribus s’organisèrent pour déclencher une véritable guerre contre la colonisation. L’insurrection, la plus importante, par son ampleur et son issue tragique, depuis le début de la conquête en 1830, fut conduite par un guerrier énigmatique et craint, cheikh El Mokrani, de son vrai nom Mohand Aït Mokrane.
Fils d’un chef coutumier de la région de Medjana , dans les hauts plateaux, El Mokrani, né en 1815, n’avait pas toujours incarné la rébellion contre les envahisseurs français. Les siens refusèrent, en 1830, de répondre à l’appel de l’émir Abd El Kader à combattre à ses côtés. El Mokrani lui-même fut désigné bachagha par les autorités militaires françaises à la mort de son père. Un rapport du gouvernement de la défense nationale le décrit, en 1871, comme « issu d’une famille ancienne et puissante, doué d’une bravoure chevaleresque, riche et libéral jusqu’à la prodigalité » et note qu’il « dispose en maître souverain de toutes les contrées avoisinant son commandement ».


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L’historiographie coloniale brosse de lui le portrait d’un « grand seigneur d’épée » dont la France cherche sinon l’appui, du moins la neutralité. Dans son Journal d’un officier publié en 1873 et relatant l’insurrection, le commandant Du Cheyron assure même qu’El Mokrani connaissait la France, « où la cour de l’empereur avait fait à sa grande distinction personnelle l’accueil le plus flatteur ». Les appétits des conquérants, l’arbitraire et l’injustice de l’ordre colonial se chargèrent de briser ce pacte tacite de non-agression. Soumise en 1857 après avoir résisté à quatorze campagnes successives, au prix d’une dévastation d’une rare brutalité, la Kabylie ne s’était jamais résignée à la domination coloniale. De nombreuses révoltes avaient déjà éclaté en réaction à l’humiliation, à la confiscation des terres, aux déplacements des populations, au démantèlement de l’organisation sociale. « C’en était fait de ces révoltes. Jusqu’au moment où la guerre contre la Prusse allait de nouveau réveiller les idées d’indépendance des indigènes », analyse Just-Jean Étienne Roy en 1880, dans son Histoire de l’Algérie. Surtout, la misère à laquelle était réduite la population, les famines, en particulier la grande famine de 1857, attisèrent la rébellion.
Dès le 12 juin 1869, le maréchal Mac Mahon alertait Paris : « Les Kabyles resteront tranquilles aussi longtemps qu’ils ne verront pas la possibilité de nous chasser de leur pays ! » Plusieurs mois avant le début de l’insurrection, l’effervescence s’empara des communautés villageoises qui élurent, malgré l’interdiction des autorités coloniales, les tijmaain, les assemblées de villages. Le 15 mars 1871, El Mokrani, à la tête d’une armée de 8 000 à 10 000 hommes, donna le signal de l’insurrection. Le 8 avril, l’appel au soulèvement fut relayé par le vieux cheikh Aheddad, chef spirituel de la confrérie des Rahmaniya, auquel répondirent 250 tribus capables d’aligner plusieurs dizaines de milliers de combattants. L’insurrection gagna rapidement l’est et le sud du pays. « L’insurrection s’étendit tout le long du littoral, depuis les montagnes qui ferment à l’est la Mitidja jusqu’aux abords de Constantine. Au sud de cette dernière ville, elle se propagea dans la région accidentée du Belezma ; elle se relia aux mouvements partiels jusqu’alors localisés vers la frontière et dans le Sahara oriental », relate en 1996 Maurice Wahl, ancien inspecteur général de l’instruction publique aux colonies. Les insurgés parvinrent même jusqu’aux portes d’Alger. Face à un tel soulèvement, l’armée coloniale se livra à une répression impitoyable. La défaite de la Commune de Paris permit à l’autorité militaire de reprendre la main en reconstituant une puissante armée d’Afrique : l’amiral de Gueydon mobilisa 100 000 soldats et un dispositif militaire supérieur à celui qui avait permis d’asservir la région en 1857.
Le 5 mai, El Mokrani fut abattu. « Dans une rencontre avec les troupes du général Saussier, il descendit de cheval et, gravissant lentement, la tête haute, l’escarpement d’un ravin balayé par notre mousqueterie, il reçut la mort, qu’aux dires des témoins de cette scène émouvante il cherchait, orgueilleux et fier comme il eut fait du triomphe », affirme le rapport du gouvernement de la défense nationale sur ces événements.
Avec El Mokrani disparaissait l’âme de l’insurrection. Celle-ci se poursuivit pourtant, neuf mois durant, et avec elle, une répression aussi sauvage que celle qui s’est abattue, à Paris, sur les révolutionnaires. Plusieurs dizaines de milliers d’indigènes furent tués. Au-delà des insurgés, toute la population fut prise pour cible. Des villages entiers furent détruits, des familles décimées ou jetées sur les chemins de l’errance par la barbarie coloniale. La rébellion écrasée, 450 000 hectares de terre furent confisqués et distribués aux nouveaux colons que l’on fit venir d’Alsace-Lorraine. Plus de deux cents chefs insurgés furent traduits devant la cour d’assise de Constantine en 1873 et condamnés à la déportation dans les bagnes de Cayenne ou de Nouvelle-Calédonie, où ils retrouvèrent les communards parisiens. « Nous vîmes arriver dans leurs grands burnous blancs, les Arabes déportés pour s’être, eux aussi soulevés contre l’oppression. Ces Orientaux (...) étaient simples et bons et d’une grande justice. Aussi ne comprenaient-ils rien à la façon dont on avait agi avec eux », écrit Louise Michel.

Des hommes ayant pris part à l’insurrection furent enrôlés de force pour la campagne de Madagascar. Au nom de la « responsabilité collective des tribus insurgées », La Kabylie se vit infliger une amende de 36 millions de francs or. Meurtrie, plongée dans le dénuement le plus total, la population vécut alors une véritable tragédie, dont la mémoire fut transmise de génération en génération par la littérature et la poésie orale.