Le refuge de la Kahina à Tajmint (Jemina) : entre légende et Mythe !
Le 9 octobre 701 Kahina vaincue, a été décapitée et sa tête envoyée en trophée à Damas.
Mais 1319 ans après, en dépit des nombreux écrits, le mystère plane toujours sur cette héroïne, qui continue d’habiter l’imaginaire. Rares sont les personnages historiques qui ont suscité autant de controverses. Héroïne, symbole de résistance pour ses zélateurs, mystificatrice, pour ses détracteurs.
DJEMINA, JEMINASSA, TAJMINT, TAJMOUNT. Quatre toponymes pour désigner ce lieu naturel mythique, mais paradoxalement historique. Un emplacement méconnu que peu de gens ont pénétré, et pour cause. C’est au fin fond du massif de l’Aurès, que le mont Lahmer kheddou, désigné ainsi, car l’adret, jouissant du reflet du soleil couchant qui le décore d’une vision rougeâtre, abrite ce supposé refuge, dominant un canyon garni de palmiers. Les récits populaires, voire la légende, commanderaient que la Reine Dihya Tadmut (surnommée « La Kahina » par les chroniqueurs arabes, qui signifie prêtresse, ou sorcière) et avant elle, la famille du Roi Berbère Ybdas (Yabdas), un siècle et demi auparavant, aient trouvé refuge ici, après avoir été défaits par les Byzantins.
Juste après avoir franchi le deuxième check point militaire, où seul le conducteur du véhicule est astreint à remettre une nouvelle fois sa pièce d’identité, nous surprend une incroyable muraille qui héberge ces maisons troglodytes, logées dans une falaise à priori inaccessible. On stoppe machinalement le véhicule, comme pour mieux regarder dans un muet saisissement le spectacle qui s’offre à nous. La contemplation de la nature laisse vite place à l’admiration, face aux prouesses de l’homme. Ce serait donc dans ces cavernes naturelles, flanquées dans la falaise à-pic, s’apparentant aux demeures traditionnelles des gorges du Ghoufi, que se serait réfugiée La Kahina. Pas sûr, puisque des historiens leur soupçonneraient plutôt, des lieux sécurisants de repli, ou encore une destination à usage de greniers ou d’abris aux bergers.
Le conjecturé refuge de la Kahina, se dresserait quant à lui, un peu plus loin, au sommet d’une élévation isolée par un mouvement géologique, qui n’est pas sans nous rappeler le Gour saharien de Brezina, forteresse naturelle que les gens du pays prêtent aux exploits légendaires de M’Barka bent el Khass, voir la table de Jugurtha.
C’est sur la plateforme au faîte de cette falaise, que se dressaient d’humbles bicoques habitées depuis des temps immémoriaux, jusqu’à leur destruction par l’armée française en 1957, suivie de l’expulsion de leur population par hélicoptères. De nos jours, cette gigantesque terrasse de la dimension d’un terrain de football, abrite des élevages de caprins et surtout les ruches d’apiculteurs.
A première vue cette forteresse naturelle, est imprenable, mais notre accompagnateur nous apprend l’existence d’ un passage secret. Son accès n’est manifestement pas une mince affaire et même à risque. Il faut escalader à mains nues la paroi abrupte de la falaise, sans souliers d’alpiniste, ni corde, en s’aidant simplement des quatre membres et en utilisant au mieux tous les points d’appui atteints ; ensuite il faut varapper dans un étroite percée verticale, espèce de cheminée sans fin, qui aboutit à la plate-forme.
L’enceinte des montagnes fait sa force, la liberté fait son orgueil. Un topique qui s’applique à merveille à l’abri inaccessible de la Kahina, qui après avoir perdu une bataille,* aurait édifié cette forteresse pour trouver refuge. Que ce véritable nid d’aigle ait produit ce récit traditionnel transmis de père en fils par la population locale, puis véhiculé et amplifié par les réseaux sociaux, alléguant que c’est le repaire de Dihya (La Kahina), laisse les historiens plus que sceptiques. Aucun indice fiable ne vient attester ce récit.
Procope, cité par Louis Rinn (Géographie ancienne de l’Algérie) a mentionné cet asile dans son ouvrage « Guerre des vandales » lors de l’expédition du général byzantin Salomon en 539 ap JC, chargé de soumettre les tribus Berbères des Aurès devenues indépendantes et fédérées autour du Roi Ybdas, sous l’occupation vandale. Défait par Salomon, Ybdas aurait dissimulé son trésor et sa favorite dans ce refuge.
Ce récit nous rattache à la toponymie de Jeminassa, qui signifie en langage vernaculaire «recherche de la grande dame » qui serait de facto, la femme du roi Ybdas, et non Kahina, selon une sociologue et chercheuse travaillant sur les récits de la fondation des villages des Aurès, qui exclut d’emblée le toponyme Djemina, car la consonance « dj » n’est nullement auréssienne.
Alors Jeminassa ou La Kahina? mythe ou légende? Faute d’éléments historiques probants, continuons à écouter les abondantes idées populaires, véritables outils de connaissance à ne pas dédaigner, qui, tout en nous plongeant dans la nuit des temps, nous relient à nos racines.
Enfin, nous ne manquerons pas de rapporter la fragilité de ce site, dont les vestiges risquent d’être irréversiblement endommagés, si son accès n’est pas réglementé. Plus grave, les pillards sont souvent mieux renseignés que les archéologues; nous avons personnellement relevé des traces de fouilles sauvages à l’intérieur des grottes. Des associations locales ont, via les réseaux sociaux, tiré la sonnette d’alarme pour sa protection.
En vain.
Farid Ghili
*Après avoir été, en 701, vaincue par les armées arabes de l’émir Moussa Ibn Noçaïr, elle est capturée et emprisonnée. Elle sera décapitée au lieudit Bir El Kahina ou à Baghai (Khenchela) le 9 octobre 701. Les chefs de l’armée Omeyyade envoient sa tête en trophée au calife Abd al-Malik en Syrie
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