Erdogan attise le feu de la discorde
Dans une tribune publiée par le journal Le Monde, Houari Touati, un universitaire algérien, qui collabore à la prestigieuse Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris, a répondu aux propos que le président français avait tenus le 30 septembre à l’Elysée. « Le contexte colonial a permis à la nation algérienne de se rénover, mais il ne l’a pas créée », a écrit l’anthropologue en réponse à Emmanuel Macron, qui s’était interrogé sur l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation. La nation algérienne a bien existé avant la colonisation, a souligné l’universitaire, en soutenant que de « nombreux témoignages historiques répondent positivement à cette fausse question – au sens rhétorique du terme – posée par le président Emmanuel Macron et héritée du temps de la colonisation triomphante de la France ». Houari Touati s’est référé à des écrits datant du XVIIème siècle pour étayer ses propos. L’Algérie a donc bien existé en tant qu’entité nationale avant même l’invasion ottomane. Selon un historien français, Tramor Quemeneur, « lors de la période ottomane, on pouvait déjà observer une sorte d’autonomie, ou plutôt plusieurs territoires autonomes ». « Cette autonomie, relativement importante, a permis à la Régence d’Alger d’avoir une diplomatie et d’entretenir des liens directs avec d’autres puissances, dont la France, qui avait donc des relations bilatérales avec Alger », indiquait-il à l’hebdomadaire Le Point. Les preuves tangibles de l’existence d’un sentiment d’appartenance à une terre depuis plusieurs siècles ne sont nullement une vue de l’esprit. Elles constituent le refus de toutes les visions tutélaires, notamment françaises et turques. A propos d’Ankara, qui n’hésite pas à exploiter le passé colonial de la France en Algérie, afin de régler ses comptes avec Paris, pour des questions d’hégémonie, il est juste de rappeler que le discours que prône aujourd’hui Erdogan n’est qu’une vitrine où ne sont pas exposés les véritables desseins de la politique étrangère turque. Erdogan n’a jamais cessé d’utiliser la colonisation de l’Algérie par la France comme un fonds de commerce, évacuant certains faits historiques, peu glorieux pour son pays. « La Turquie avait voté à l’ONU contre la question algérienne de 1954 à 1962. La Turquie, qui était membre de l’Otan pendant la guerre d’Algérie, et qui l’est encore, avait participé comme membre de cette Alliance à fournir des moyens militaires à la France dans sa guerre contre l’Algérie », avait rappelé Ahmed Ouyahia en 2012, lorsqu’Ankara est entrée en « collision » avec Paris pour des problèmes, qui concernaient exclusivement les deux capitales. Samedi dernier, Erdogan a remis ça, lors d’une rencontre de son part, en évoquant de nouveau le sujet. « Nous continuerons à renforcer notre coopération avec le continent africain, et notre lutte là-bas perturbe les colonialistes », a-t-il déclaré, avant d’ajouter que « la lutte de la Turquie pour un monde plus juste, perturbe grandement les colonialistes et leurs agents parmi nous ». Ce qui n’est pas évident au regard du rôle actuel de la Turquie en Lybie, à titre d’exemple. Cette ingérence turque a toujours irrité les autorités algériennes, qui ont souvent réagi avec beaucoup de diplomatie. Erdogan, qui s’autorise à manipuler avec une grande légèreté le nombre des victimes algériennes durant la colonisation française, devrait savoir que la Turquie n’est pas bien placée pour parler de génocide. D’ailleurs, il a été rappelé à plusieurs reprises à plus de retenue, en s’abstenant à « souffler sur les braises du litige mémorial franco-algérien ». Mais en vain !
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