RELATIONS ALGÉRO-FRANÇAISES : LES DESSOUS DES CARTES


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Il y a eu beaucoup de brouilles et autant de retrouvailles entre Alger et Paris. On a souvent déploré l’inclination des pouvoirs algériens à ne jamais manquer une occasion d’exploiter la « rente mémorielle » quand il faut faire diversion sur un sujet qui fâche. Il y a du vrai dans ce commerce. Qu’en est-il du côté Français ?
En 1974, Valery Giscard d’Estaing, adepte de l’Algérie française et proche de l’OAS, déclara à Alger lors d’une visite d’État : « La France historique salue l’Algérie indépendante », laissant entendre que l’ancienne colonie était sans Histoire. En 2005, la loi reconnaissant « le rôle positif de la présence française outre mer, notamment en Afrique du nord » programmée pour satisfaire la partie conservatrice voire réactionnaire de l’UMP fut retirée en dernière minute de la chambre basse du parlement après un tollé médiatique de la gauche et les premiers signes d’agacement d’Alger ; l’incident venait rappeler que l’Algérie pesait toujours sur la politique intérieure de l’ex-puissance coloniale. Et pas forcément de la manière la plus saine qui soit. 


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Paradoxalement, la plus grave intrusion française dans la mémoire algérienne ne souleva aucune indignation à Alger. Elle fut commise en 2015 par François Hollande, président français de gauche qui fit le panégyrique de Messali Hadj à l’Assemblée nationale avant d’aller à Tlemcen se recueillir sur la tombe de l’homme qui livra une lutte sans merci aux combattants de la guerre d’indépendance. Son intervention fut, certes, accueillie par un silence tombal dans l’enceinte parlementaire mais nulle réaction de franche hostilité ne fut relevée de la part des députés. Le même mutisme fut doctement observé par les médias algériens après ce qui fut au minimum une indélicatesse protocolaire au pire une provocation diplomatique.
Pourquoi cette soumission ?
Le courant trotskyste français qui eut un long et fidèle compagnonnage avec Messali a toujours préempté la recherche algérienne en matière d’histoire. Imagine-t-on un président algérien chantant la gloire de Pétain au Parlement français ? Les parcours de l’homme de Verdun et celui du dirigeant de l’Etoile nord-africaine sont pourtant superposables à bien des égards ; mais la tutelle française interdit la comparaison. Cette suprématie mémorielle eut des incidences politiques très concrètes et particulièrement délétères. C’est cette dépossession qui autorisa une gauche socialiste cultivant une aversion sans limite envers le Front national à prescrire aux Algériens l’obligation de devoir plier devant les dogmes intégristes. On se souvient que ce paramétrage fit des démocrates algériens des « éradicateurs » et des islamistes des « réconciliateurs. » Du moins, tant que les armes islamistes épargnèrent le sang du Blanc. Comme pour Messali et Pétain, les indigènes furent sommés de ne pas assimiler le FIS au FN. Et la plupart des relais d’opinion se gardèrent bien de discuter ces oukases. Oui, il y a bien une aliénation intellectuelle et politique d’une grande partie de l’élite algérienne mais ce n’est pas cette dépendance qui agace le régime.
Dans ces accès de fièvre récurrents, la partie française n’est donc pas aussi innocente que le prétendent ses porte-paroles officiels ou officieux.
C’est contre ces agressions, outrances et humiliations que les Algériens devaient se mobiliser pour dénoncer « les ingérences, le néo-colonialisme, la prétention à dicter ses normes aux autochtones », tout en leur refusant le droit de combattre les dangers qu’on se fait un devoir d’éradiquer chez soi. Ce racisme par le creux était et demeure ignoble. Il ne fut condamné en Algérie que par une minorité d’irréductibles que la gauche socialiste française eut tôt fait de disqualifier en Métropole et…auprès des élites locales, dont beaucoup étalonnaient leur jugement à travers les critères émis par leurs sources parisiennes.
Dernier incident avant l’orage, l’avortement de la proposition ambitionnant de construire une mémoire solidaire sur un passé binaire conçue par l’historien français Benjamin Stora sur recommandation du président Macron. A moins que ce ne soit l’inverse.  Au contraire d’autres séquences, cette initiative pouvait bénéficier du crédit d’une sincérité en appelant à un rapprochement des positions pour mieux avancer. Sauf que L’Algérie et la France se sont fait la guerre – et quelle guerre ! -. Les peuples des deux pays ne peuvent objectivement pas avoir la même perception de cette mémoire traumatique. On peut et on doit envisager de regarder l’avenir en étudiant sereinement le terrible conflit qui a opposé les deux nations mais il n’est pas possible d’en avoir le même ressenti des deux côtés de la Méditerranée.
Dans ces accès de fièvre récurrents, la partie française n’est donc pas aussi innocente que le prétendent ses porte-paroles officiels ou officieux.
La rétractation de la partie algérienne qui avait donné son accord pour une approche partagée de l’histoire commune et qui annonçait le rejet de l’offre française fut sans conteste l’un des déclencheurs qui inspira la dernière déclaration du président Macron. Parlant devant un journaliste, le chef de l’Etat français savait très bien que son propos allait être rendu public. S’il est difficile d’aller jusqu’à affirmer que la crise était souhaitée, on peut considérer qu’elle était attendue. La fuite manifestement organisée avait pour objectif de délivrer un avertissement clair : « maintenant, ça suffit ! »
Les insinuations douteuses, la prétention de décider à la place des Algériens de ce qui doit légitimer ou non leur histoire, les maladresses comme la volonté de sortir par le haut du chantage mémoriel eurent toujours le même résultat : l’aggravation des malentendus avant le rétropédalage. La permanence de ces spasmes a une double origine : l’incapacité ou le refus de la partie française (intellectuels et politiques confondus) à établir des relations horizontales avec les dirigeants algériens et l’obsession de ces derniers à cultiver un statut victimaire par lequel ils s’exonèrent de leur calamiteux bilan. Les cercles parisiens définissant la politique algérienne ne veulent toujours pas entendre qu’entre la condescendance tiers-mondiste et la xénophobie il y a place pour la lucidité et le respect mutuels. De son côté et tout en affichant une intraitable rigidité quand il s’agit de principes, Alger ne se résout toujours pas à être traitée en adulte. Est-il possible d’impulser dans de telles conditions une dynamique saine et exigeante aux relations algéro-françaises ?
Il est indéniable que du côté algérien, la rente mémorielle est un moyen de pression dont usèrent et abusèrent tous les pouvoirs. Et tant que la nature oligarchique du régime n’aura pas changé, les dirigeants, faute de légitimité, ne se départiront pas de la possibilité de rappeler à l’ancienne puissance coloniale « ses crimes contre l’humanité » à chaque fois qu’ils seront interpellés sur leurs abus.
Les choses resteront-elles en l’état après la dernière crise ? Rien n’est moins sûr.
Même s’il a envoyé la semaine dernière son ministre des Affaires étrangères pour recoller les morceaux, le président français qui ne s’est pas déjugé, a cassé un tabou.
En reprenant à son compte la qualification journaliste de « régime politico-militaire » qui vit de la « rente mémorielle », le chef de l’Etat français a créé un précédent. Et le pouvoir algérien a bien reçu le message. 
Il est indéniable que du côté algérien, la rente mémorielle est un moyen de pression dont usèrent et abusèrent tous les pouvoirs.
La concomitance de cet incident avec les tensions qui déchirent le Maroc et l’Algérie a évidemment contribué à accentuer l’irritabilité des décideurs d’Alger. Mais le fait qu’Emmanuel Macron ait ajouté que la restriction des visas toucherait d’abord les membres de la nomenklatura et leurs proches est un élément dont il ne faut pas sous- évaluer la portée. Pour une fois, un dirigeant français de premier plan dit des responsables algériens ce qui se murmurait sur eux dans les couloirs des ministères ou en marge des cérémonies académiques.  Sur la scène publique et jusqu’à ce coming-out, le gouvernement français s’est, en effet, toujours interdit d’assimiler les membres du système algérien aux autres despotes du sud. En dépit de dérives qui n’avaient rien à envier à celles commises par les autocrates de républiques bananières, les officiels du FLN furent gratifiés d’un statut protégé. Et pour la première fois depuis 1962, cet avantage est remis en question. On sait combien il est difficile de restaurer une image écornée ; surtout quand elle est construite par la complaisance de tiers. Si l’on ajoute à cette dénudation le fait que le gouvernement français a discrètement ordonné une commission d’enquête sur les biens mal acquis en France par les responsables algériens – commission qui, naturellement, n’est pas passée inaperçue à Alger – on peut considérer que la tolérance octroyée aux notables « politico-militaires » vient de connaître sa première et vraie dégradation.



    Une "phase critique" dans les relations entre la France et l'Algérie •

La visite de Le Drian, dont les amitiés sous-terraines à Alger ont déjà été sollicitées à maintes reprises pour calmer les susceptibilités de ses partenaires du sud, peut paraître comme une volonté d’accorder encore un sursis à des récidivistes. Ce qui est en soi un camouflet supplémentaire. Mais dans ce genre de marché, quand une protection est publiquement levée, son rétablissement porte toujours les séquelles de sa mise à nu. Le message français est clair. Désormais, pour les officiels algériens aussi, les passe-droits seront chichement décomptés.
Première concession après l’orage, la France ouvrira par anticipation une partie des archives judiciaires de la guerre d’Algérie. Cette dernière décision appelle une question. Quand l’Algérie ouvrira-t-elle ses propres archives aux chercheurs nationaux ?
Ce cadeau parisien risque de réserver quelques désagréables surprises aux dirigeants d’Alger ou à leurs clientèles.










Par Saïd Sadi.
















 
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