Les plus anciennes peintures rupestres d’animaux se trouvent en Indonésie
Sur ce panneau de la grotte Leang Tedongnge en fausse couleur, un suidé est clairement reconnaissable (il mesure 1,36 mètre de long), et fait face à trois autres cochons partiellement effacés. Des traces de mains réalisées au pochoir sont visibles à gauche.
Dans l’imagination occidentale, les peintures rupestres évoquent l’emblématique grotte de Lascaux, en Dordogne, célèbre pour ses représentations exceptionnellement détaillées d’hommes et d’animaux préhistoriques. Les peintures du site de Lascaux ne remontent cependant qu’à 17 000 ans, au Paléolithique supérieur. Celles de la grotte Chauvet, en Ardèche, remontent à quelque 31 000 ans. Mais les plus anciens exemples connus d’art figuratif se trouvent en réalité en Asie du Sud-Est. Une peinture représentant des suidés découverte dans la grotte de Leang Tedongnge sur l’île de Sulawesi, en Indonésie, établit un nouveau record : elle daterait d’au moins 45 500 ans, selon une étude menée par Maxime Aubert, professeur d’archéologie à l’université Griffith en Australie, publiée le 13 janvier dans Science Advances.
« Nous insistons sur le fait qu’il s’agit seulement d’un âge minimum, déclare Maxime Aubert. L’art rupestre pourrait très bien avoir débuté entre 60 000 et 65 000 ans dans cette région. Nous avons juste besoin de plus d’échantillons pour le déterminer. »
L’île de Sulawesi, à l’est de Bornéo, est un véritable sanctuaire pour l’art rupestre. Depuis que les chercheurs ont commencé à l’explorer il y a soixante-dix ans, ils ont mis au jour près de 300 grottes ornées. En 2014, Maxime Aubert et son équipe avaient daté des dessins de mains réalisés « au pochoir » sur les parois d’une grotte à environ 40 000 ans. Et en 2019, la même équipe avait daté d’au moins 43 900 ans une peinture rupestre représentant une scène de chasse, établissant le précédent record pour une œuvre d’art figurative.
Il est en général assez difficile de déterminer quand une œuvre d’art rupestre a été créée. La composition des grottes de Sulawesi facilite cependant la datation des peintures qui ornent leurs murs. Le calcaire poreux favorise la formation de dépôts minéraux formés par la précipitation de l’eau à travers la roche, ou spéléothèmes. Les stalactites et les stalagmites sont les exemples les plus connus, mais des dépôts microscopiques peuvent également s’accumuler sur les parois des grottes, et notamment sur les œuvres picturales.
La datation des peintures préhistoriques s’appuie ainsi sur la mesure du rapport entre la concentration d’uranium et celle de thorium (qui se forme par désintégration radioactive de l’uranium) dans les dépôts minéraux recueillis sur les peintures murales. La vitesse de désintégration de chacun des deux éléments permet de calculer le temps minimal écoulé depuis leur dépôt.
Les grottes où ont été découvertes des peintures rupestres se situent dans le sud de l’île de Sulawesi, en Indonésie. La grotte de Leang Tedongnge, où se situe la scène représentant les suidés, et notée 1.
La nouvelle œuvre de la grotte de Leang Tedongnge – un groupe de trois ou quatre cochons verruqueux des Célèbes (une espèce de suidé locale) et le contour de mains humaines réalisé au pochoir – a été découverte par Basran Burhan, étudiant en doctorat et coauteur de l’étude, dans une vallée isolée accessible uniquement à pied. Après avoir pris des précautions pour s’assurer que les échantillons recueillis n’avaient pas été touchés, les auteurs ont calculé que les peintures ont été réalisées il y a au moins 45 500 ans.
« C’est une contribution importante », déclare James O’Connell, professeur émérite d’anthropologie à l’université de l’Utah, qui n’a pas participé à l’étude. « Ces résultats font écho à l’imagerie du Pléistocène tardif de Sulawesi déjà connue, en élargissant la période. »On ignore quand les hommes anatomiquement modernes sont arrivés en Indonésie. Cette nouvelle découverte est donc également significative dans la mesure où elle fournit la preuve de la présence d’humains dans la région il y a des dizaines de milliers d’années, déclare Kira Westaway, spécialiste du quaternaire à l’université de Macquarie en Australie, qui n’a pas participé à ces travaux. « D’habitude, les outils en pierre et les fossiles exhumés des couches sédimentaires fournissent les preuves les plus anciennes d’occupation humaine, et la datation de l’art rupestre vient bien après, explique-t-elle. L’Indonésie est la seule région où l’art pictural en est la preuve la plus ancienne. »
La représentation des cochons verruqueux des Célèbes, ajoute-t-elle, implique que ces animaux étaient importants pour les populations de l’époque. « Ces travaux, qui s’ajoutent à l’ensemble des découvertes réalisées par l’équipe de Maxime Aubert au cours des dernières années, contribuent grandement à notre compréhension des hommes modernes de la région », dit-elle.Mais pour Paul Pettitt, paléontologue à l’université de Durham en Angleterre, qui n’a pas non plus participé aux recherches, si les peintures rupestres de sangliers sont impressionnantes, l’approche méthodologique des auteurs « soulève des réserves sur la fiabilité de leur datation ». Plus précisément, dit-il, les âges minimums estimés ne sont que cela – des minimums – et ne peuvent être utilisés pour revendiquer de façon définitive la découverte de « l’art figuratif le plus ancien du monde ». Il ajoute que, vu la rareté des fossiles d’hommes anatomiquement modernes dans la région, on ne peut pas exclure la possibilité que ces peintures rupestres aient été réalisées par une autre espèce humaine.
Maxime Aubert admet qu’il s’agit bien d’âges minimaux, et qu’il pourrait y avoir des sites plus anciens ailleurs dans le monde. « Mais compte tenu des preuves dont nous disposons actuellement, c’est l’âge minimal le plus ancien pour l’art rupestre », maintient-il.
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