Le Lascaux d'Amazonie
Des dizaines de milliers de peintures rupestres ornent les parois de deux sites perdus dans la forêt colombienne, Chiribiquete et la Lindosa. À cause de la guerre civile, ce trésor archéologique probablement vieux de 12 000 ans est longtemps resté méconnu du public comme des chercheurs. Son étude scientifique commence enfin.
Du rouge partout ! Une demi-heure d'ascension vers la falaise sur une pente extrêmement raide a cloué mon regard au sol, mais, parvenu sous la frondaison dissimulant le pied de la falaise, je peux enfin relever la tête. Mon champ visuel est alors brusquement empli par des dizaines de pictogrammes rouges répartis sur 30 mètres de paroi et 10 mètres de haut. Ces énigmatiques glyphes rouges représentent des vampires, des serpents, des oiseaux, des tapirs, des jaguars, des danseurs, des chasseurs... La variété des styles graphiques – personnages-bâtons, silhouettes à peine esquissées ou figurations très réalistes – suggère que des cultures variées ont contribué à cette œuvre complexe. Parfois, les motifs se superposent, preuve d'une réutilisation régulière du support rocheux qui, lisse et clair, semble avoir été préparé avant d'être peint.
Avec Ernesto Montenegro, le directeur de l'Icanh (Instituto colombiano de antropología e historia), André Delpuech, le directeur du musée de l'Homme, à Paris, et Gautier Mignot, ambassadeur de France, nous sommes en Colombie face à l'une des falaises peintes de la zona arqueológica de la Lindosa, la « montagne de la Belle ». Ce petit aréopage est venu découvrir ensemble l'art pariétal de la Lindosa en pleine Amazonie. Avec celui de Chiribiquete, l'Unesco vient de classer ce site au Patrimoine mondial de l'humanité. Avant de nous retrouver face à ce trésor rupestre, il nous a fallu faire plus de douze heures de voiture depuis Bogotá, la capitale, pour rejoindre la localité de San José dans le département du Guaviare ; de là, nous avons fait quelques heures de pirogue, puis roulé pendant deux heures à travers la forêt dans une voiture tout-terrain avant que, finalement, une rude ascension nous mène jusqu'à cet abri-sous-roche.
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Énigmatique, la multitude des représentations forme un chaos sur la paroi. La couleur rouge de la plupart des peintures ne m'étonne guère, tant je sais l'omniprésence des oxydes de fer dans les basses terres de l'Amérique du Sud ; je note cependant que du noir apparaît dans quelques rares œuvres. Surtout, la très bonne conservation des peintures, malgré la puissance de la pluie et du vent amazoniens, attire bien plus mon attention. La fraîcheur de certaines d'entre elles est même sidérante : il semble que les artistes aient mis au point un mélange de pigments et de matières adhésives capables de résister des millénaires durant...
La Lindosa comporte une dizaine d'abris-sous-roche ornés de milliers de peintures. Les datations prouvent un usage très ancien du site, nous apprennent nos guides colombiens. Et l'ethnologue Carlos Castaño Uribe, qui a exploré et étudié le site de Chiribiquete, annonce pour sa part pas moins de 70 000 dessins, dont certains, clame-t-il, seraient très anciens. Les vestiges archéologiques attestent d'un long usage des deux sites pendant la préhistoire. Bref, la Colombie arbore une sorte d'immense « Lascaux de l'Amazonie ».
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Comment a-t-on pu passer à côté d'un patrimoine pictural aussi important ? La principale raison est qu'il est resté pendant des décennies aux mains d'une armée dissidente et de bandes criminelles. La guerre entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) et le gouvernement colombien, qui a fait des centaines de milliers de morts et déplacé des millions de Colombiens, a fait peser une chape de terreur sur toute la région. Pour se financer par le trafic de cocaïne, les révolutionnaires collaboraient avec les narcotrafiquants. Tous avaient des bases dans la forêt. Étant donné les combats qui eurent lieu non loin de la Lindosa et le fait que la forêt soit hantée par les narcotrafiquants et les Farc, il était peu envisageable d'envoyer des chercheurs dans la région. Cette situation a perduré pendant la plus grande partie de la seconde moitié du xxe siècle et n'a vraiment pris fin qu'en 2017.
La première merveille de l'amazonie
Personnellement, j'ai appris l'existence de Chiribiquete en éditant le livre Las Siete Maravillas de la Amazonía Precolombina
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