La naissance de Jésus en cinq questions
Est-il né à Bethléem ou bien à Nazareth ? En quelle année et quel jour ? A-t-il été adoré par des mages ou par des bergers ? Si Noël est sans doute la fête la plus célébrée au monde, pour les historiens, la Nativité reste nimbée de mystère.
L'Adoration des bergers. Par Georges de La Tour. Musée du Louvre • WIKIMEDIACOMMONS
Hormis le Nouvel An, la fête la plus populaire dans le monde est le 25 décembre, jour de la naissance de Jésus de Nazareth, le messie chrétien, que plus de deux milliards de personnes célèbrent dans l’allégresse. Cependant, de tous les épisodes en lien avec le christianisme, cette fête est celle qui a le moins de fondements rigoureusement historiques.
Une naissance à demi-mot
L’historicité de cette fête repose uniquement sur deux des quatre Évangiles canoniques (reconnus par l’Église). Il s’agit des récits autour de la naissance de Jésus appelés « évangiles de l’enfance » contenus dans les deux premiers chapitres des Évangiles de Matthieu et de Luc, et qui auraient été composés entre 85 et 90. Le plus ancien des Évangiles, celui de Marc, peut-être écrit entre 71 et 75, ne dit pas un mot à ce propos, probablement parce que son rédacteur ne savait rien de certain. Et le dernier Évangile, écrit par Jean vers l’an 100, passe sous silence la naissance de Jésus, peut-être volontairement, ce thème n’intéressant absolument pas l’auteur, qui se concentre sur Jésus incarnation de la Parole ou Sagesse divine.
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Les évangiles apocryphes (qui ne sont pas reconnus par l’Église), parlent aussi de la naissance du Messie, notamment le Protévangile de Jacques (écrit vers 150) et l’Évangile du pseudo-Matthieu (dont le texte date du VIe siècle, mais inclut des légendes remontant à l’an 200). Il existe des passages citant la naissance du Messie dans les apocryphes tardifs des IXe et Xe siècles, qui exploitent des mythes anciens : le Livre de la nativité de Jésus, Histoire de la nativité de Marie et Histoire de l’enfance du Sauveur. Mais ces ouvrages sont très éloignés chronologiquement des événements qu’ils relatent, et leurs auteurs se laissent en permanence emporter par leur fantaisie et leur imagination.
Une enfance prodigieuse
Les Églises chrétiennes ont élaboré une histoire de la conception et de la naissance du Messie en imbriquant essentiellement les récits de Matthieu et de Luc. La représentation la plus vivante de ce récit mixte est incarnée par les crèches populaires. Dès le Moyen Âge, leur composition a donné à voir à un public chrétien analphabète l’axe le plus intéressant de ces deux Évangiles.
La naissance de Jésus est toujours représentée dans une grotte où l’on voit également l’âne, ou la mule, et le bœuf (animaux que l’on ne trouve que dans le tardif Évangile du pseudo-Matthieu), l’adoration des bergers, le roi Hérode et les trois Rois mages, Melchior, Gaspard et Balthazar (apparus très tardivement, vers le Ve siècle). Mais le massacre des Innocents ordonné par le monarque juif et la fuite en Égypte de la famille de Jésus pour échapper à ce massacre ne sont pas représentés.
En réalité, les récits de Matthieu et de Luc diffèrent tellement l’un de l’autre qu’ils semblent relater la naissance de personnages différents, un peu comme s’ils narraient les origines non pas d’un héros unique, mais de deux. Les sources des deux récits sont discordantes et souvent contradictoires : les généalogies, les faits et les circonstances de l’un ne coïncident absolument pas avec ceux de l’autre. Matthieu parle des mages, d’Hérode, du massacre des Innocents et de la fuite en Égypte, dont Luc ne dit mot. Ce dernier, en revanche, relate d’autres épisodes, tels que la visite rendue par Marie à sa parente Élisabeth (mère de Jean le Baptiste) ou l’adoration des bergers, dont Matthieu ignore tout.
Il est très probable que les informations fournies dans ces récits de l’enfance aient été recueillies plusieurs années après la mort de Jésus, survenue en l’an 30 ou 33, alors que personne – ou presque personne – n’était encore en vie et susceptible de confirmer la véracité ou le caractère imaginaire de ces données. Cette pratique n’avait rien d’anormal, car on procéda ainsi avec la plupart des grands personnages de l’Antiquité juive et gréco-romaine, tels que Moïse, Pythagore, Platon, l’empereur Auguste, et même Alexandre le Grand. Après leur mort, si l’on ne disposait d’aucune donnée attestée à leur sujet, on compilait les « histoires » de leurs naissances et de leurs prodigieuses aventures de jeunesse. Il en va de même avec Jésus : au-delà de son importance théologique (Messie et Sauveur, assis à la droite de Dieu, et juge des vivants et des morts), dès lors que sa vie en ce monde fut jugée extraordinaire, le désir de connaître les détails relatifs à sa naissance et à son enfance grandit, sa vie publique étant suffisamment connue.
Matthieu et Luc, une énigme
Les deux premiers chapitres des Évangiles de Matthieu et de Luc ont été ajoutés alors que les deux textes étaient déjà rédigés. Un argument solide permet d’étayer cette affirmation, car dans la suite des deux Évangiles, les personnages principaux semblent ne pas avoir la moindre idée de ce qui s’est passé précédemment et ignorent tout de la naissance de Jésus. Marie, sa mère, paraît ne pas savoir que la naissance de son fils est d’origine miraculeuse ; que dès l’enfance, à 12 ans, Jésus savait qu’il « devait s’occuper des choses de son Père ». Elle paraît ignorer aussi que Jésus avait été déclaré Messie dès sa conception (« celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu », annonce l’ange Gabriel à Marie en Luc 1, 35) et qu’il est destiné à accomplir de grandes choses en Israël ; à l’instar de ses proches, elle pensait plutôt qu’il avait « perdu la tête », comme le raconte Marc (Mc 3, 21).
Deux raisons ont pu pousser Matthieu et Luc (ou, plus vraisemblablement, d’autres auteurs, vers le milieu du IIe siècle) à ajouter ces chapitres. La première est que ces évangélistes se sont rendu compte que le premier d’entre eux, Marc (qu’ils ont partiellement copié), avait écrit une « biographie » imparfaite de Jésus puisque manquaient les premiers pas du héros dans le monde. La seconde est la volonté de souligner que, à l’instar d’autres grands personnages de l’Antiquité, Jésus avait eu une enfance prodigieuse, et même bien supérieure à celle des héros païens, des dieux ou des demi-dieux.
1. LA NAISSANCE DE JÉSUS
Est-il né à Bethléem ou à Nazareth ?
D’après Matthieu, Jésus « est né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode » (Mt 2, 1). Selon Luc, « Joseph monta de la ville de Nazareth en Galilée, à la ville de David qui s’appelle Bethléem en Judée […] pour se faire recenser avec Marie son épouse […]. Or, pendant qu’ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva ; elle accoucha de son fils premier-né » (Lc 2, 4-7).
Mais Marc et Jean postulent, eux, ou laissent entendre que la naissance de Jésus a eu lieu à Nazareth, en Galilée. De fait, selon une tradition établie, Jésus n’est jamais nommé « de Bethléem », mais bien « de Nazareth ». Jean souligne que certains doutent que Jésus soit le Messie, car il n’est pas né à Bethléem : « Le Christ pourrait-il venir de la Galilée ? L’Écriture ne dit-elle pas qu’il sera de la lignée de David et qu’il viendra de Bethléem ? » (Jn 7, 41-42).
Ce texte souligne que, tant chez les chrétiens que chez leurs ennemis, il y avait un conflit entre deux traditions faisant naître le Messie à Bethléem ou à Nazareth. La version de Marc est la plus vraisemblable : « Jésus partit de là. Il vient dans sa patrie » (Mc 6, 1), c’est-à-dire Nazareth. Ainsi que celle de Jean, quand l’apôtre Philippe dit à Nathanaël (futur apôtre Barthélémy) : « Celui de qui il est écrit dans la Loi de Moïse et dans les Prophètes, nous l’avons trouvé : c’est Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth », Nathanaël lui répondant : « De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ? » (Jn 1, 45-46). Dans ce même Évangile, lorsque Jésus arrive à Jérusalem pour Soukkot, ou fête des Tabernacles, les gardiens ne l’arrêtent pas, car ils le prennent pour un prophète, ce qui fait dire à un pharisien s’adressant à un autre : « Cherche bien et tu verras que de Galilée il ne sort pas de prophète. » (Jn 7, 52).
Il n’est donc pas improbable que Jésus soit né à Nazareth, un obscur petit village. Ce n’est que bien plus tard, quand on croit qu’il est le Messie, qu’est composée l’histoire de sa naissance à Bethléem afin que s’accomplissent les prophéties, notamment celle de Michée : « Et toi, Bethléem Éphrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. » (Mi 5, 1). Matthieu fait donc vivre les parents de Jésus à Bethléem, tandis que Luc les présente comme habitant à Nazareth et déménageant à Bethléem parce qu’un recensement romain aurait contraint Joseph à s’inscrire à l’endroit où il était né.
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2. UNE DATE CONTROVERSÉE
En quelle année Jésus est-il né ?
Jésus est-il né en l’an 1 de notre ère ? Il semble que non. Cette date serait une erreur de calcul de Denys le Petit, un moine qui vivait au VIe siècle. À cette époque, les années étaient numérotées d’après l’ère de Dioclétien, commençant au début du règne de cet empereur qui avait persécuté les chrétiens. Denys estime donc qu’il faut modifier la façon dont les chrétiens numérotent les années et décide que l’année de naissance de Jésus sera l’an 1. Selon les Évangiles de Matthieu et de Luc, Jésus est né sous le règne d’Hérode, et Denys le Petit établit que ce roi est mort en l’an 753 a.u.c (ab urbe condita), qui signifie « depuis la fondation de Rome », un événement qui constituait la référence universelle pour le décompte du temps en Occident. Selon Denys le Petit, Jésus serait né à la fin de cette année, de sorte que le 1er janvier 754 a.u.c serait le premier jour de l’ère chrétienne, c’est-à-dire de l’an 1 après Jésus-Christ.
Cependant, nous savons que Hérode est mort en l’an 750 a.u.c. Si l’on ajoute un ou deux ans à cette date (ces années où Jésus aurait vécu à Bethléem avant le massacre des Innocents), Jésus serait alors né vers 748 ou 749 a.u.c, c’est-à-dire cinq ou six ans avant la date calculée par Denys. Jésus serait donc né en l’an 5 ou 6 av. J.-C.
Il est possible que Denys le Petit ne se soit pas trompé et qu’il ait choisi une date symbolique approximative. On accordait une grande valeur symbolique au chiffre 7 et au nombre 27 dans l’Antiquité. Multiple de 3 et de 9, le 27 a joué un rôle important pour expliquer la formation de l’univers, dans l’Antiquité, à partir du Timée de Platon. En outre, le 27 était fondamental pour calculer les proportions des édifices sacrés et publics de l’architecture romaine. Ainsi, le nombre 7 (00) + 27 + 27 = 754 était beaucoup plus significatif que 748 ou 749 pour souligner le changement majeur survenu dans l’histoire du monde, la venue de Jésus. Il est probable que, malgré la chronologie, Denys ait pris la décision de faire coïncider la naissance du Christ avec le nombre sacré le plus proche. Quant au jour de naissance du Christ, les évangélistes n’en parlent pas. Ce ne peut pas être en hiver, puisque l’Évangile de Luc dit que les bergers gardaient leurs troupeaux à l’extérieur. Le choix du 25 décembre est arbitraire, l’Église ayant d’ailleurs admis avoir choisi cette date pour contrecarrer la fête païenne de Sol Invictus. L’Église aurait-elle substitué la date de naissance de Jésus à celle du dieu Mithra, également fêté le 25 décembre ? Une hypothèse incertaine, car il n’existe aucun texte de l’Antiquité indiquant que Mithra serait né ce jour-là.
3. L’ADORATION DES MAGES
Trois rois mages sont-ils venus à Bethléem ?
Matthieu raconte que des mages adorent Jésus et lui offrent des cadeaux (Mt 2, 1-12), mais tout ce que nous savons d’eux se limite à ce récit. D’autres détails relèvent de récits postérieurs, fantaisistes, des évangiles apocryphes, comme le fait que les mages étaient rois et qu’ils étaient trois. Le mot « mages » avait deux significations : soit ils pratiquaient la magie noire ou blanche, soit ils étaient des prêtres du zoroastrisme, la religion des Perses, et étudiaient les astres et leur influence sur les êtres humains : l’astrologie.
Les mages cherchent « le roi des Juifs qui vient de naître ». Matthieu affirme ainsi que Jésus est le véritable roi du monde, non l’empereur romain. Cet évangéliste ne parle certes pas de Jésus en tant que Fils de Dieu, mais il l’indique indirectement (les mages « se prosternant, lui rendirent hommage »), et ses lecteurs ont pu lire précédemment que la conception de Jésus est l’œuvre de l’Esprit saint. Matthieu écrit que les mages « venaient d’Orient », et s’ils étaient « mages » ils devaient venir de Perse. Des chercheurs ont cependant suggéré qu’ils venaient d’Arabie, car ils offrent à Jésus « de l’or, de l’encens et de la myrrhe ». Or, selon la prophétie d’Isaïe (Is 60, 6), l’or et l’encens étaient les présents que les peuples de cette région apporteraient à Jérusalem en cadeau au roi et en louange à Dieu.
Cela étant, l’historicité de l’épisode des mages n’est pas du tout établie, ce que même l’Église reconnaît. Le texte de Matthieu fourmille d’invraisemblances : une étoile d’Orient apparaissant au-dessus de Jérusalem et se dirigeant au sud vers Bethléem pour s’y arrêter aurait été un phénomène sans équivalent dans l’histoire de l’astronomie ; or les chroniques de l’époque n’en font pas état. L’attitude du rusé Hérode n’est pas crédible : il ne tente rien pour suivre les mages, qui prétendent venir adorer un roi rival, et sa police est incapable de découvrir, dans un petit village, l’enfant que sont venus voir trois grands mages. La légende des mages est inconciliable avec le texte de Luc, où ce sont des bergers qui adorent Jésus, et où ne sont mentionnés ni le rôle d’Hérode ni le massacre des Innocents ni la fuite en Égypte, tous épisodes relatés par Matthieu.
Le message théologique de cet Évangile est clair : Jésus naît dans la ville de David pour que s’accomplissent les prophéties concernant le Roi-Messie, le sauveur non seulement d’Israël, mais du monde entier. C’est un roi d’une importance telle que sa naissance est annoncée par une étoile, et Dieu révèle cet événement à des non-juifs ; les mages incarnent tous les gentils qui croiront en la prédication de Jésus sauveur.
Les questions autour de la naissance de Jésus
4. LE MASSACRE DES INNOCENTS
Hérode a-t-il tué des nouveau-nés ?
Matthieu raconte que le roi Hérode, informé par les mages de la naissance d’un rival et soucieux d’éliminer cette menace, envoie tuer tous les enfants âgés de moins de 2 ans qui se trouvent à Bethléem. D’aucuns soutiennent que l’histoire s’est déroulée telle que la relate Matthieu car elle concorderait avec la cruauté d’Hérode. Il est ainsi avéré que, sur le point de mourir, le roi ordonne à sa sœur Salomé de rassembler 300 personnes choisies parmi les plus illustres familles du pays dans l’amphithéâtre et de les cribler de flèches. En disant : « Ainsi, quand je mourrai, les gens du pays pleureront vraiment, car ils auront aussi de quoi se lamenter. »
Cependant, la majorité des chroniqueurs, catholiques inclus, déclarent que le récit de Matthieu est purement fantaisiste, qu’il s’agit d’une tradition populaire chrétienne, ou mieux d’une « histoire théologique » composée par Matthieu ou par un inconnu en exploitant des textes de l’Ancien Testament adaptés symboliquement à Jésus. Le massacre des Innocents s’inscrit dans l’histoire des mages d’Orient, qui est mythique. En outre, dans les narrations postérieures de la vie publique de Jésus, on ne relève aucune trace d’un événement aussi extraordinaire.
D’autre part, cette histoire et la fuite en Égypte de Joseph, Marie et Jésus, après qu’un ange les a avertis qu’Hérode veut tuer l’enfant, ne cadre absolument pas avec le récit de Luc déclarant que, peu après la naissance de Jésus, la famille retourne à Nazareth sans le moindre incident : « Lorsqu’ils eurent accompli tout ce que prescrivait la loi du Seigneur [la présentation de l’Enfant Jésus au temple de Jérusalem et la purification de Marie], ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth » (Lc 2, 39).
Un tel épisode est omis dans la narration détaillée des derniers jours d’Hérode que fait l’historien juif romain Flavius Josèphe dans Antiquités judaïques. Il n’existe de récit aussi minutieux des derniers jours d’un roi que de très peu de personnages de l’Antiquité gréco-romaine, et si de tels faits s’étaient réellement déroulés, l’historien les aurait consignés avec certitude dans son ouvrage.
Quant au nombre de morts lors du massacre, la tradition est variable. La version la plus fiable parle d’une vingtaine d’enfants, estimant que Bethléem comptait à cette époque environ 1 000 habitants. Au IIe siècle, Justin Martyr, dans Dialogue avec Tryphon, ne donne aucun chiffre. Mais la littérature byzantine de l’Église orthodoxe avance le chiffre de 14 000 et un sanctoral de l’Église syrienne antique parle de 64 000.
5. LE DÉPART DE LA SAINTE FAMILLE
La fuite en Égypte et le retour en Israël
Les chercheurs estiment généralement que l’histoire des mages s’achevait par le massacre des Innocents, et que Matthieu a ajouté l’épilogue de la fuite de la Sainte Famille en Égypte. Selon l’évangéliste, quand Hérode meurt, un ange dit à Joseph qu’il retournera en Israël avec sa famille : « Apprenant qu’Archélaüs régnait sur la Judée à la place de son père Hérode, [Joseph] eut peur de s’y rendre ; et divinement averti en songe, il se retira dans la région de Galilée et vint habiter une ville appelée Nazareth, pour que s’accomplisse ce qui avait été dit par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen » (Mt 2, 22-23). En réalité, ce terme n’est pas lié à Nazareth ; il est probable que pour évoquer la mission divine de Jésus, Matthieu a utilisé deux mots à connotation messianique : nazir/naziréat qui signifie « consacré » ou « voué à Dieu » comme l’étaient Samson et Jean le Baptiste ; et néçèr « rameau » ou « rejeton » de David, selon la prophétie d’Isaïe : « Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines » (Is 11, 1).
Les croyants pensent que la fuite en Égypte est à la fois un fait historique et un symbole. Le retour de la Sainte Famille en Israël aurait été annoncé par celui des Juifs exilés à Babylone par le roi Nabuchodonosor II en 587 av. J.-C. quand il avait rasé Jérusalem, et où ils restèrent jusqu’à ce que Cyrus, le roi de Perse, leur permette de revenir sur leur terre, en - 539. Alors qu’avec l’adoration des mages, Matthieu symbolisait l’acceptation du message de Jésus par les païens, le massacre ordonné par Hérode évoque clairement le rejet par les autorités juives de la révélation divine proposée par Jésus.
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Cette histoire serait en outre une préfiguration du récit de la Passion. De même que Dieu libère son fils de la mort en l’emmenant en Égypte et en le ramenant en Israël, quelques années plus tard le gouvernement juif et les habitants de Jérusalem tentent d’en finir avec Jésus en le crucifiant, mais ils sont incapables de le détruire puisqu’il ressuscite : Dieu a libéré son Fils en ne permettant pas que sa vie s’achève dans le tombeau.
Selon Matthieu, Jésus séjourne en Égypte quand il est tout enfant. Par conséquent, la tradition juive forgée à partir du Talmud (les commentaires de la Bible par les rabbins des Ve et VIIe siècles), qui voulait que Jésus eût appris en Égypte les arts de la magie, s’était fait tatouer des sortilèges… et avait exercé comme mage au cours de sa vie publique en trompant le peuple, est totalement dénuée de fondement.
Pour en savoir plus
• Dictionnaire Jésus, École biblique de Jérusalem, Bouquins, 2021.
• Jésus. Dictionnaire historique des évangiles, M.-F. Baslez, Tallandier (Texto), 2020.
Chronologie
An 4 av. J.-C.
Mort d’Hérode le Grand ; Jésus naît sous son règne, en l’an 6 ou 5.
An 30
Les Romains crucifient Jésus au mois d’avril de cette année ou de l’an 33.
Ier siècle
Rédaction des Évangiles de Marc, Matthieu, Luc et Jean.
IIe siècle
Premiers évangiles apocryphes. Les derniers sont rédigés aux Ve et VIe siècles.
VIe siècle
Denys le Petit fait une erreur en calculant la date de naissance de Jésus.
Antonio Piñero, professeur de philologie néotestamentaire à l’université Complutense de Madrid. Auteur d’el jesús histórico
https://www.histoire-et-civilisations.com/papier/2021/edition-de-decembre-2021-n078/la-naissance-de-jesus-en-cinq-questions-78895.php