À Rome, le Capitole domine le monde
Ce n’est ni la plus vaste, ni la plus haute des sept collines de la Rome antique. Mais c'est ce lieu escarpé que les Romains ont choisi pour y dresser le sanctuaire de leur dieu suprême, Jupiter. Et en faire, par la même occasion, le cœur de tous leurs rituels politiques et religieux.

À Rome, le Capitole domine le monde 40830
Vue actuelle de la colline du Capitole. Peu de vestiges d'époque romaine sont préservés sur place. Le sommet est aujourd'hui occupé par la basilique Santa Maria in Aracoeli et la place du Campidoglio • ISTOCK


Comment la plus petite des sept collines de Rome a-t-elle pu devenir la plus prestigieuse, comme l’indique son étymologie caput (la « tête », en latin) ? La topographie donne une première réponse : entouré de falaises abruptes, son sommet n’est accessible que par une rampe (le clivus capitolinus), ce qui en fait une forteresse naturelle offrant de nombreuses possibilités de défense. Il jouit aussi d’une position stratégique, dominant d’un côté le Forum et de l’autre le Champ de Mars jusqu’au Tibre. Le Capitole (ou mont Capitolin) se compose en réalité de deux collines reliées entre elles par une dépression : au nord, l’Arx, considérée comme la citadelle de Rome ; au sud, le Capitolium, où se trouve le complexe religieux.
Les Étrusques posent leur marque
L’histoire du Capitole commence à l’âge de bronze. Les vestiges de l’archéologie témoignent d’une occupation précoce du site, dès le XIVe siècle av. J.-C., mais il faut attendre l’époque romaine pour que la colline soit véritablement urbanisée. Selon la tradition, peu après la fondation de la ville en 753 av. J.-C., Romulus aurait créé un asile (asylum) entre les deux collines. Refuge sacré destiné à accueillir tout individu, quelle que soit sa condition, il était aussi un moyen commode de peupler la nouvelle cité. C’est également sur le Capitole que se joua une trahison retentissante : d’après la légende, Tarpeia, fille du gouverneur de la citadelle, aurait ouvert les portes de la ville à Tatius, roi des Sabins, les ennemis jurés des Romains. Comme prix de sa trahison, elle devait recevoir les bijoux en or portés par les Sabins. Mais ceux-ci y ajoutèrent leurs boucliers, écrasant Tarpeia sous leur poids. Elle laissa son nom à la roche Tarpéienne, du haut de laquelle furent précipités certains condamnés à mort jusqu’à la fin de la République. Ce lieu d’exécution marqua tant les esprits que l’on garde encore en mémoire le fameux adage qui rappelle que la disgrâce peut rapidement succéder à la gloire : « Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne. »


The Great Empire ROME - The Republic Of Rome


C’est durant la période étrusque de Rome, du VIIIe au VIe siècle av. J.-C., que le Capitole prend toute son importance religieuse, avec la construction du temple de Jupiter.
Du VIIIe au VIe siècle av. J.-C., sous les rois étrusques, le Capitole prend toute son importance avec la construction du temple de Jupiter. D’après l’historien latin Tite-Live, les travaux entrepris par Tarquin l’Ancien auraient été achevés par Tarquin le Superbe, mais en raison du départ précipité du tyran, le temple n’aurait été consacré qu’en 509 av. J.-C., première année de la République. De taille impressionnante (près de 63 m de long pour 53 m de large), il est dédié aux trois divinités protectrices de Rome, connues sous le nom de « triade capitoline » : Jupiter Optimus Maximus (Très Bon, Très Grand) – la plus importante –, Junon et Minerve. Au-delà de sa dimension religieuse, l’édification du temple revêt dès l’origine une signification politique forte : il s’agissait de symboliser la puissance de Rome en concurrençant le temple de Jupiter situé à Albe, sa grande rivale.
« Malheur aux vaincus ! »
En 390 av. J.-C., Rome connaît le premier désastre de son histoire : les Gaulois établis dans la plaine du Pô envahissent l’Étrurie sous la conduite de leur chef Brennus. Contre toute attente, ils défont l’armée romaine, s’emparent de Rome, la mettent à sac et l’incendient. La population qui n’a pas été massacrée ainsi que les soldats présents à Rome trouvent refuge sur le Capitole. Commence alors un siège qui durera sept longs mois. Une nuit, les Gaulois tentent par surprise de s’emparer de la citadelle qui, à en croire Tite-Live, ne dut son salut qu’aux oies que l’on y élevait en l’honneur de Junon : alors que ni les sentinelles ni même les chiens n’avaient perçu quoi que ce soit d’anormal, ce furent leurs cris qui donnèrent l’alerte, permettant à la garnison de repousser l’assaut ennemi. Devant cette résistance inattendue, Brennus finit par se retirer, non sans avoir obtenu le paiement d’une forte rançon et lancé son fameux « Vae victis ! » (« Malheur aux vaincus ! »).
Pour célébrer le départ des Gaulois, on instaure sur le Capitole des jeux en l’honneur de Jupiter, dont on jugeait décisif le rôle joué dans cet heureux dénouement. C’est également à cette époque que remonte la construction du temple de Junon Moneta (« celle qui avertit »), en lieu et place de l’ancien sanctuaire où résidaient les fameuses oies. On a aussi mis en relation avec l’invasion gauloise un rite surprenant : selon Pline l’Ancien, les Romains organisaient chaque année une procession où une oie était transportée sur une litière luxueuse. Tout le long du trajet, des chiens étaient crucifiés vivants sur des poteaux ; ils payaient ainsi leur négligence de ne pas avoir aboyé lorsque le Capitole avait été menacé. En réalité, ce rite, dont il est difficile de préciser l’origine, semble antérieur à ces événements.


Rome, une ville née du Tibre


Un temple plusieurs fois remanié
Les premiers siècles de l’Empire sont marqués par les travaux d’embellissement du temple de Jupiter, plusieurs fois détruit et reconstruit avec toujours plus de magnificence. Des empereurs y laissent leur empreinte : Auguste qui, pour assurer à l’empire nouvellement fondé le soutien de la triade, fait une offrande impressionnante d’or et de pierres précieuses, Vespasien et surtout Domitien, qui donne au temple sa forme définitive et la plus éclatante. Aux alentours, les sanctuaires et autres lieux de culte se multiplient. Mais au Ve siècle commence la mise en pièces du temple de Jupiter, victime de la lutte contre le paganisme autant que des invasions barbares : tout ce qu’il y a de précieux est arraché et volé, les statues sont pillées ou détruites. À la Renaissance, un palais est construit sur ses ruines. Le site abrite désormais les musées du Capitole, où de nombreux vestiges sont exposés.
Le temple de Jupiter était l’un des plus imposants et des plus luxueux de Rome. Construit sur un modèle étrusque, il présentait la particularité d’avoir une triple cella. La cella désignait la petite salle, généralement fermée au public et réservée aux prêtres, qui abritait la statue de la divinité. Celui de Jupiter Capitolin en avait trois, une pour chaque membre de la triade. La statue de Jupiter trônait logiquement dans la cella centrale, celles de Junon et de Minerve dans les cellae latérales.
Le temple était à l’origine construit en bois et en tuf, roche locale tendre, d’origine volcanique. Ravagé à plusieurs reprises par des incendies et régulièrement frappé par la foudre, il fut souvent restauré et même, par deux fois, intégralement reconstruit, pour devenir un temple de plus en plus somptueux. Le marbre succéda au tuf, les massives colonnes doriques furent remplacées par d’élégantes colonnes de style corinthien. C’est sous le règne de Domitien (81-96 apr. J.-C.) qu’il surpassa par sa splendeur toutes les versions antérieures : son toit était recouvert de tuiles dorées, ses portes plaquées de lames d’or ; on éleva une gigantesque statue chryséléphantine (en or et en ivoire) de Jupiter, comparable à celle de Zeus à Olympie, l’une des sept merveilles du monde.
Embouteillage de statues
Ce n’était toutefois pas le seul lieu de culte du Capitole. Il était entouré d’un vaste espace sacré qui occupait tout le sommet de la colline. On y trouvait une multitude de temples de tailles plus modestes, d’autels et de sanctuaires. Plusieurs étaient consacrés à Jupiter dans différentes attributions : temple de Jupiter Tonnant, de Jupiter Gardien ou de Jupiter Férétrien, autel de Jupiter Sauveur ; il y avait aussi les temples consacrés à d’autres divinités comme celui de Mars Vengeur ou de Vénus Érycine ; les temples de divinités allégoriques : Fides (la Bonne Foi), Mens (la Raison) ou Ops (l’Abondance). Autant de constructions serrées, écrasées sous la masse du temple de Jupiter. Le promeneur de la Rome impériale aurait aussi observé un véritable amoncellement de statues, colonnes et trophées variés : statues colossales de Jupiter (l’une était si grande qu’elle pouvait, dit-on, s’apercevoir depuis Albe, distante de près de 20 km !) et d’Hercule, de Mars, de Castor et Pollux, et de dizaines d’autres divinités. On prit aussi l’habitude d’élever des statues en l’honneur de Romains célèbres : rois de Rome, anciens consuls, empereurs… Elles étaient si nombreuses qu’elles finirent par se trouver à l’étroit et qu’il fallut à plusieurs reprises en déplacer certaines pour libérer de la place.
Toutes sortes d’activités se plaçaient sous le patronage des dieux du Capitole. C’est au sein du temple de Jupiter, dans un coffre en pierre, qu’étaient déposés les Livres sibyllins, recueils de prescriptions supposées contenir le destin de Rome. Achetés à prix d’or à la sibylle de Cumes par Tarquin le Superbe, ils devaient être conservés en lieu sûr. Ils étaient consultés en cas de prodige ou dans les situations critiques, pour savoir quel dieu apaiser et par quels rites. Lorsqu’ils furent détruits en 83 av. J.-C. par un incendie, il parut indispensable de les reconstituer rapidement. On rassembla alors les prophéties d’autres sibylles, recueillies ailleurs.
Un sommet hautement politique
C’est aussi sur le Capitole que les consuls, magistrats suprêmes de la République, accomplissaient nombre d’actes politiques. Ils y prenaient officiellement leur fonction au cours d’une cérémonie ritualisée : après être montés en procession au Capitole, ils consultaient les auspices et offraient un sacrifice à Jupiter au nom de la République. Ils réunissaient ensuite le Sénat devant les portes du temple pour une séance inaugurale, au cours de laquelle on décidait des expéditions militaires à venir. De retour de campagne, les généraux victorieux traversaient le Forum et montaient au Capitole pour rendre grâce à Jupiter et lui offrir une part du butin. À la fin de leur mandat d’une année, les consuls étaient représentés par des statues, qui se bousculaient sur l’esplanade capitoline.
Le Capitole s’inscrit aussi dans l’histoire du droit romain. En témoigne la présence du temple de Fides (la Bonne Foi), gardienne des engagements et des traités, conservés en ce lieu sous sa protection. Le Tabularium, bâtiment construit sur les pentes de l’Arx, abritait les archives de l’État – lois, décrets et autres documents officiels retranscrits sur des tablettes de cire (tabulae). Les textes des lois et des traités envahissaient même les murs des temples et les socles des statues, gravés sur des tablettes de bronze.
Outre leur fonction religieuse, les temples du Capitole servaient aussi de lieu de prestation de serment, de coffre-fort, voire de musée !
Un temple romain pouvait renfermer des richesses considérables, s’il présentait des conditions de sécurité suffisantes. Plusieurs, sur le Capitole, ont joué ce rôle : le temple de Mars Vengeur, le temple d’Ops, qui abrita entre ses murs la somme colossale de 700 millions de sesterces déposée par Jules César, et surtout le temple de Jupiter qui, en raison de sa renommée, fut très longtemps utilisé comme lieu de dépôt de trésors cachés dans le trône même de la statue du dieu.
Un temple servait aussi à l’occasion de « musée ». On y déposait quantité d’offrandes votives qui, d’objets simples et sans valeur au départ, devinrent peu à peu des ouvrages plus sophistiqués. Ces temples étaient ouverts au public, à date fixe. On y trouvait les œuvres des plus grands artistes, exposées comme dans une galerie d’art. Le temple de Jupiter Capitolin était réputé pour l’opulence de sa décoration intérieure, notamment grâce aux offrandes d’Auguste, qui vinrent enrichir les nombreux objets précieux rapportés avant lui par les généraux victorieux. Ce faste n’a pas peu contribué au statut unique du Capitole, initialement colline escarpée, devenue joyau et âme de Rome.
Pour en savoir plus
• Urbs. Histoire de la ville de Rome, des origines à la mort d’Auguste, A. Grandazzi, Perrin, 2017.
• La religion des Romains, J. Scheid, Armand Colin, 2017.


Le Capitole : la colline sacrée de Rome [3D] - Les Nocturnes du Plan de Rome -



Chronologie
616 av. J.-C.
La colline du Capitole devient le centre sacré de Rome. On y érige le premier temple dédié à Jupiter.
509 av. J.-C.
Après le départ de Tarquin le Superbe, dernier roi de Rome, le consul Marcus Horatius Pulvillus inaugure un temple au sommet du Capitole.
83 av. J.-C.
Le temple de Jupiter Capitolin est entièrement dévasté par un incendie. Sylla lance la construction d’un nouveau sanctuaire.
69 apr. J.-C.
Pendant cette année de crise, le temple de Jupiter et d’autres monuments du Capitole sont détruits par un autre incendie.
78
Domitien entreprend la construction d’un nouveau temple majestueux au sommet du Capitole, qui en sera la version définitive.
455
Le roi vandale Genséric pille Rome pendant deux semaines. Il détruit les sanctuaires du Capitole, dont le temple de Jupiter.
Le Capitole à l’époque des rois étrusques
Autour de 600 av. J.-C., des bâtiments civils et religieux remplacent les anciennes huttes construites par les premiers habitants de la colline du Capitole. On sait que la zone résidentielle qui l’occupa pendant la première moitié du VIe siècle av. J.-C. fut ensuite détruite pour poser les fondations du temple Capitolin. Si les travaux commencèrent peut-être dès le règne de Tarquin l’Ancien, c’est son petit-fils, Tarquin le Superbe, qui fit résolument avancer la construction du grand temple consacré à Jupiter, orienté vers le Forum. Au sud-est de la colline s’étendait une zone consacrée au culte d’une divinité autochtone, baptisée Mater Matuta.
L’aide providentielle des oies du Capitole
Tite-live raconte qu’en 390 av. J.-C., Rome, dotée d’un système de défense encore insuffisant, fut assaillie par les Gaulois et vit ses provisions s’amenuiser. Assiégés et affamés, les Romains se réfugièrent sur le Capitole et s’apprêtaient à dévorer les oies consacrées depuis des temps immémoriaux à la déesse Junon, qui vivaient en liberté sur la colline sacrée sous la surveillance d’une gardienne. Une nuit, les Gaulois essayèrent d’accéder par surprise au sommet du Capitole, mais les oies les entendirent, et ils furent repoussés par les Romains grâce aux caquètements et aux battements d’ailes des oiseaux sacrés, qui réveillèrent la sentinelle Marcus Manlius Capitolinus. Érigé sur l’Arx, à côté du Capitole, le temple de Junon se vit dès lors attribuer le surnom Moneta, « celle qui avertit », en raison de cette alerte qui sauva Rome et ses habitants.
Le Capitole impérial
La Rome du IVe siècle était dominée par la colline du Capitole. Bâtiment de l’époque républicaine servant d’archives publiques de l’État romain, le Tabularium reliait cette colline à l’Arx et vint combler la dépression baptisée asylum. Le temple de Junon Moneta se trouvait sur le point le plus haut de l’Arx. Au pied de la colline s’étendait le Forum civil, auxquels s’agrégèrent à l’époque impériale les forums de César, d’Auguste, de Vespasien, de Nerva et enfin de Trajan.
Une journée dans la peau de Jupiter
Le général auquel le Sénat accordait le triomphe recevait le droit de se présenter pendant une journée devant le peuple comme l’image vivante de la plus haute divinité du panthéon romain. Le sceptre dans une main et une branche de laurier dans l’autre, il arborait ces attributs divins sur un char tiré par quatre chevaux blancs. À la tête d’un fastueux cortège composé de ses soldats, de musiciens, de bêtes destinées au sacrifice et de l’intégralité du butin de guerre, dont des prisonniers, il parcourait la ville jusqu’au temple de Jupiter. Il montait alors le perron à pied pour offrir sa couronne de laurier au dieu et honorait la dette qu’il avait contractée auprès de lui avant de partir combattre. Les fouilles de la colline du Capitole ont mis au jour des vestiges du temple de Jupiter, dont certains datent de l’époque étrusque, ainsi que des statues présentées comme des offrandes et des monuments commémoratifs. Beaucoup sont exposés aux musées du Capitole de Rome.

Anne Fraisse, maîtresse de conférences en Langue et littérature latines, université Lyon-2






https://www.histoire-et-civilisations.com/thematiques/antiquite/a-rome-le-capitole-domine-le-monde-2670.php