Algérie – Karim Benzema : à Tighzert Ath Jlil, dans le berceau de la famille
Algérie – Karim Benzema : à Tighzert Ath Jlil, dans le berceau de la famille 1-50
Le 17 octobre au soir, les habitants du petit village de Tighzert, dans les montagnes de Kabylie, ont exulté devant leur télévision en voyant Karim Benzema recevoir le Ballon d’or. Et n’attendent plus qu’une chose : une visite de « leur » star mondiale.
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« Dans notre village, ceux qui sont partis vivre en France sont plus nombreux que ceux qui sont restés », dit d’emblée Ramtane Benzema, 68 ans. Ce village, c’est Tighzert Ath Jlil – littéralement « le ravin des Ath Jlil » –, une jolie petite bourgade nichée au fond d’une étroite vallée. Le village fait partie de la commune d’Ath Jelil, de son nom berbère, ou Beni Djelil, comme on l’appelle officiellement. Située dans une zone montagneuse enclavée dans l’arrière-pays du département de Béjaia, en basse Kabylie, cette commune rurale compte une quinzaine de villages éparpillés au milieu des oliveraies, des figueraies et des forêts.
Il fait excessivement chaud pour une journée d’automne en ce mardi 18 octobre 2022. Autour d’un café et d’une limonade, Ramtane Benzema accepte volontiers de raconter sa famille et son village, lui qui savoure aujourd’hui une retraite amplement méritée. Peintre, chauffeur, maçon, paysan, ouvrier sur divers chantiers, l’homme a exercé une foule de petits métiers qui lui ont permis de faire vivre décemment sa famille. La veille au soir, bien entendu, tous les hommes attablés dans l’unique café du village ont suivi avec grand intérêt la cérémonie de remise du Ballon d’or à l’enfant du pays, Karim Benzema. Ici, la moitié des habitants s’appellent Zema, Benzema ou Benzemma. La famille du champion vit à Tighzert Ath Jlil depuis sa fondation, il y a près de trois siècles.
Karim, la star mondiale, on ne le connaît ici que par ses exploits sur les terrains de foot. Mais on n’est pas avare d’anecdotes sur Hafid, le papa du footballeur, et surtout sur Leghel, son grand-père. « Mon cousin Leghel, le grand-père de Karim, connu aussi sous le prénom de Mohand, est parti en France fin 1962. En 1963, il est revenu prendre sa femme et ses enfants pour s’installer là-bas mais il revenait chaque année au village », raconte Ramtane. Les liens avec le pays d’origine ont changé au fil du temps et des générations. Si Leghel rentrait régulièrement au pays, son fils Hafid, le papa de Karim, qui a épousé une Oranaise, le faisait beaucoup moins. Et personne ne se souvient avoir vu Karim mettre les pieds à Tighzert. « Peut-être qu’il viendra un jour en pèlerinage au pays de ses ancêtres, quand ses responsabilités professionnelles lui laisseront un peu plus de temps. En tout cas, il est le bienvenu ici, chez lui », dit l’un des villageois.

Une terre d’exil
Ramtane se rappelle que c’est à partir de 1958, en pleine guerre d’Algérie, que les premiers hommes, des mineurs pour la plupart, ont commencé à emmener leurs familles pour s’installer en France. Avant, la grande source du village, aujourd’hui presque tarie, permettait aux hommes d’entretenir de beaux et luxuriants jardins qui les faisaient vivre. Après l’indépendance, la population a grandi et la terre n’a plus suffi à nourrir tout son monde. Les hommes jeunes et valides ont dû prendre leurs baluchons et s’exiler sous des cieux plus cléments.
En Kabylie, pays de montagnes hérissées de villages, la terre nourrit chichement hommes et bêtes. On y cultive l’olivier et le figuier, on entretient un petit jardin potager et on élève quelques têtes de bétail. Quand la famille s’agrandit, l’aîné doit s’inventer un avenir ailleurs, en France ou dans une grande ville du pays, comme Alger, Oran ou Constantine. Quand un Kabyle s’installe en France, il commence par faire venir femme, enfants, frères et cousins. En faisant jouer les liens de solidarité, bientôt une communauté se crée. L’été à Tighzert, ils sont encore très nombreux à revenir de Lyon, Paris, Marseille ou d’ailleurs. Certains ont construit ici de belles demeures, d’opulentes villas que le visiteur aperçoit au bord de la route.
Fidèle à chaque grand rendez-vous footballistique, Tighzert chavire à chaque but inscrit, chaque titre, coupe ou championnat remporté par le capitaine du Real Madrid et buteur de l’équipe de France. Et des titres, Karim en a gagné beaucoup avant cette soirée du lundi 17 octobre 2022 qui l’a vu, lui, le petit cousin de la famille, soulever le fameux ballon d’or. Les Tighzertois étaient doublement heureux. À la fierté légitime de voir un Benzema soulever ce prestigieux trophée, s’ajoutait le bonheur de voir l’autre icône du football, Zinedine Zidane, le lui remettre et le serrer contre son cœur comme un frère.
Zidane, l’autre enfant du pays
Ici, on considère Zinedine comme un autre authentique enfant du pays. Aguemoune, son village d’origine, c’est juste de l’autre côté de la montagne, à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau. En fait, à travers la trajectoire de ces deux footballeurs qui brillent au firmament du football mondial, ce sont deux destins d’émigrés kabyles qui se croisent. Deux histoires qui ont commencé à s’écrire sur les chemins escarpés de la Kabylie, alors même que l’Algérie et la France étaient comme un couple en instance de divorce qui se déchire après un mariage forcé.
Comme Leghel Benzema, Smail Zidane, un paysan kabyle qui gardait les chèvres de l’autre côté de la montagne, est parti en France en 1953. Installé à Marseille, il y a travaillé toute sa vie comme ouvrier et fondé une famille avec Malika, la femme de sa vie. Zizou, le plus jeune de ses cinq enfants, est devenu, bien avant Karim, une star planétaire. Leghel et Smail, les deux paysans kabyles devenus ouvriers en France, ne se sont jamais rencontrés. Mais leurs fils et petit-fils ont prolongé ces chemins amorcés dans des petits villages de Kabylie. Comme Smail Zidane, Leghel revenait régulièrement au pays, pratiquement deux fois par an. Décédé le 25 janvier 2021, il a fait son dernier voyage à bord du jet privé de son petit-fils pour être inhumé au cimetière familial, sur la terre qui l’a vu naître.
Nassim Benzema se propose de nous faire visiter Tighzert, petit village propret, à l’heure où les enfants sortent de l’école primaire. Dernièrement, les villageois, y compris les émigrés installés en France, ont cotisé pour rénover le petit dispensaire de santé de Tighzert. Nassim est maçon itinérant. « Je vais partout où il y a du travail pour moi », dit-il, et son rêve est que le village construise un jour un stade de football pour tous les enfants qui rêvent de suivre les traces de Karim. « Nous avons l’assiette de terrain qu’il faut pour ça mais pas l’argent nécessaire », déplore-t-il.
Ce que les jeunes qui nous accompagnent lors de la visite ne nous disent pas, c’est qu’ils espèrent qu’un jour Karim viendra visiter le petit village où sont enterrés ses ancêtres. Ce sera un grand honneur pour tous ces villageois qui portent pour la plupart le même nom que lui. En fait, Karim l’avait même solennellement promis dans une émission de la chaîne Canal+, fin 2018 : « Je n’ai pas encore eu la chance d’y aller pour des questions de timing, mais dans pas longtemps je vais y aller et ce sera une belle surprise pour le peuple car je sais que là-bas je suis aimé… », a-t-il promis.
En fait, les jeunes de Tighzert espèrent qu’il suivra un jour l’exemple de son « grand frère » et idole, Zinedine Zidane, venu en pèlerinage à Aguemoune. Zizou a aussi créé une fondation portant son nom pour soutenir des projets caritatifs en Kabylie et dans toute l’Algérie.
Dernière halte dans l’abribus qui jouxte la place principale du village. Là, le portrait de Karim, qui a été peint il y a quelques années, est presque effacé. Il se devine à peine.






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