Taos Amrouche (1913-1976)
Française et algérienne, chrétienne et kabyle, romancière et chanteuse, Taos Amrouche demeura toute sa vie dans un entre-deux singulier. Consciente de son héritage complexe, celle qui vécut toute sa vie l'exil, consacra sa vie à l'art de raconter.
Raconter son histoire et faire écho à celle des relations franco-algériennes, raconter l'héritage kabyle de sa voix exceptionnelle ; raconter l'histoire d'une femme dans un monde d'hommes. Taos Amrouche, c’est toute une vie de paradoxes, entre les montagnes du Djurdjura et les cafés littéraires parisiens.
La conversion au christianisme de sa famille, profondément attachée à sa culture kabyle, tracera une route douloureuse pour ceux qui se voulaient fidèles à l'Algérie des ancêtres et à la culture française. Née à Tunis en 1913 dans cette famille de Kabylie exilée à Tunisie en raison de sa foi chrétienne, Taos y passe une enfance solitaire, entre la langue kabyle maternelle et la langue française de l'éducation, entre le monde des colonisés et le monde des colonisateurs qui se côtoient sans se connaître, entre la Médina arabe de Tunis et l'Église catholique du quartier européen.
"La famille restée musulmane, en Kabylie, donc, va s'attaquer au couple Amrouche, c'est à dire à Fadhma et Belkacem (mère et père de Taos). Donc, une des raisons pour lesquelles le couple va partir en Tunisie était la non acceptation, par leurs familles restées musulmanes, de leurs conversions ou de leur religion chrétienne." Akila Kizzi, docteure en littérature francophone et études de genre
Les passions ont été le moteur incandescent de toute sa vie. L’écriture d’abord, puisqu’elle devient la première romancière algérienne de langue française à publier un roman, Jacinthe noire en 1947. Le sentiment d'exil, lié à sa condition de "transplantée" est raconté dans ses textes. Première maghrébine à publier des textes autobiographiques, elle interrogera toute sa vie la trajectoire singulière de sa famille. Celle qui fut entourée toute sa vie des grands noms de la littérature française, de Jean Giono à son frère Jean Amrouche, se battra pourtant toute sa vie pour voir ses œuvres publiées. La double culture des Amrouche place la famille dans un rôle de passeur durant la guerre d'indépendance, rôle qui pourtant ravive les déchirements qu'induisent leurs "fidélités antagonistes".
"Mon père a quitté la Kabylie, il était autrefois instituteur, et il est venu prendre un emploi dans les chemins de fer à Tunis. J'ai eu des parents exemplaires : ma mère est une femme fort cultivé en français et en berbère, qui a fait partie du premier essai d'école laïque en 1883. Mais elle avait aussi le sens de la tradition, le sens de sa race et on nous a appris le respect des ancêtres, le respect des valeurs traditionnelles et le sens de l'honneur." Taos Amrouche
Elle chante avec passion les mélodies berbères transmises par sa mère l'écrivaine Fadhma Aït Mansour. L’artiste s’engage, avec ardeur, dans un incessant combat pour la reconnaissance de la langue berbère et pour les traditions orales. Son œuvre de transcription et d'interprétation des chants et contes de ses ancêtres a permis de faire perdurer un héritage menacé. Elle fut la première à faire connaître les chants berbères au public français mais est pourtant restée méconnue pour le public algérien de l'époque. Elle, qui se produisit sur les scènes de Fez à Florence, de Dakar à Paris, n’a jamais chanté, officiellement, en Algérie.
"Les gens qui m'entouraient ne parlaient pas notre langue, alors je voyais que je ne ressemblais à personne. Je voyais qu'en classe, par exemple, il y avait, disons 29 élèves qui pouvaient faire un groupe, et moi, qui me sentais seule et en marge, toujours en marge. En marge à cause des réactions, à cause du regard, à cause de la façon de rire... Vraiment, je ne m'intégrais pas. Je me sentais également en marge parce que j'étais aussi coupée du monde musulman. Je n'en faisais pas partie. Alors si bien qu'on était toujours plus ou moins en porte-à-faux." Taos Amrouche
Pour en parler
Akila Kizzi, docteure en littérature francophone et études de genre, auteur de Marie-Louise Taos Amrouche. Passions et déchirements identitaires (Fauves éditions, 2019)
Naïma Yahi, historienne spécialiste de l'histoire culturelle des artistes maghrébins en France
Kamel Hamadi, auteur-compositeur et interprète, spécialiste des musiques algériennes
Houria Aïchi, chanteuse et anthropologue
Yann Seweryn, cinéaste et petit-fils de Taos Amrouche
Un documentaire de Hajer Ben Boubaker, réalisé par Vincent Decque. Archives INA, Marie Decaëns. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. Nouvelle page web, Sylvia Favre.
Bibliographie
Akila Kizzi, Marie-Louise Taos Amrouche. Passions et déchirements identitaires (Michalon, 2019)
Taos Amrouche, Le grain magique. Contes, poèmes et proverbes berbères de Kabylie (La découverte, 2007)
Marguerite Taos Amrouche, Carnets Intimes (Gallimard, édition de Yamina Mokaddem - Collection Littérature française/Joëlle Losfeld, 2014)
Marguerite Taos Amrouche, Jacinthe noire (Charlot, 1947. Gallimard, 1996. Précédé d'une lettre d'André Gide. Collection Littérature française/Joëlle Losfeld, Gallimard)
Archives INA :
Émission Moisson de l'exil par Taos Amrouche, Office national de Radiodiffusion Télévision Française (ORTF, lundi 23 septembre 1974)
Entretien avec Marguerite Taos, Compartiment réservé, RDF / RTF / Autres (1949-1963) diffusé le 07.03.1961
Récital de chants berbères au Théâtre de la Ville, extrait Inter actualités de 13H00 (France Inter, 09.12.1972)
Archive de l'émission Les dossiers de l'écran, émission intitulée L'Algérie en 1960 (RTF / ORTF, 22.10.1969)
Reportage au Festival d'Alger, Office national de Radiodiffusion Télévision Française (ORTF, 12.08.1969)
Musique (extraits) :
Taos Amrouche, extraits de l'anthologie (coffret cinq disques) Chants berbères de Kabylie (Frémeaux & associés, 2009)
Youssef Dhafer, instrumental extrait de l'album Divine shadows (label Jazzland, 2006)
Pour aller plus loin
Biographie de Taos Amrouche proposée par le site Algériades.com.
Dossier de la revue Algérie littérature / action (n°167-170, 2013) consacré à Taos Amrouche, avec notamment un entretien avec sa fille, Laurence Bourdil.
Taos Amrouche : à l’origine de la kabyle world music ? Article de Fazia Aïtel paru dans Études et Documents Berbères, n°31, 2012.
Naissance et petite enfance d’un garçon en Kabylie, témoignage. Texte d’une émission de Taos Amrouche au Poste de Tunis PTT, diffusée le mardi 19 septembre 1939, publié dans la revue Encyclopédie berbère, n°33 (2012).
Interview de Taos Amrouche recueillie en 1968. A voir sur YouTube.
L’accord im-possible : écriture, prise de parole, engagement et identités multiples chez Marie-Louise Taos Amrouche. Thèse de littérature d’Akila Kizzi, université Paris 8 (2016).
André Breton à propos de Taos Amrouche. Lettre manuscrite du 22 février 1955, à lire sur le site de l’association Atelier André Breton.
Source : sites Internet