-2-Les Touaregs d’Azawad, un peuple amazigh opprimé
-2-Les Touaregs d’Azawad, un peuple amazigh opprimé 2-----34
Indépendance de l’Azawad
Insurrection et conflit
En janvier 2013, une insurrection mineure a débuté lorsque des groupes fondamentalistes islamistes ont tenté de prendre le contrôle de l’ensemble du Mali. La France et le Tchad ont envoyé des troupes pour soutenir l’armée malienne. L’ensemble de la région Nord a été capturé en l’espace d’un mois, avant l’offensive des islamistes contre le Sud. La présence principale des rebelles se concentre autour de leur quartier général à Kidal. Les islamistes ont commencé à se regrouper lentement dans les montagnes de l’Adrar des Ifoghas jusqu’à ce que la coalition française et africaine lance une offensive pour éliminer les dirigeants islamistes et récupérer les otages étrangers qu’ils détiennent.
Des groupes nomades touaregs tels que le MNLA, un groupe séparatiste azawadi, ont aidé à reprendre plusieurs villes principales du Nord, mais sont restés neutres dans les combats entre les islamistes et l’armée malienne. Le MNLA a coopéré avec les troupes françaises en leur fournissant des guides et des services logistiques et en louant des espaces dans leurs bases militaires. [lxiv]
Pour Benjamin Roger, la victoire du MNLA est décrite dans les termes suivants : [lxv]
‘’Après d’intenses combats qui les ont opposés dans la matinée du mercredi 21 mai à l’armée malienne, les combattants du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) ont affirmé dans la soirée avoir pris le contrôle de la ville de Kidal. Selon Bilal Ag Acherif, chef de la rébellion touarègue, les combats sont terminés et les rebelles contrôlent le gouvernorat ainsi que le « camp 1 » où était basé le contingent militaire malien. Plusieurs soldats maliens auraient été tués et d’autres seraient prisonniers.
« Nous en avons laissé partir un certain nombre qui ont rejoint le reste des troupes maliennes réfugiées dans le camp de la Minusma (force de l’ONU au Mali, NDLR) », a ajouté Bilal Ag Acherif, joint par téléphone. De son côté, une source militaire onusienne à Kidal a affirmé à l’AFP que « les groupes armés [avaient] nettement pris le dessus sur les forces armées maliennes », mais que « les camps [étaient] sous contrôle de l’armée malienne ».’’
Au sujet de l’insurrection de l’Azawad, Hélène Claudot-Hawad écrit : ‘’La récente insurrection qui surgit au nord du Mali en janvier 2012, montre que le fait d’être ‘’touareg’’ est devenu une identité innomable’’. [lxvi]
Toutefois, les autorités du MNLA n’ont pas autorisé la présence de l’armée malienne, en raison des accusations de crimes maliens à l’encontre du peuple touareg. Malgré cela, les islamistes ont pris pour cible les postes de contrôle du MNLA et d’autres installations militaires en recourant à des attentats-suicide à la bombe en guise de représailles. Des luttes intestines ont également eu lieu lorsque les forces d’intervention tchadiennes ont été accusées d’avoir tiré sur des civils touaregs. [lxvii]
Un accord de paix a été conclu en juin 2013 entre le MNLA et le gouvernement malien. Il accorde aux militaires un bail sur les terres détenues par les rebelles touaregs et confère aux Touaregs une plus grande autonomie, ce qui était demandé après que le MNLA a révoqué sa revendication d’indépendance. Cela a permis à la partie nord du pays de participer aux élections présidentielles maliennes le même mois. Le cessez-le-feu n’a pas duré longtemps avant que les troupes maliennes n’affrontent les rebelles lors d’escarmouches.
En février 2014, le massacre de la famille d’un général malien d’origine touareg a déclenché un conflit ethnique entre les islamistes peuls et les séparatistes touaregs du MNLA. Un massacre ciblant délibérément les civils de la majorité touareg a été perpétré par les islamistes, tuant plus de 30 hommes désarmés.
Un référendum était prévu en 2017 pour obtenir l’autonomie et renommer les régions du nord en  » Azawad « , mais le président malien Ibrahim Boubacar Keita a mis de côté le projet de référendum sur les réformes constitutionnelles qui ont été accueillies avec opposition et ont déclenché des manifestations de rue régulières.
Au sujet du conflit de l’Azawad avec le Mali Akli N’Toumast écrit : [lxviii]
Au début des années 1990, dans l’Azawad, le MPLA (Mouvement populaire pour la libération de l’Azawad), dirigé par Iyad Aghali, a attaqué la ville de Ménaka au Mali. Cet assaut a provoqué des représailles de la part de l’armée malienne. Après que le gouvernement malien ait perdu de nombreuses batailles, une série de pourparlers et d’accords de paix ont suivi, mais n’ont pas été correctement appliqués, conduisant à davantage d’insurrections et de divisions entre les factions touarègues. L’Algérie a joué un rôle central dans l’élaboration de la trajectoire de la rébellion touarègue, provoquant dans un premier temps des divisions au sein des groupes touaregs, puis prônant l’unification.
Une autre rébellion a émergé en 2006, centrée sur l’autonomie des régionsouarègues et la non-application des accords précédents – cette fois dirigée par Ibrahim Ag Bahanga, un dirigeant touareg bien connu. Un autre accord de paix a été signé avec le Mali, mais n’a pas non plus été mis en œuvre.
Les conflits ont persisté alors qu’une nouvelle génération de l’Azawad se sentait négligée et menacée par l’émergence d’Al-Qaida sur son territoire. En 2010, la jeunesse touarègue a créé le MNA (Mouvement National de l’Azawad), un mouvement pacifique et laïc prônant l’autonomie par rapport au Mali. Cependant, les actions du gouvernement malien contre le MNA ont conduit à la formation d’une faction armée, le MNLA (le Mouvement National de Libération de l’Azawad).
Et de continuer :
‘’En 2012, des hostilités éclatent entre le MNLA et les autorités maliennes. Durant cette période, Iyyad Ag Aghali, auparavant laïc, affilié à la cause touarègue pour l’autonomie, fonde le groupe religieux Anssar-iddin, s’écartant de ses vues laïques antérieures parce que le MNLA ne le laissait pas diriger la region suite à son échec dans les révolutions des années 1990.
Le conflit de 2012 au Mali a commencé lorsque le MNLA a tenté de négocier avec le Mali de novembre à janvier, mais le Mali n’a pas accepté l’autonomie de l’Azawad. Le MNLA a attaqué Adjelhock, une base militaire malienne cruciale. Cette attaque a intensifié les tensions et déclenché des violences contre les civils touaregs à Bamako, la capitale du Mali, provoquant la fuite de nombreux civils. Cette escalade des tensions a contribué au coup d’État de mars 2012. Par la suite, le MNLA a pris le contrôle des grandes villes mais aussi des poches qui abritaient des cellules endormies des factions d’Al-Qaida qui existaient depuis 2006. En outre, des divisions idéologiques sont apparues entre le MNLA et Ansar-Din, un groupe djihadiste, concernant sa vision pour la région : le MNLA veut un État amazigh laïc et Ansar-Din veut la charia.’’
‘’Les textes élaborés par les Touaregs du Mali – en particulier ceux du F.P.L.A. – sont les plus explicites à ce sujet. Dans ces textes (Lettre ouverte du F.P.L.A., document intitulé “De Tchin Tabaraden à Léré”) apparaît une notion centrale : celle de “Peuple de l’Azaouad”. Cette notion – nous verrons plus loin ce qu’elle recouvre – entre dans un système cohérent où elle remplit une double fonction :
Une fonction externe car elle inscrit la lutte de l’Azaouad dans un cadre plus large devenu universel : celui de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et plus précisément du “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes” ;
Une fonction interne car elle situe (resitue ?) les Touaregs en relation avec les autres peuples voisins : Peuls, Songhaïs, Maures, c’est là qu’apparaît – dans les textes – un rapport entre “peuple de l’Azaouad” et “communauté historique de l’Azaouad”.
Ces deux points bien que liés seront abordés séparément.
Dans sa lettre ouverte, le F.P.L.A. légitime sa création et ses objectifs de lutte en se référant à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et au principe du “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes” ; il “revendique pour l’Azaouad le droit inaliénable d’assumer son destin dans le respect des différences complémentaires de ses populations” (…) « pour que soient reconnus universellement à l’instar de tous les peuples du monde, nos droits à une existence libre et digne et ce, conformément à nos aspirations profondes et à notre identité propre” (Lettre ouverte du F.P.L.A., p. 2).’’
-2-Les Touaregs d’Azawad, un peuple amazigh opprimé 2-----35
Combattants du MNLA
?Que veut le MNLA
Le MNLA souhaite que le territoire de l’Azawad devienne un pays indépendant. [lxix] Les Touaregs se sont longtemps sentis marginalisés par l’État malien. Ils n’ont pas pu obtenir de postes dans l’État malien nouvellement indépendant parce qu’ils sont nomades et qu’ils ont résisté à l’assimilation française, mais aussi parce qu’ils n’ont pas été éduqués dans les écoles coloniales et ne font pas partie de l’élite. Ainsi, ils ont été exclus des institutions politiques. Plus tard, sous les gouvernements Traoré (1979-1991) et Konaré (1992-2002), les fonds apportés par les investissements de nombreuses sociétés minières multinationales sont restés dans les poches des élites. Les bénéfices parvenaient rarement aux communautés du Nord, ce qui contribuait au mécontentement croissant des Touaregs à l’égard de l’État malien. [lxx]
La rhétorique et les objectifs du MNLA sont comparables à ceux d’autres mouvements indépendantistes à travers le monde, comme le mouvement indépendantiste kurde. Le MNLA revendique l’autodétermination et fait remonter ses revendications à l’époque coloniale. Ils font référence à une lettre du peuple de l’Azawad envoyée à De Gaulle en 1958, réclamant déjà son Etat indépendant. En outre, ils citent les nombreux traités de paix qui ont échoué et qui, selon eux, n’ont pas été respectés. Ils dénoncent également la présence du terrorisme sur le territoire de l’Azawad et l’incapacité du gouvernement malien à protéger ses citoyens. [lxxi]
Cette affirmation est particulièrement intéressante car elle insinue qu’avec un État indépendant de l’Azawad, le peuple touareg pourrait mieux résister et gérer toute menace terroriste. Cela montre également que le MNLA se considère comme incontestablement distinct d’AQMI. Enfin, le MNLA reconnaît le cadre et le langage des acteurs nationaux et internationaux, citant les déclarations et les lois de l’ONU selon lesquelles ils estiment avoir droit à l’autodétermination.
Déclaration d’indépendance de l’Azawadi
Le 6 avril 2012, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) a déclaré que le nord du Mali était un État indépendant, baptisé Azawad, et s’est engagé à rédiger une constitution établissant une démocratie. Leur déclaration reconnaît la charte des Nations unies et affirme que le nouvel État en respectera les principes.[lxxii]
Dans une interview accordée à France 24, un porte-parole du MNLA a déclaré l’indépendance de l’Azawad :
« Le Mali est un État anarchique. C’est pourquoi nous avons rassemblé un mouvement de libération nationale pour mettre en place une armée capable de sécuriser notre terre et un bureau exécutif capable de former des institutions démocratiques. Nous déclarons l’indépendance de l’Azawad à partir de ce jour. » – Moussa Ag Assarid, porte-parole du MLNA, 6 avril 2012.
Dans la même interview, Assarid a promis qu’ils respecteraient les frontières coloniales qui séparent la région de ses voisins ; il a insisté sur le fait que la déclaration d’indépendance de l’Azawad avait une légalité internationale. [lxxiii]
Concernant la notion ‘’Azawad’’, qui est devenue tabou au Mali, Bokar Sangaré écrit dans Le Monde : [lxxiv]
‘’ Depuis début décembre, la ministre Oumou Touré se débat dans un maelström des critiques. Quelques jours plus tôt à Bamako, Aminatou Walet Ag-Bibi, la présidente des Femmes de l’Azawad, avait eu l’audace de revêtir aux Assises des femmes du Mali pour la paix un foulard aux couleurs du drapeau du Mouvement national de l’Azawad (MNLA), principal artisan de la rébellion indépendantiste partie de Kidal, dans le nord du pays, en janvier 2012. Des photos d’elle posant avec la ministre de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille, se sont rapidement retrouvées sur les réseaux sociaux où internautes, opposants et certains mouvements de la société civile n’ont pas tardé à dénoncer un acte de provocation et à réclamer la démission de Mme Touré.’’
Aucune entité étrangère ne reconnaît l’Azawad. La déclaration du MNLA a été immédiatement rejetée par l’Union africaine, qui l’a déclarée « nulle et sans valeur aucune« . Le ministère français des Affaires étrangères a déclaré qu’il ne reconnaîtrait pas la partition unilatérale du Mali, mais il a appelé à des négociations entre les deux entités pour répondre « aux revendications de la population touareg du Nord [qui] sont anciennes et n’ont pas reçu depuis trop longtemps les réponses adéquates et nécessaires« . Les États-Unis ont également rejeté la déclaration d’indépendance.
Le MNLA compterait jusqu’à 3 000 soldats. La CEDEAO déclare l’Azawad « nul et non avenu » et affirme que le Mali est « une entité une et indivisible ». La CEDEAO a déclaré qu’elle utiliserait la force, si nécessaire, pour mettre fin à la rébellion. Le gouvernement français a indiqué qu’il pourrait fournir un soutien logistique.
Le 26 mai, le MNLA et son ancien co-belligérant Ansar Dine annoncent un pacte de fusion pour former un État islamiste ; des rapports ultérieurs indiquent que le MNLA s’est retiré du pacte, prenant ses distances avec Ansar Dine. Les affrontements entre le MNLA et Ansar Dine se poursuivent et culminent avec la bataille de Gao et Tombouctou le 27 juin, au cours de laquelle les groupes islamistes Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest et Ansar Dine prennent le contrôle de Gao et en chassent le MNLA. Le lendemain, Ansar Dine annonce qu’il contrôle Tombouctou et Kidal, les trois plus grandes villes du nord du Mali. Ansar Dine poursuit son offensive contre les positions du MNLA et s’empare de toutes les villes encore tenues par le MNLA le 12 juillet, avec la chute d’Ansongo. [lxxv]
En décembre 2012, le MNLA se met d’accord sur l’unité nationale et l’intégrité territoriale du Mali lors de pourparlers avec le gouvernement central et Ansar Dine.
-2-Les Touaregs d’Azawad, un peuple amazigh opprimé 2-----36
Soufian Al Karjousli présente le mouvement indépendantiste Azawad dans les termes suivants : [lxxvi]
‘’ La mouvance combattante de l’Azawad est ancrée dans une échelle locale qui est celle des territoires Azawad revendiqués, mais ceux-ci par leur inscription spatiale s’inscrivent dans le transnational. En effet, le territoire de l’Azawad déborde des frontières d’États modernes que la mouvance combattante renie. La mouvance combattante de l’Azawad porte aussi une dimension internationale géostratégique car le Sahara est un espace convoité par les grandes puissances mondiales. Il ne s’agit donc pas d’un seul face à face avec les États sur lesquels se trouvent les territoires revendiqués. L’enjeu est porté à l’échelle de l’organisation de l’ensemble du désert et de ses marges, projet qui avait déjà intéressé la France par exemple dans les années 1950 à travers l’OCRS (Organisation Commune des Régions Sahariennes). C’est un espace d’exploitation (uranium pour le Niger, pétrole pour le Mali et l’Algérie) et de circulation hautement stratégique (routes de commerce, de trafic et de contrebande). À ce titre, il attire des fonds importants. En même temps, il reste, pour les populations locales subsahariennes, des espaces de relégation et de pauvreté. Ainsi, les régions de Tombouctou et de Kidal, au nord-est du Mali ne sont toujours pas reliées par une route digne de ce nom à la capitale Bamako.’’
Dans sa déclaration d’indépendance, le MNLA [lxxvii] annonce les premières institutions politiques de l’État de l’Azawad. Elles comprennent :
Un comité exécutif, dirigé par Mahmoud Ag Aghaly.
Un conseil révolutionnaire, dirigé par Abdelkrim Ag Tahar.
Un conseil consultatif, dirigé par Mahamed Ag Tahadou.
L’état-major de l’armée de libération, dirigé par Mohamed Ag Najem.
Bien que le MNLA ait revendiqué la responsabilité de gérer le pays « jusqu’à la nomination d’une autorité nationale » dans sa déclaration d’indépendance, il a reconnu la présence de groupes armés rivaux dans la région, notamment les combattants islamistes d’Ansar Dine, le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest, et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Le MNLA n’a pas établi de gouvernement officiel, bien qu’il se soit engagé à rédiger une constitution établissant l’Azawad comme une démocratie. Le principal bâtiment du gouvernement est appelé le Palais de l’Azawad par le MNLA. Il s’agit d’un bâtiment lourdement gardé au centre de Gao qui servait de bureau au gouverneur de la région de Gao avant la rébellion.
La branche militaire d’Ansar Dine a rejeté la déclaration d’indépendance du MNLA quelques heures après sa publication. Ansar Dine a juré d’instaurer la charia islamique sur l’ensemble du territoire malien. Lors d’une conférence, les Azawadis ont exprimé leur désapprobation à l’égard des groupes islamiques radicaux et ont demandé à tous les combattants étrangers de désarmer et de quitter le pays. [lxxviii]
-2-Les Touaregs d’Azawad, un peuple amazigh opprimé 2-----37
Selon un expert de Chatham House Africa, le Mali ne devait pas être considéré comme « définitivement partitionné« . Les peuples qui constituent la majeure partie de la population du nord du Mali, tels que les Songhaïs et les Peuls, se considèrent comme des Maliens et ne sont pas intéressés par un État séparé dominé par les Touaregs. Le jour de la déclaration d’indépendance, environ 200 Maliens du nord ont organisé un rassemblement à Bamako, déclarant leur rejet de la partition et leur volonté de se battre pour chasser les rebelles. Un jour plus tard, 2 000 manifestants se sont joints à un nouveau rassemblement contre le séparatisme.
Selon Ramtane Lamamra, commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine, l’Union africaine a discuté de l’envoi d’une force militaire pour réunifier le Mali. Il a déclaré que les négociations avec les terroristes avaient été exclues, mais que les négociations avec d’autres factions armées restaient ouvertes.
Pour Bertrand Ollivier, 10 ans après la déclaration de l’indépendance, la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) célèbre une décennie d’indépendance de l’Azawad : [lxxix]
‘’Forte de son empreinte militaire et de son influence communautaire auprès des populations du nord, la CMA administre presque officiellement le fief historique des rébellions touarègues de façon autonome, décidant même régulièrement de certaines mesures relevant du pouvoir central, à l’instar des grâces des détenus régulièrement annoncées par la CMA. Des tentatives de gestion autonome ont été entreprises par la CMA à Kidal et Tessalit, avec quelques succès en matière d’organisation de l’exploitation de l’or. Cette autonomie se traduit également par des implications importantes sur la question de la gestion des ONGs locales, de l’enseignement et de la justice. À Kidal, en l’absence de justice étatique, les juges traditionnels jouent un rôle central et leurs jugements peuvent conduire à des périodes d’incarcération dans l’ancienne prison, devenue centre de rétention sous contrôle de la CMA. Développé en dehors de tout cadre légal formel, ce système ne semble pas être remis en cause par les populations locales et pose la question de l’adaptation de la justice traditionnelle au système judiciaire étatique. Dans la mesure où cette question constitue une partie intégrante de l’Accord à travers un projet de réforme de revalorisation du rôle des Cadis, les Nations Unies conduisent également des activités allant dans ce sens.’’
-2-Les Touaregs d’Azawad, un peuple amazigh opprimé 2-----38
Azawad amazigh opprimé
Conclusion : Justice pour l’Azawad
La crise actuelle au Mali est une affaire assez compliquée, composée d’un mélange de griefs persistants et fondamentaux de divers groupes ethniques. En outre, elle met en jeu les intérêts vitaux des superpuissances mondiales. La France déploie des forces militaires spéciales dans le pays sous le prétexte de protéger les civils contre divers groupes extrémistes, ce qui risque d’entraîner l' »afghanisation » du Mali. [lxxx]
Au fil des ans, le Sahara a connu plusieurs mouvements ethniques contre la colonisation et l’industrialisation, qui ont été impitoyablement réprimés et déracinés par les superpuissances. Le mouvement de l’Azawad des communautés indigènes touaregs du Mali en est un exemple.
Le peuple touareg vit dans les conditions difficiles du Sahara depuis des millénaires. Ils sont environ deux millions à vivre au Mali, au Niger, en Libye, en Algérie et au Tchad. Mais c’est au Mali que l’on trouve la plus grande population de Touaregs, estimée à 950 000 personnes.
Il s’agit d’un peuple qui a une longue histoire de résistance au pouvoir centralisé, de l’Empire romain à la conquête arabe et à la colonisation française, puis, depuis 1960, à l’État indépendant du Mali.
Les Touaregs ont mené une série de rébellions contre le colonialisme depuis le XXe siècle. Mais ils ont été brutalement soumis par la France coloniale pendant cette période et ont souffert d’une discrimination et d’une exploitation indicibles. [lxxxi]
Quatre grandes rébellions ont eu lieu depuis les années 1960. La première rébellion touarègue a eu lieu en 1962-64. Au cours de cette période, les Touaregs ont été fortement opprimés par le gouvernement de « Modibo Keita », qui a pris le pouvoir après le départ des Français. À l’époque, les Touaregs faisaient l’objet d’une forte discrimination et étaient à la traîne par rapport aux autres en termes de distribution des prestations de l’État. Pour aggraver la situation, le gouvernement de Keita a mis en œuvre certaines politiques de réforme agraire qui menaçaient l’accès des Touaregs aux produits agricoles sur leurs propres terres. [lxxxii]
La deuxième grande rébellion a commencé en 1990. L’animosité déclenchée par une répression sévère a perpétué le mécontentement à l’égard des politiques gouvernementales. Lors de la troisième rébellion, il n’y a pas eu de soulèvement majeur, mais des enlèvements et des meurtres systématiques de membres des forces armées maliennes ont été signalés.
Dans les années 1970, la région d’origine des Touaregs a connu de terribles sécheresses qui ont détruit leur bétail et les ont empêchés de subvenir à leurs besoins. Des milliers de Touaregs ont donc quitté leur pays pour la Libye, qui offrait du pétrole et des possibilités d’emploi. Il est intéressant de noter qu’en 1982, Kadhafi a déclaré que la Libye était le pays d’origine de tous les Touaregs. Plusieurs milliers de Touaregs ont été recrutés dans les forces armées de Kadhafi.
Pour la France, la stabilité du Mali est cruciale car tout soulèvement dans le pays menace les intérêts économiques français dans les pays voisins tels que le Niger, le Sénégal, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire.
Plus important encore, l’importance vitale du Mali pour la France est mise en évidence par la présence de mines d’uranium au Niger qui alimentent les centrales nucléaires françaises, mines qui sont situées le long de la frontière entre le Mali et le Niger. Il convient de noter que les mines d’uranium du Niger fournissent environ 50 % de la matière première des centrales nucléaires françaises.
De même, les forces armées américaines fournissent depuis des années une formation militaire de haut niveau à l’armée malienne. Prenons l’exemple du « Partenariat transsaharien de lutte contre le terrorisme » établi en 2005, qui comprend onze pays africains partenaires tels que l’Algérie, le Burkina Faso, la Libye, le Maroc, la Tunisie, le Tchad, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria et le Sénégal.
Mais la présence des forces armées américaines au Mali n’est pas une grande préoccupation pour les groupes radicaux qui y opèrent. Le Mali est considéré comme le déploiement actif le plus dangereux pour les troupes de l’ONU – 60 soldats de la paix de l’ONU ont été tués dans le pays jusqu’à présent.
En attendant, la présence militaire lourdement armée des gouvernements français et américain au Mali suggère que la bataille se poursuivra. Cela soulève d’importantes questions quant à la connaissance qu’ont ces superpuissances mondiales du conflit qui se déroule dans un pays étranger.
-2-Les Touaregs d’Azawad, un peuple amazigh opprimé 2-----39
Le Mali est devenu un modèle de mauvaise gouvernance : la liberté d’expression est bafouée et, en raison du manque d’équipement et de l’incapacité de l’armée, le pays n’est pas en mesure d’assurer la sécurité de ses propres citoyens. Autrefois démocratie de premier plan en Afrique de l’Ouest, le Mali est en train de devenir un Afghanistan dans les régions du Sahel et du Sahara.
Le porte-parole d’Ansar ed-Din, Sanda Ould Boumama, a déclaré à CNN : « La guerre ne fait que commencer. Nous nous attendons à ce qu’il y ait davantage de victimes. Après que les troupes françaises et leurs alliés ont combattu les rebelles islamistes pour prendre le contrôle de Gao’’. Maouloud Dicko, un habitant de 30 ans, a déclaré : « J’ai vraiment peur. On entend parler de ce genre de choses au Pakistan ou en Afghanistan. Gao est en train de devenir comme le Pakistan ».
Les superpuissances devraient promouvoir une approche sur plusieurs fronts si elles ont un intérêt réel à protéger les civils et à restaurer la paix et la stabilité dans cette région troublée. Mais en réalité, elles étouffent la voix des communautés ethniques et pillent les ressources, ce qui soulève des questions désagréables : La France au Mali, contrôler ou protéger ? La France devrait encourager les États du Sahel par des initiatives diplomatiques et adopter une approche régionale pour lutter contre le terrorisme et la propagation de l’extrémisme islamiste dans la région. [lxxxiii]
Afin de restaurer la stabilité dans la région, il est urgent de créer des conditions favorables permettant aux Touaregs de prendre en charge leur propre situation. Sans créer ces conditions favorables, les stratégies antiterroristes dictatoriales menées par les gouvernements français et américain peuvent intensifier les soulèvements radicaux dans la région.
Le gouvernement malien devrait également entamer un dialogue avec les communautés touarègues et garantir une approche holistique pour résoudre les problèmes socio-économiques et de développement de la région que sont la pauvreté, l’injustice, la sécheresse et la famine.
-2-Les Touaregs d’Azawad, un peuple amazigh opprimé 2-----30
Notes de fin de texte :
[i] Duveyrier, Henri. L’exploration du Sahara. Les Touaregs du Nord. Challamel ainé : Paris, 1864.
[ii] Boilley, Pierre. Les Touaregs Kel Adagh. Dépendances et révoltes : du Soudan français au Mali contemporain. Paris : Karthala, 2000, p. 9 de l’introduction.
Description : Les Kel Adagh, groupement touareg de l’Adagh (ou Adrar des Ifoghas, dans le nord du Mali actuel), sont une des composantes du vaste ensemble Touareg qui s’étend actuellement de l’Algérie au Nigeria, en passant par le Niger, le Burkina-Faso et le Mali. Leur histoire contemporaine est particulièrement originale : dernier groupe touareg du Soudan français à tomber sous la domination coloniale, ils se sont soumis sans combat en 1904, mais ont déclenché en 1963-1964, peu après l’indépendance du Mali, une révolte armée qui fut écrasée dans le sang et l’indifférence internationale. Après trente ans d’administration militaire malienne, ils se sont soulevés de nouveau en 1990, et ont été suivis par les autres groupes touaregs et maures du Mali et du Niger. Ils ont obtenu du gouvernement malien, en 1992, la signature d’un pacte national leur octroyant un statut particulier d’autonomie.
En étudiant sur la longue durée (un siècle, de la prise de Tombouctou en 1893 à la signature du Pacte national en 1992), les évolutions qu’a connues cette population contrôlée par l’administration française, puis malienne, dans ce qu’il faut bien appeler une succession de colonisations, cette étude a pour but d’analyser et d’illustrer les causes et les conditions complexes d’un des conflits contemporains de la bande sahélienne, exemple des luttes où se mêlent retombées coloniales, volontés politiques, réactions identitaires, ethniques, mais aussi sociales et économiques d’une population sous dominations exogènes depuis le début du XXe siècle et, depuis la décolonisation, minoritaire au sein d’un Etat-nation en formation.
Fondé sur le dépouillement exhaustif des fonds d’archives de la France coloniale et de la République du Mali, l’analyse de la presse européenne et africaine ainsi que sur la collecte de témoignages oraux au cours de nombreuses enquêtes de terrain, cette étude sur les Kel Adagh représente la première synthèse historique sur un sujet problématique et fort éclairant à plus d’un titre. En effet cette histoire, passionnante en elle-même, l’est tout autant parce qu’elle croise et illustre les grands débats africains de la colonisation, de la décolonisation et de l’indépendance. L’analyse du type de colonisation imposée à la religion oblige à reconsidérer le modèle classique d’une administration coloniale française directe, et à mieux cerner les modes de contrôle ainsi que les résistances – nombreuses – à ce dernier. Elle permet aussi d’étudier les évolutions spécifiques du processus de structuration de l’Etat post-colonial. En face d’élites jacobines qui avaient été les leaders du mouvement indépendantiste, les Touaregs opposaient leur volonté d’émancipation, une conception fédérale des rapports politiques et, surtout, le concept d’une terre communautaire à la notion de propriété individuelle ou étatique. Ces deux visions du monde se sont opposées au cours de conflits violents, inscrits par ailleurs dans un autre débat, celui de l’existence même des frontières héritées de la colonisation.




Source : sites Internet