-1-L’Algérie : une armée en quête de légitimité


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L’histoire et l’actualité de l’Algérie sont décrites de façons très contradictoires suivant les sources : officiels algériens, métropolitains, harkis, Pieds-noirs… Mais le fil conducteur principal est celui de gouvernements entre les mains de l’armée, dont la préoccupation permanente est de justifier son pouvoir en s’inventant une légitimité.
La masse des Français ne s’est jamais vraiment tenue au courant des questions algériennes, sauf de 1956 à 1962, période la plus chaude de la guerre, animée par les débats menés par De Gaulle ou contre lui. En France, l’intérêt est retombé ensuite, sauf dans les milieux traumatisés par les événements. Par contre en Algérie une mémoire partielle et biaisée a été sans cesse entretenue, notamment pour légitimer le pouvoir de l’armée.
Je vais commencer par rappeler quelques événements antérieurs à l’indépendance (1962) qui pèsent encore sur les perceptions d’aujourd’hui, puis je passerai à l’histoire récente et à l’actualité.
Les racines historiques
Avant la conquête française en 1830, la future Algérie était « la régence turque d’Alger », quasi indépendante d’Istanbul. Les Turcs locaux contrôlaient Alger et les environs et avaient des garnisons dans certaines villes du pays pour rappeler aux tribus environnantes qu’elles devaient payer un tribut.
Je passe sur la conquête du pays, qui fut cruelle de part et d’autre et marquée par « la légende Abdelkader », présenté comme un héros de la résistance anti-française par histoire officielle algérienne, ce qui correspond à la deuxième période de sa vie, alors qu’il fut un allié de la France dans une première période et son ami choyé par Napoléon III dans une troisième période.
Certains musulmans évoquent d’ailleurs le règne de Napoléon III (1852-1970) comme une occasion perdue.
L’Algérie française, un concept forgé en réaction à Napoléon III
Napoléon III déclara aux colons européens en Algérie : « Vous ne pourrez pas rester dans ce pays sans l’accord de la majorité musulmane ».
Parallèlement, l’armée française assura le ravitaillement des musulmans pendant les famines, alors que la population marocaine, qui avait subi la même sécheresse, était durement atteinte. De plus, l’armée voyait d’un mauvais œil l’attribution de terres à la colonisation, ce qui mécontentait la population musulmane qu’elle administrait.
Enfin, fut lancée l’idée de l’acquisition de la nationalité française par les étrangers européens d’Algérie, souvent espagnols, italiens ou maltais, mais aussi par les musulmans et les juifs, ce à quoi s’opposaient les Européens. L’antisémitisme était puissant à cette époque et donner le droit de vote aux musulmans, majoritaires, leur paraissait inconcevable.
Les Européens d’Algérie s’opposèrent donc violemment à Napoléon III, ce qui leur donna un poids politique important à Paris après le renversement de ce dernier. Ils en profitèrent pour faire adopter le projet de « l’Algérie française » en espérant que ce rattachement juridique de l’Algérie à la France les mettrait à l’abri de tout abandon de l’Algérie par Paris.
En réalité, cela compliqua considérablement l’évolution de l’Algérie par rapport à celle relativement tranquille du Maroc de la Tunisie vers l’indépendance dans les années 1950.
Finalement, les Européens et les Juifs d’Algérie, qui avaient en Islam un statut inférieur à celui des musulmans, adoptèrent rapidement la nationalité française. Mais pas les musulmans, car leurs autorités religieuses, les oulémas, disaient que les lois françaises étaient contraires à celles de l’islam. Il est probable que les futurs Pieds-noirs soutinrent discrètement ce refus de crainte d’une majorité électorale musulmane.
L’échec des réformes et la répression
Les droits inférieurs des Français musulmans d’Algérie restaient néanmoins un problème, et, en 1936, le projet Blum-Violette en 1936 envisageait que l’élite musulmane « évoluée » (diplômes, loyalisme ..) acquière la nationalité française sans perdre son statut religieux. Néanmoins ce projet, qui intéressa beaucoup de musulmans, n’eut pas de suite du fait de l’opposition des Pieds-noirs.
En 1945, les événements puis la répression de Sétif (voir le témoignage de Paul Balta), puis, en 1947 le trucage par les Pieds-noirs des élections dans le cadre du statut plus libéral décrété par De Gaulle renvoyèrent les réformistes musulmans chez les nationalistes, alors qu’ils demandaient jusque-là l’égalité et l’intégration.
Or, comme l’avait constaté de Gaulle, la croissance rapide de la population musulmane, croissance due à la colonisation, marginalisait de plus en plus les Européens d’Algérie,  qui ne pouvaient durablement prétendre ignorer 90 % de la population.
La guerre : le choix du terrorisme par le FLN
Le parti indépendantiste soutenu par Moscou et donc le PCF, le FLN (Front de libération nationale) élimina physiquement ou intégra les autres mouvances nationalistes et devint parti unique de fait, puis de droit après l’indépendance.
On aurait pu imaginer que, comme dans d’autres colonies françaises ou anglaises, un mélange de manifestations, de victoires électorales même à l’intérieur de règles déséquilibrées, ou tout autre campagne politique aurait mené à l’indépendance comme cela s’est souvent fait dans les années 1950.
Mais le FLN choisit la voie du terrorisme.
Le terrorisme était « un outil habituel » dans les partis communistes ou apparentés. C’était le cas du FLN, qui ne pouvait être purement communiste ayant décidé de s’appuyer sur l’islam alors que les communistes sont athées. Mais il était « dans la mouvance », et bénéficiait de l’appui de l’URSS et du parti communiste français.
Le terrorisme est un système très efficace, comme les Français avaient pu le constater en Indochine.
On exécute des personnalités proches de la France, ou déclarées comme telles dans le cas de possibles rivaux politiques, pour ne laisser aux autres que le choix de rejoindre le camp indépendantiste,
on menace les familles de ceux qui « collaborent » soient militairement (et c’est pour cette raison que les harkis étaient choisis dans des villages éloignés afin de mettre leur famille à l’abri), soit le plus souvent par leur travail,
et on tue aveuglément quelques civils du camp opposé pour déclencher des représailles, qui elles-mêmes amèneront de nouveaux sympathisants : les meurtres de Pieds-noirs isolés furent particulièrement horribles.
Méthode efficace certes, mais qui laisse des traces pendant plusieurs générations, surtout dans une société clanique côté musulman et communautariste côté Pieds-noirs. Cela explique une partie des difficultés de la réconciliation aujourd’hui.


-1-L’Algérie : une armée en quête de légitimité DeGaulle


La défaite militaire de l’ALN en 1960 – 61
Cette défaite de « l’Armée de libération nationale » sur le territoire algérien, est peut-être le fait le plus important, qui a pesé et pèse toujours par son « non dit » sur l’Algérie d’aujourd’hui. On peut imaginer que De Gaulle n’avait jamais pensé que « l’Algérie française » pouvait être durable, mais ne voulait pas qu’il soit dit qu’il avait été obligé de donner l’indépendance à la suite d’une défaite, et qu’il fallait d’abord gagner militairement la guerre.
Toujours est-il que l’ALN disparut presque complètement d’Algérie à la suite des offensives de l’armée française de 1960-61 et qu’il ne restait d’elle que les troupes situées à l’extérieur et notamment au Maroc, indépendant depuis 1956.
Cette défaite, pourtant attestée par l’historien du FLN, Gilbert Meynier, ne figure pas dans l’histoire officielle algérienne, et j’ai entendu beaucoup d’Algériens me dire : « On vous a mis une pilée » … ce qui n’arrange bien sûr pas les relations !
La prise du pouvoir par les militaires et le problème de la légitimité
La négociation des accords d’Évian a pris beaucoup de temps, notamment pour les garanties à accorder aux Pieds-noirs.
L’épisode OAS
L’OAS (Organisation de l’armée secrète, montée par les Pieds-noirs) et sa série de meurtres de fonctionnaires français, considérés comme des traîtres à l’Algérie française, et de musulmans pris au hasard, rendirent la cohabitation impossible. Finalement un accord FLN/OAS permit l’évacuation des Pieds-noirs vers la France.
Avec le recul, on s’aperçoit qu’une partie des cadres du FLN était heureux de cette épuration ethnique, malgré ses conséquences catastrophiques pour l’économie algérienne.
Probablement parce qu’il s’agissait non seulement d’assouvir la vengeance mais aussi de prendre possession personnelle de leurs biens, comme cela s’était passé en Égypte en 1956, et ailleurs.
L’arrivée des chars de Boumediene à Alger
Après le cessez-le-feu fut mis en place, un « exécutif provisoire » dit « du rocher noir » qui fut balayé par l’arrivée de  l’Armée de libération nationale venant du Maroc sous la direction de Houari Boumediene, dont un des lieutenants était Abdelaziz Bouteflika.
L’événement fondateur de l’Algérie actuelle a donc été la prise du pouvoir par une armée qui n’avait pas combattu, mais qui proclame néanmoins sa légitimité pour « la libération du pays ».
Je me souviens de l’accueil très réservé la population d’Alger qui criait « 7 ans barakat » (traduction très libre : « marre de la force après 7 ans de guerre»).
Boumediene choisit comme président une figure respectée, Ben Bella. Puis l’écarta en 1965 pour gouverner directement.
Le socialisme, le pétrole et les Pieds-rouges
Ayant été parrainée par l’URSS, l’Algérie devint officiellement socialiste. Elle nationalise les terres et lance des sociétés d’État, dont la Sonatrach pour le pétrole.
En effet, le pétrole, découvert et mis en exploitation par les Français, décuple l’intérêt d’être au pouvoir. D’autant que le socialisme donnant le pouvoir économique à l’Etat permet à ce dernier, mais aussi à des personnalités proches, de puiser dans cette manne.
Un des moyens d’enrichissement est l’octroi de licences d’importation, ce qui a eu comme effet catastrophique d’interdire une industrie locale privée, nationale ou étrangère : il est plus facile de prélever en amont (en Suisse par exemple) l’intéressement à une licence d’importation que de prélever des impôts sur un notable industriel national ou étranger.
Cette interdiction de fait des investissements étrangers a été aggravée par l’obligation pour tout investisseur extérieur d’accorder 51 % du capital à un Algérien.
Finalement, entre cette obligation, le socialisme et la tentation prédatrice, l’Algérie a bénéficié de très peu d’investissements étrangers contrairement au Maroc surtout, mais aussi à la Tunisie et à l’Égypte. Ces pays, n’ayant que peu ou pas de pétrole ressentaient beaucoup plus la nécessité de s’ouvrir à l’étranger.
Tout cela a accentué la fuite des élites, commencée pendant la guerre du fait du terrorisme et ayant redoublé à l’indépendance avec non seulement le départ des Pieds-noirs, mais aussi d’une partie de l’élite musulmane victime du socialisme ou craignant à juste titre une dérive dictatoriale.
D’où le maintien dans le sous-développement.
Et d’où peut-être aussi l’importation en France de l’animosité et parfois de la haine entre musulmans, Pieds-noirs et harkis, animosité relayée maintenant par l’islamisme.




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