L'Univers avant le Big Bang-2-


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Théorie des cordes et dualité. La théorie des cordes pourrait décrire ce qui s’est passé au moment du Big Bang. Elle considère des objets semblables à des cordes de violon infiniment fines. En déplaçant les doigts, les violonistes raccourcissent les cordes et augmentent la fréquence de leurs vibrations. Des effets quantiques les empêcheraient d’aller au-dessous d’une longueur minimale, de l’ordre de 10–34 mètre.
En raison des différents types de mouvements que peut effectuer une corde, un espace dont les dimensions supplémentaires sont grandes (par rapport à 10-34 mètre) est indiscernable d’un autre où ces dimensions sont petites. Considérons un espace bidimensionnel cylindrique. En plus de vibrer et de se déplacer en bloc, une corde peut s’enrouler comme un élastique autour du cylindre. Les relations d’indétermination quantiques empêchent une corde d’avoir à la fois une position précise et une vitesse nulle: une particule confinée dans un espace restreint se déplace frénétiquement. Si la circonférence du cylindre est petite, les mouvements de la corde autour du cylindre sont agités: l’énergie liée aux déplacements est élevée (a). En revanche, une corde enroulée est peu tendue: l’enroulement n’apporte que peu d’énergie (b). Si le rayon du cylindre augmente, l’agitation de la corde est moindre et chaque déplacement apporte une faible quantité d’énergie (c), tandis que l’enroulement de la corde entraîne une tension élevée et donc une grande énergie (d). Pour deux cylindres de rayons inverses (R et 1/R), l’énergie totale – la seule quantité observable – reste la même. Cette propriété empêche l’espace de s’effondrer en un point et d’atteindre un état de densité infinie.
:copyright:Samuel Velaco
La T-dualité est plus facile à comprendre dans le cadre d’espaces dotés d’une dimension circulaire de taille finie, mais elle s’applique également aux trois dimensions infinies de l’espace ordinaire. Ce n’est pas la taille de l’espace pris dans son ensemble qui importe, mais son facteur d’échelle, le rapport entre l’écartement des objets qu’il contenait à une date donnée et leur éloignement actuel. Selon la T-dualité, un univers où le facteur d’échelle est très petit est équivalent à un univers où le facteur d’échelle est grand. Une telle symétrie n’existe pas dans la relativité générale. Elle provient du cadre unificateur de la théorie des cordes.
Pendant des années, les théoriciens des cordes ont pensé que la T-dualité ne s’appliquait qu’aux cordes fermées. En 1995, Joseph Polchinsky, de l’Université de Santa Barbara, a montré qu’elle reste valable pour les cordes ouvertes, moyennant des conditions, dites de Dirichlet, sur leurs extrémités : en plus d’inverser les rayons des dimensions enroulées, on doit fixer les extrémités des cordes dans un certain nombre de dimensions. Ainsi, les extrémités d’une corde peuvent flotter librement dans trois des dix dimensions spatiales tandis que leur mouvement dans les sept autres est bloqué. Ces trois dimensions libres forment un sous-espace nommé membrane, ou D-brane. En 1996, Petr Horava, de l’Université Rutgers, et Edward Witten, de l’Institut d’études avancées de Princeton, ont imaginé que notre Univers réside sur une telle D-brane de dimension trois. La mobilité partielle des électrons et des autres particules expliquerait pourquoi nous ne pouvons percevoir les dix dimensions de l’espace.
Toutes les propriétés des cordes suggèrent la même chose : les cordes détestent l’infini. Comme elles ne peuvent être réduites à un point, elles éliminent les paradoxes provoqués par un tel effondrement. Leur taille non nulle et les symétries nouvelles qui leur sont associées imposent des bornes supérieures aux quantités physiques qui croissent indéfiniment dans les théories classiques, et des bornes inférieures aux quantités qui diminuent. Lorsqu’on projette le film de l’histoire cosmique à l’envers, l’espace-temps se contracte et le rayon de courbure de toutes les dimensions rétrécit. Selon les théoriciens des cordes, la T-dualité empêche le rayon de courbure de décroître jusqu’à zéro et de provoquer la singularité du Big Bang standard. Parvenue à la longueur minimale possible, cette contraction devient physiquement équivalente à une expansion de l’espace, dont le rayon de courbure recommence à croître. La T-dualité fait « rebondir » l’effondrement, qui devient une nouvelle expansion.
L’Univers renversé
La singularité disparue, rien n’empêche d’imaginer que l’Univers existait avant le Big Bang. En combinant les symétries introduites par la théorie des cordes avec la symétrie par renversement du temps, selon laquelle les équations de la physique fonctionnent indifféremment lorsqu’on les applique vers le futur ou vers le passé, les chercheurs ont imaginé de nouvelles cosmologies, où le Big Bang n’est pas le commencement du temps, mais seulement une transition violente entre deux états de l’Univers : avant, l’expansion accélère, après, elle ralentit. L’intérêt de cette conception est qu’elle intègre automatiquement les idées du modèle inflationniste, c’est-à-dire l’existence d’une période d’inflation accélérée capable de justifier l’homogénéité de l’Univers. Dans la théorie standard, l’accélération est causée après le Big Bang par l’inflaton. Dans la cosmologie des cordes, l’accélération se produit avant le Big Bang et résulte des symétries de la théorie.
Les conditions régnant aux abords du Big Bang sont si extrêmes que nul ne sait résoudre les équations qui le décrivent. Néanmoins, les théoriciens des cordes se sont risqués à décrire certains aspects de l’Univers précédant le Big Bang. Deux modèles sont aujourd’hui à l’étude. Le premier, connu sous le nom de scénario pré-Big Bang, postule que l’Univers antérieur au Big Bang est une image miroir de l’Univers postérieur à cet événement. L’Univers s’étend éternellement dans le futur comme dans le passé. Il y a infiniment longtemps, il était presque vide et ne contenait qu’un gaz raréfié de rayonnements et de matière. Les forces de la nature, contrôlées par le dilaton, étaient si faibles que les particules de ce gaz interagissaient à peine. Avec le temps, les forces ont gagné en intensité et la matière a commencé à s’agréger. Certaines régions en ont accumulé aux dépens de leurs voisines. La densité y est devenue telle que des trous noirs se sont formés. La matière piégée à l’intérieur a été isolée et l’Univers s’est scindé en morceaux déconnectés. Au sein de chaque trou noir, la densité de matière était toujours plus élevée. Lorsque la densité, la température et la courbure ont atteint les valeurs maximales permises par la théorie des cordes, ces quantités ont « rebondi » et commencé à décroître. Le Big Bang n’est autre que le moment où s’est produit ce renversement. L’intérieur de l’un de ces trous noirs est devenu notre Univers.


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Des branes qui s’entrechoquent
Ce scénario pré-Big Bang, que j’ai proposé avec des collègues en 1991, a été la première tentative d’application de la théorie des cordes à la cosmologie. Il a suscité de nombreuses critiques, dont il nous reste à déterminer si elles ont mis le doigt sur une faille importante.
L’autre principal modèle décrivant l’Univers avant le Big Bang est qualifié de scénario ekpyrotique (du mot grec signifiant conflagration). Développé depuis 2001 par Neil Turok, de l’Université de Cambridge, et Paul Steinhardt, de l’Université de Princeton, ce scénario est fondé sur l’idée que notre Univers serait une D-brane qui flotte à proximité d’une autre dans un espace de dimension supérieure. L’espace séparant les branes se comporterait comme un ressort qui les conduit à entrer en collision tandis qu’elles se contractent. L’énergie du choc est convertie en matière et en rayonnement : c’est le Big Bang. Dans l’une des variantes de ce scénario, les collisions se produisent de façon cyclique. Deux branes se rencontrent, rebondissent et s’écartent avant de retomber l’une sur l’autre et ainsi de suite. Entre ces collisions, les branes se dilatent continuellement, à l’exception d’une phase de contraction juste avant le choc. L’expansion ralentit lorsque les branes s’écartent et accélère lorsqu’elles se rapprochent à nouveau. La phase actuelle d’accélération de l’expansion cosmique, découverte ces dernières années lors de l’observation de supernovae lointaines, annonce peut-être une prochaine collision.


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Le scénario ekpyrotique
Le scénario ekpyrotique. Si notre Univers est une membrane multidimensionnelle, plus simplement une « brane », flottant dans un espace de dimension supérieure, le Big Bang aurait résulté de la collision de deux branes parallèles. Des collisions se produiraient périodiquement.
:copyright: Samuel Velaco
Les scénarios pré-Big Bang et ekpyrotique partagent des traits communs. Tous deux commencent avec un Univers immense, froid et presque vide, et tous deux peinent à expliquer la transition entre les phases pré- et post-Big Bang. Mathématiquement, leur principale différence réside dans le comportement du dilaton. Dans le scénario pré-Big Bang, il a initialement une valeur très basse, de sorte que les forces fondamentales sont faibles, et il gagne progressivement en intensité. Dans le scénario ekpyrotique, c’est le contraire : la collision se produit lorsque l’intensité des forces est minimale.
Cette faiblesse des forces a suscité l’espoir de réussir à analyser le rebond avec des techniques classiques. Malheureusement, dans les variantes actuelles, quand les branes se rapprochent jusqu’à s’entrechoquer, la dimension qui les sépare « s’effondre », de sorte que la singularité ne peut être évitée. Autre obstacle, il faut finement ajuster les conditions initiales pour que l’on puisse résoudre les problèmes cosmologiques classiques. Par exemple, avant le choc, les branes doivent être quasiment parallèles, sans quoi elles ne donnent pas lieu à un Big Bang assez homogène.
En laissant de côté la difficile tâche d’étayer ces deux scénarios d’un point de vue mathématique, les physiciens cherchent d’ores et déjà des conséquences observables. À première vue, les deux modèles évoquent davantage des spéculations métaphysiques que des théories physiques. Toutefois, des détails de l’époque antérieure au Big Bang pourraient avoir des conséquences observables, tout comme ceux de l’époque d’inflation. Les minuscules fluctuations observées dans la température et la polarisation du rayonnement du fond diffus cosmologique fournissent des tests empiriques.
On interprète les fluctuations de température comme la marque d’ondes acoustiques qui se sont propagées dans le plasma primordial durant les 380 000 ans précédant l’émission du rayonnement de fond cosmologique. La régularité de ces fluctuations prouve que les ondes acoustiques ont été engendrées au même moment. Les modèles inflationnistes, pré-Big Bang et ekpyrotique satisfont tous les trois cette contrainte et passent ce premier test. Les ondes acoustiques y sont engendrées au même moment par des fluctuations quantiques amplifiées lors de la phase d’expansion accélérée.
Par ailleurs, chaque modèle prédit une répartition angulaire spécifique des fluctuations. Les observations montrent que l’amplitude des fluctuations de grande taille angulaire est constante, tandis qu’aux petites échelles, on observe des pics. Le modèle inflationniste reproduit parfaitement cette distribution. Durant l’inflation, la courbure de l’espace-temps change lentement. Des fluctuations de tailles différentes sont ainsi engendrées dans des conditions similaires et le spectre de fluctuation initial est invariant par rapport à l’échelle angulaire. Les pics aux petites échelles résultent de l’altération des fluctuations initiales, dans la suite de l’histoire de l’Univers. Dans la cosmologie des cordes, la courbure de l’espace temps évolue très vite, ce qui accroît l’amplitude des fluctuations à petite échelle. Cependant, d’autres processus compensent ce phénomène : dans le scénario ekpyrotique, la contraction des branes produit un spectre de fluctuation invariant d’échelle ; dans le modèle pré-Big Bang, intervient un champ quantique nommé curvaton. Aussi, pour le moment, les trois modèles correspondent aux observations.


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Fond diffus cosmologique
L’observation de l’Univers antérieur au Big Bang paraît à jamais impossible. Cependant, il subsiste de cette époque une forme de rayonnement: les ondes gravitationnelles. On pourrait détecter leurs effets sur la polarisation du fond diffus cosmologique. Les scénarios pré-Big Bang et ekpyrotique prédisent plus d’ondes gravitationnelles de hautes fréquences, et moins de basses fréquences, que le modèle de l’inflation. Les observations actuelles ne peuvent départager ces modèles, mais la mesure de la polarisation du fond diffus cosmologique par le satellite Planck, dès 2007, et les observations des détecteurs gravitationnels VIRGO et LIGO devraient nous y aider.
:copyright: NASA (simulation) ; Gabrielle Veneziano (graphique)
La polarisation du fond diffus cosmologique fournit un autre test. Contrairement aux autres modèles, le scénario d’inflation prévoit que les ondes gravitationnelles ont contribué aux fluctuations de température. Certaines de ces ondes gravitationnelles auraient laissé une signature dans la polarisation du rayonnement de fond cosmologique. Les observations du satellite Planck de l’Agence spatiale européenne pourraient déceler cette signature, si elle existe. Sa découverte apporterait un argument de poids en faveur de l’inflation.
L’analyse du fond cosmologique n’est pas la seule façon de tester ces théories. Le scénario pré-Big Bang prédit l’émission d’ondes gravitationnelles, dont certaines seraient accessibles aux détecteurs d’ondes gravitationnelles tels que VIRGO. Par ailleurs, puisque les scénarios ekpyrotique et pré-Big Bang impliquent des variations du dilaton, qui est couplé au champ électromagnétique, ils prédisent l’existence de fluctuations du champ magnétique à grande échelle. On pourrait découvrir des vestiges de ces fluctuations dans les champs magnétiques galactiques. Quand a donc commencé le temps ? La science n’apporte pas encore de réponse à cette question, mais elle dispose d’au moins deux théories potentiellement testables qui affirment de façon plausible que l’Univers – et par conséquent le temps – existait avant le Big Bang. Si l’un de ces scénarios est vrai, alors le cosmos a toujours existé.



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