Le commerce du sel de l'ancienne Afrique de l'Ouest
Le sel du désert du Sahara était l'un des principaux biens commerciaux de l'ancienne Afrique de l'Ouest où l'on pouvait trouver très peu de gisements naturels de minéraux. Transporté par des caravanes de chameaux et par bateaux le long des rivières comme le Niger et le Sénégal, le sel se frayait un chemin vers des centres commerciaux tels que Koumbi Saleh, Niani et Tombouctou, d'où il faisait route plus au sud ou était échangé contre d'autres biens tels que l'ivoire, le cuir, le cuivre, le fer et les céréales. L'échange le plus courant était le sel contre la poussière d'or provenant des mines du sud de l'Afrique de l'Ouest. En effet, le sel était une marchandise si précieuse qu'il valait littéralement son pesant d'or dans certaines parties de l'Afrique de l'Ouest.
Dalles de sel, Tombouctou
Les mines de sel du Sahara
Le besoin en sel dans l'Afrique de l'Ouest antique est résumé ici dans un extrait de l'Histoire générale de l'Afrique de l'UNESCO :
Le sel était un minéral très demandé, particulièrement au début du mode de vie agricole. Les chasseurs et les cueilleurs de nourriture obtenaient probablement une grande partie de leur apport en sel des animaux qu'ils chassaient et des aliments végétaux frais. Le sel ne devient un additif essentiel que lorsque les aliments frais sont inaccessibles dans les zones très sèches, où la transpiration corporelle est normalement excessive. Il devient cependant extrêmement recherché parmi les sociétés à régime alimentaire relativement restreint, comme cela était le cas pour les cultivateurs. (Vol II, 384-5)
De plus, le sel était toujours très demandé afin de mieux conserver la viande séchée et de donner plus de goût aux aliments. La région de la savane au sud du désert du Sahara occidental (connue sous le nom de région du Soudan) et les forêts du sud de l'Afrique de l'Ouest étaient pauvres en sel. Ces régions situées près de la côte atlantique pouvaient obtenir le minéral à partir de récipients d'évaporation ou de l'eau de mer bouillie, mais le sel de mer ne voyageait pas et se conservait très mal. Une troisième alternative était le sel dérivé des cendres de plantes brûlées comme le millet et les palmiers, mais encore une fois celles-ci n'étaient pas si riches en chlorure de sodium. Par conséquent, pour la plus grande partie de la région du Soudan, le sel devait provenir du nord. Le désert inhospitalier du Sahara était la principale source naturelle en sel de roche, soit provenant de dépôts de surface causés par le processus de dessiccation tels que ceux trouvés dans les lits desséchés des lacs ou extraits de mines relativement peu profondes où le sel est naturellement formé en dalles. Ce sel, de couleur gris crème, était bien supérieur aux autres sources de sel provenant de la mer ou de certaines plantes.
Routes commerciales transsahariennes
La date exacte à laquelle le sel devint une marchandise commerciale est inconnue, mais l'échange de sel contre des céréales remonte à la préhistoire où les peuples du désert et de la savane cherchaient à acquérir ce qu'ils ne pouvaient pas produire eux-mêmes. À plus grande échelle, les caravanes de chameaux traversaient probablement le Sahara depuis au moins les premiers siècles du 1er millénaire EC. Ces caravanes étaient menées par les Berbères qui agissaient comme intermédiaires entre les États d'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest. Le sel était leur principal bien commercial, mais ils apportaient aussi des articles de luxe comme la verrerie, les tissus fins et les produits manufacturés. En outre, avec ces biens commerciaux on vit également arriver la religion islamique, des idées nouvelles en art et architecture, et des pratiques culturelles.
CELUI QUI CONTRÔLAIT LE COMMERCE DU SEL CONTRÔLAIT ÉGALEMENT LE COMMERCE DE L'OR, ET LES DEUX ÉTAIENT LES PRINCIPAUX PILIERS ÉCONOMIQUES DE DIVERS EMPIRES OUEST-AFRICAINS.
Le sel, tant sa production que son commerce, était prédominant dans les économies de l'Afrique de l'Ouest tout au long du 2ème millénaire EC, avec les sources et les centres commerciaux changeant constamment de mains suivant l'expansion et la régression des empires. Les mines de sel d'Idjil dans le Sahara étaient une source célèbre de cette précieuse marchandise pour l'Empire du Ghana (6-13ème siècle EC) et se portaient toujours à merveille au XVe siècle EC. Au Xe siècle EC, les Berbères Sanhaja, qui contrôlaient les mines de sel d'Awlil et de Taghaza et le transport traversant des villes commerciales telles que Aoudaghost, commencèrent à contester le monopole commercial de l'Empire du Ghana. Au XIe siècle EC, les mines d'Awlil étaient entre les mains du Tékrour, mais c'est l'Empire du Mali (1240-1645), dont la capitale était Niani, qui domina le commerce du sel subsaharien suite à l'effondrement de l'Empire du Ghana. Cependant, des «ports» fluviaux semi-indépendants comme Tombouctou commencèrent à voler des opportunités commerciales aux rois maliens plus à l'ouest. Le royaume qui domina la région et le transport du sel par la suite était l'Empire Songhai (15-16ème EC) avec sa grande capitale commerciale à Gao.
Le sel était sans aucun doute une rareté dans la savane, mais dans les villes minières du désert comme Teghazza (la principale source en sel soudanaise jusqu'au XVIe siècle EC) et Taoudeni, cet article était si abondant que les dalles de sel étaient utilisées pour construire des maisons. Naturellement, le filon lucratif qu'était une mine de sel attirait les convoitises, comme lorsque le dirigeant marocain Muhammad al-Mahdi tenta de s'immiscer dans le marché en organisant l'assassinat de plusieurs illustres marchands de sel touaregs à Teghazza au milieu du XVIe siècle EC. Tout à fait littéralement, celui qui contrôlait le commerce du sel contrôlait également le commerce de l'or, et les deux étaient les principaux piliers économiques des différents empires de l'histoire de l'Afrique de l'Ouest.
Caravane de chameaux transsaharienne
Ibn Baṭṭūṭa, voyageur musulman du XIVe siècle EC, qui se rendit en Afrique de l'Ouest vers 1352 EC, donne une longue description de la vie dans le village de la mine de sel de Taoudeni :
C' est un village sans attractions. Une chose étrange à ce sujet est que ses maisons et ses mosquées sont construites de blocs de sel et couvertes de peaux de chameaux. Il n'y a pas d'arbres, seulement du sable dans lequel il y a une mine de sel. Ils creusent le sol et on y trouve des dalles épaisses, couchées les unes sur les autres comme si elles avaient été coupées et empilées sous le sol. Un chameau porte deux dalles. Les seules personnes qui y vivent sont les esclaves des Massoufa, qui creusent à la recherche de sel.
( cité dans de Villiers, 121-122)
Transport
Les dalles de sel, relativement durables mais peu maniables, étaient chargées sur des chameaux, chacun portant deux blocs pesant jusqu'à 90 kilos chacun. Une caravane de chameaux pouvait, à leur apogée, être composée de 500 à plusieurs milliers de chameaux. Les premières caravanes ont probablement traversé le Sahara occidental au IIIe siècle EC, sinon plus tôt, mais la pratique prit vraiment son essor du IXe au XIIe siècle EC. Lorsque les caravanes arrivaient dans un centre commercial ou une colonie importante de la région du Soudan, le sel était échangé contre des marchandises à transporter à travers le désert lors du voyage de retour; généralement, ces chargements comprenaient de l'or, du cuir, des peaux d'animaux et de l'ivoire. Le sel pouvait être utilisé dans les communautés autour des centres commerciaux ou simplement transporté par bateau le long des rivières comme le Niger, le Sénégal et leurs affluents. Enfin, le sel était découpé en morceaux plus petits et les porteurs le portaient sur leur tête jusqu'à sa destination finale - les villages de l'intérieur de l'Afrique de l'Ouest.
Valant son pesant d'or
Le sel était un produit très apprécié non seulement parce qu'il était impossible de s'en procurer dans la région subsaharienne, mais aussi parce qu'il était constamment utilisé et que l'offre ne suffiisait jamais pour répondre à la demande totale. Il y avait aussi le problème qu'un article aussi volumineux coûtait plus cher à transporter en grandes quantités, ce qui ne faisait qu'ajouter à son prix déjà très élevé. Par conséquent, le sel était très souvent échangé contre de la poussière d'or, parfois même une livre contre une livre dans les régions les plus reculées, les marchands étant spécialisés dans l'une ou l'autre des marchandises. En effet, telle était la stabilité de la valeur du minerai, dans certaines zones rurales, que de petits morceaux de sel étaient utilisés comme monnaie dans les transactions commerciales et les rois du Ghana conservaient des stocks de sel aux côtés des pépites d'or qui remplissaient leur spectaculaire trésor royal. Le passage d'un objet aussi précieux d'un commerçant à un autre offrait de multiples occasions d'augmenter sa valeur au fur et à mesure qu'il s'éloignait de sa source au Sahara.
Un voyageur arabe anonyme du Xe siècle EC prit note de la délicate opération de négoce entre marchands de sel et d'or, parfois appelé «commerce silencieux» où aucune des parties ne se rencontrait face à face :
Le grand peuple du Soudan vivait au Ghana. Ils avaient tracé une frontière que nul qui venait à eux ne franchit jamais. Quand les marchands atteignent cette frontière, ils placent leurs marchandises et leurs tissus sur le sol, puis partent, et le peuple soudanais vient portant de l'or qu'ils laissent à côté de la marchandise, puis partent. Les propriétaires de la marchandise reviennent, et s'ils étaient satisfaits de ce qu'ils avaient trouvé, ils le prenaient. Sinon, ils s'en allaient de nouveau, et le peuple soudanais revennait et ajoutait au prix jusqu'à ce que le marché soit conclu.
( cité dans Spielvogel, 229)
Transport de sel sur le fleuve Niger
Même le seul passage du sel pouvait être une source lucrative de revenus pour les dirigeants. Par exemple, le voyageur arabe Al-Bakri, visitant la région du Soudan en 1076 EC, décrit les taxes sur le sel dans l'Empire du Ghana qui, contrairement à d'autres marchandises comme le cuivre, étaient appliquées deux fois: «Sur chaque ânée de sel, le roi du Ghana perçoit un dinar d'or lorsqu'il est introduit dans son pays et deux dinars quand il en sort» (cité dans Fage, 670). Dans un autre exemple, Tombouctou agissait en tant que négociant intermédiaire dans cet échange en ressources de l'Afrique du Nord et de l'Ouest. Un bloc de sel de 90 kilos, transporté par rivière de Tombouctou à Djenné dans le sud pouvait doubler de valeur et valoir environ 450 grammes d'or. Comme le note l'Histoire du Soudan, compilée vers 1656 EC:
Djenné est l'un des plus grands marchés musulmans, où les commerçants transportant du sel des mines de Teghazza rencontrent les commerçants avec l'or de Bitou... C'est grâce à cette ville bénie que les caravanes arrivent à Tombouctou de tous les points de l'horizon.
( cité dans Oliver, 374)
Même aujourd'hui, le commerce du sel se poursuit, bien que les gisements soient épuisés et que les marchands de sel ne puissent plus exiger de poussière d'or en échange. Le sel saharien de Taoudeni est toujours transporté par les caravanes de chameaux touaregs, les dalles de 90 kilos dorénavant destinées aux raffineries de Bamako au Mali.
Begho, a market town in 16th century West Africa
Bibliographie
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Traducteur
Babeth Étiève-Cartwright
Babeth a enseigné l’anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l’anglais et l’italien et a 25 ans d’expérience dans le domaine de l’éducation. Elle aime voyager et découvrir la langue, l’histoire et le patrimoine culturel des différents pays qu'elle visite.
https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1342/le-commerce-du-sel-de-lancienne-afrique-de-louest/