DROITS  HUMAINS  EN  AFRIQUE  DU NORD : LE DIFFICILE  ANCRAGE


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En ce dix décembre 2021, l’observateur neutre a quelques raisons de s’inquiéter de la situation des droits humains en Afrique du Nord. La dynamique de régression connaît certes des accélérations différentes mais depuis plusieurs années, la permanence de la menace se précise et s’accentue dans les trois pays. 
TUNISIE : exemple en péril ?
La ligue tunisienne des droits de l’homme, la LTDH  a quarante quatre ans. La qualité de ses premiers responsables que furent Saadeddine Zmerli, Khmaies Chemari ou Mohamed Charfi, la volonté de Bourguiba, qui avait compris qu’après plus de vingt ans de despotisme ( éclairé ?) qu’il fallait admettre un regard critique indépendant sur le fonctionnement des institutions, la relative tolérance qui existait à l’époque dans les différents courants politiques traversant la société civile  ont fait de cette institution un modèle de compromis  et un exemple d’organisation pour les pays voisins. C’est du reste la LTDH qui encouragea et accompagna dès 1978 les militants algériens dans leur volonté de création de la ligue algérienne, la LADH en 1985.
Bien structurée dans tout le pays et comptant plusieurs milliers d’adhérents, la LTDH semblait avoir atteint une majorité politique et une rigueur éthique qui la mettait à l’abri des retours de bâtons du pouvoir et des dérapages internes qui en feraient un instrument politicien dont seraient tentés d’abuser les dirigeants qui en auraient la charge au moment où la tendance à laquelle ces derniers appartiendraient auraient le vent en poupe. La LTDH n’échappa à aucun de ces deux risques. Après les premières années du règne de Ben Ali vécues dans la stabilité et une remarquable progression, les discrètes manœuvres des islamistes se firent jour pour infléchir l’action de la Ligue dans le sens de leur projet idéologique et politique (en tentant par exemple d’exclure du champ d’intervention de la Ligue les droits non prescrits par la charia). Soumis à l’époque à de rudes pressions de la part du pouvoir, les fondamentalistes tunisiens qui avaient souvent été protégés par la LTDH se gardèrent de faire de leurs exigences un point de rupture. De son côté, la police de Ben Ali, notamment dans la dernière décennie de son règne, n’eut de cesse de restreindre les activités de la Ligue aussi bien par les intimidations et la répression des militants que par des tentatives d’infiltration de ses structures régionales et nationales. Mais à chaque fois la direction réussit à déjouer les interférences islamistes et contrecarrer les abus des autorités.
Lors de la période qui suivit la chute de Ben Ali, la LTDH joua un rôle capital dans la préservation et la traduction institutionnelle de la révolution de janvier, malgré les coups de boutoir portés violemment par les islamistes désormais au pouvoir contre le pluralisme et les libertés.  Elle fut d’ailleurs distinguée par le prix Nobel de la paix avec le syndicat UGTT, l’organisation patronale UTICA et l’Ordre des avocats, pour avoir conduit avec succès le Dialogue national qui sortit la Tunisie de l’impasse politique en 2014.
Curieusement, c’est après la Révolution que l’action de la Ligue dans la construction d’une société engagée dans la défense des droits humains s’est affaiblie au fil du temps. En analyser les causes nécessiterait des développements plus approfondis. Mais nul doute que l’ouverture du champ politique et l’émergence d’une multiplicité d’organisations de défense des droits catégoriels à tous les niveaux (droits des femmes, droits des minorités, des LGBT, droits à l’expression libre, droits économiques et sociaux, lutte contre la torture et la traite des personnes, etc.) fruits aussi du long combat de la Ligue trois décennies durant, ont contribué à estomper la place centrale de celle-ci telle qu’elle l’occupait avant l’insurrection de 2010 qui mit un terme à la dictature. 


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La qualité de la formation de son encadrement, l’influence de la société civile où les femmes jouent toujours un rôle décisif confère à la LTDH un statut et une crédibilité à l’interne comme sur la scène internationale que lui envient ses homologues algériennes et marocaines. Il n’empêche que le glissement césariste auquel est soumise la Tunisie depuis juillet 2021 fait rentrer les droits humains dans une grisaille critique. Le décret présidentiel du 22 septembre 2021 qui supplante la constitution met les citoyens dans un état de précarité juridique dont les Tunisiens pensaient être prémunis. A l’image du pays, la LTDH est, elle aussi, à un tournant de son histoire. Saura-t-elle se repositionner comme acteur influent du combat contre la restauration autoritaire ?
ALGERIE : un gâchis
En Algérie le dossier de la ligue algérienne des droits de l’homme, la LADH connut à travers le procès de la Cour de sureté de l’Etat de Médéa de décembre 1985, couvert par la presse internationale et suivi par plusieurs ONG, un écho retentissant dans et en dehors du pays. Les Algériens venaient de découvrir que des citoyens s’étaient engagés, au péril de leur liberté, pour défendre leurs droits. Le départ ne fut pourtant pas simple. Entamée dès 1978, la démarche de sensibilisation sur la condition des droits de l’homme auprès de la FIDH fut laborieuse. Les socialistes français quasiment hégémoniques dans cette ONG avaient encore de solides relations avec le FLN. L’étude du dossier algérien connut plusieurs retards et reports. La solidarité de la LTDH et les condamnations sévères qui furent prononcées à Médéa finirent par obliger la FIDH à statuer favorablement en faveur des militants emprisonnés malgré les manœuvres du pouvoir algérien qui créa sa propre Ligue. Comme pour la ligue tunisienne qui ne profita pas du départ de Ben Ali, le paradoxe fut complet en Algérie. C’est l’ouverture politique qui provoqua une explosion organique et éthique dans la LADH et dont ne se remettra plus jamais le combat pour les droits humains. Après l’explosion d’octobre 1988, le FLN devenait un boulet pour une gauche française pressée de faire oublier sa proximité avec l’ancien parti unique. L’apparition des islamistes autour desquels se regroupèrent d’autres partis créa une dynamique qui aspira une petite minorité des membres de la Ligue dont son président maitre Ali Yahia. Ce fut la crise. Depuis la Ligue algérienne n’en finit pas de se démultiplier par un processus mitotique mortifère. Aujourd’hui les ligues s’apparentent à des sectes sans enracinement qui regroupent quelques membres ; chacune ne se mobilisant que si un de ses proches est victime d’un abus. Actuellement la seule structure qui suit avec sérieux et efficacité les dépassements dont se rend régulièrement coupable le pouvoir c’est la Comité national pour la libération de détenus, le CNLD qui a tissé un remarquable réseau de drainage de l’information. C’est du reste le CNLD qui donne en temps réel les informations les plus complètes et les plus crédibles. Pour sa part, la section d’Amnesty international Algérie qui avait entamé une belle carrière avec le professeur Abdelmadjid Bencheikh en 1989 connaît une forme d’atrophie qui réduit ses manifestations à la publication de quelques communiqués.
Parti pour être une terre de pédagogie des droits humains, l’Algérie est le territoire nord-africain où ce chantier a subi le plus sévère déclin. Non seulement il n’y a pas eu de fructification d’un combat héroïque mais les concurrences et les affrontements entre faction rivales qui s’en sont suivis ont démonétisé un sujet qui mettra beaucoup de temps à retrouver la place qui est la sienne dans toute société aspirant à vivre dans un Etat de droit. 
Sur ces ruines, le pouvoir algérien s’adonne à une répression sans limite. Rarement la justice algérienne, pourtant coutumière des instrumentalisations primaires, n’a été aussi asservie et dégradée. Des centaines de prisonniers politiques sont détenus dans des conditions qui, souvent, mettent en péril leur intégrité physique. La mission des avocats est quotidiennement bafouée. En Algérie la nuit des droits de l’homme est plus épaisse que jamais. 
MAROC : le sursis
Le Maroc a créé son organisation des droits humains, l’OMDH en janvier 1989. Pour l’instant, le Royaume a évité l’éclatement de son instance. A la fin du long et terrible règne de Hassan II mais surtout après la montée sur le trône de Mohamed VI, la promesse de l’avènement d’une monarchie constitutionnelle avait donné une vraie visibilité à l’OMDH dont le dynamisme provoqua un foisonnement de courageuses publications. Les témoignages de détenus politiques furent légion et accessibles à tous. Même les survivants de Tazmamart ou les rescapés des deux coups d’Etat de 1971 et 1972 s’exprimèrent en toute liberté. C’est dans la foulée de cette libre expression que le public marocain découvrit le calvaire des enfants d’Oufkir. Le Royaume chérifien acceptait de regarder son histoire dans toutes ses vérités.
Dans la société civile, le tissu associatif irriguait l’ensemble des cités et des zones. Même le monde rural, historiquement périphérique dans la vie culturelle marocaine, s’éveilla à la citoyenneté. Il n’était pas de village de l’Atlas qui n’avait pas son association culturelle environnementale ou sportive. La culture amazighe connut alors une promotion qui ne tarda pas à imprimer sa vigueur aux réformes institutionnelles du pays. Le visiteur qui parcourait le Maroc en ces années 90 était frappé par la discrétion des structures religieuses.
Au Maroc aussi c’est l’avènement de l’islam politique qui marqua le recul des libertés. La mécanique est toujours la même. Les violences intégristes attentent aux comportements autonomes des citoyens qui limitent ou renoncent à l’expression de leurs droits dans l’espace public. Ces replis autorisent les islamistes à se faire plus intransigeants pour imposer leurs modes de vie et de pensée. Les pouvoirs se saisissent de ces menaces – qu’ils instrumentalisent souvent – pour rogner sur les libertés individuelles et collectives. Il n’est pas rare que des citoyens donnent leur assentiment pour une période de serrage de vis qu’ils espèrent la plus courte possible.
Depuis la déroute des islamistes lors des dernières législatives, le Maroc vit à son tour cette période clair-obscur. Après l’incarcération des insurgés du Rif et leurs lourdes condamnations, la répression qui avait aussi longtemps sévi au Sahara occidental est moins directement politiques ; elle cible les catégories potentiellement porteuses d’émancipation. Les journalistes et les femmes sont actuellement les premières victimes du Makhzen.
 
Conclusion :
Le jeu d’équilibrisme où les pouvoirs se donnent pour mission d’arbitrer entre « deux extrémismes » se traduit en Afrique du nord par le même scénario. Pour apparaître comme un recours garant d’harmonie, les régimes reprennent à leur compte les exigences islamistes. Le président tunisien qui laisse dire et croire qu’à travers l’élimination d’Ennahdha il veut éradiquer l’intégrisme ne jure que par la charia. Le pouvoir algérien qui a déclaré « organisation terroriste » le mouvement Rachad, certes lié à l’internationale islamiste, vient de donner la majorité absolue au parlement à l’islamisme domestique. La police marocaine n’hésite pas à jouer le rôle de police des mœurs violant souvent les concessions octroyées par la Moudawana…
Pourquoi ces blocages récurrents ?
L’interview de la philosophe et islamologue Razika Adnani publiée par ADNmed apporte une bonne partie des explications qu’appelle cette lancinante question.
En tout état de cause, c’est à l’aune du respect des droits humains que s’apprécieront les progrès effectifs de la promotion démocratique en Afrique du Nord.
En attendant, les organisations des droits humains des trois pays s’ignorent souverainement. Aucune rencontre, aucune initiative commune n’a été envisagée pour appréhender des problèmes pourtant si communs et, hélas, de plus en plus banals.












 
https://www.adn-med.com/2021/12/08/droits-de-lhomme-en-afrique-du-nord-le-difficile-ancrage/