Trou noir supermassif : Gravity observe enfin la précession de Schwarzschild

Les astronomes observent depuis 27 ans, notamment avec les instruments du VLT de l'ESO, les mouvements d'une étoile proche du trou noir supermassif de la Voie lactée. Baptisée S2, cette étoile vient de fournir un nouveau test de la relativité générale en permettant la première mise en évidence de précession de Schwarzschild avec un trou noir supermassif.

Il y a presque cinq ans déjà on fêtait le centenaire de la découverte de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Depuis des décennies on cherche à la réfuter au profit d'autres théories de la gravitation qui, si elles conservent bien l'espace-temps courbe d'Einstein, utilisent d'autres équations pour gouverner la métrique du champ de gravitation et introduisent éventuellement des champs supplémentaires, souvent scalaires comme celui associé au fameux boson de Brout-Englert-Higgs.
Une des stratégies pour tenter de départager ces théories concurrentes est d'étudier ce qu'elles prédisent en ce qui concerne le mouvement des corps célestes et le comportement des ondes électromagnétiques, via leurs fréquences et les trajectoires des rayons lumineux associées dans un champ de gravitation. Pour cela, il faut trouver une solution des équations de la gravitation qui décrivent l'espace-temps autour d'un corps céleste comme, par exemple, le Soleil. Dans le cas de la théorie d'Einstein une telle solution a été trouvée pour décrire une étoile sans rotation et rigoureusement sphérique, ou pour le moins qui peut être en pratique considérée comme telle à une bonne approximation dans la situation étudiée.
Il s'agit de la fameuse solution de Schwarzschild, laquelle s'est trouvée décrire également dans sa version complète un trou noir et cette fois rigoureusement. Or, il se trouve que nous connaissons l'existence d'un trou noir supermassif contenant environ 4 millions de masses solaires au cœur de la Voie lactée. Nous avons donc à notre disposition un excellent laboratoire pour tester la théorie de la relativité générale ainsi que la théorie des trous noirs. Des chercheurs s'y emploient depuis des décennies en étudiant notamment le mouvement des étoiles autour de ce trou noir associé à une source radio et que l'on appelle Sgr A*. En attendant ses premières images que devraient fournir les membres de la collaboration Event Horizon Telescope, Reinhard Genzel, directeur de l'Institut Max-Planck dédié à la Physique extraterrestre (MPE) à Garching en Allemagne, vient de publier un article dans Astronomy & Astrophysics, disponible sur arXiv, dans lequel il expose avec ses collègues les derniers résultats des études concernant Sgr A* qu'il poursuit depuis presque 30 ans, avec notamment les instruments du Very Large Telescope (VLT) de l'ESO.
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Des observations effectuées au moyen du Very Large Telescope (VLT) de l’ESO ont pour la première fois révélé l’accord parfait entre le mouvement d’une étoile en orbite autour du trou noir supermassif situé au centre de la Voie lactée et les prévisions de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Son orbite présente l’aspect d’une rosette et non d’une ellipse comme le prédit la théorie de la gravitation de Newton. Cet effet, baptisé précession de Schwarzschild, n’a encore jamais été mesuré pour une étoile en orbite autour d’un trou noir supermassif. Cette vue d’artiste illustre la précession de l’orbite stellaire – l’effet est exagéré afin de permettre une meilleure visualisation. :copyright: ESO, L. Calçada

Des observations effectuées au moyen du Very Large Telescope (VLT) de l’ESO ont pour la première fois révélé l’accord parfait entre le mouvement d’une étoile en orbite autour du trou noir supermassif situé au centre de la Voie lactée et les prévisions de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Son orbite présente l’aspect d’une rosette et non d’une ellipse comme le prédit la théorie de la gravitation de Newton. Cet effet, baptisé précession de Schwarzschild, n’a encore jamais été mesuré pour une étoile en orbite autour d’un trou noir supermassif. Cette vue d’artiste illustre la précession de l’orbite stellaire – l’effet est exagéré afin de permettre une meilleure visualisation. © ESO, L. Calçada
Des observations effectuées au moyen du Very Large Telescope (VLT) de l’ESO ont pour la première fois révélé l’accord parfait entre le mouvement d’une étoile en orbite autour du trou noir supermassif situé au centre de la Voie lactée et les prévisions de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Son orbite présente l’aspect d’une rosette et non d’une ellipse comme le prédit la théorie de la gravitation de Newton. Cet effet, baptisé précession de Schwarzschild, n’a encore jamais été mesuré pour une étoile en orbite autour d’un trou noir supermassif. Cette vue d’artiste illustre la précession de l’orbite stellaire – l’effet est exagéré afin de permettre une meilleure visualisation. © ESO, L. Calçada
La première mesure de la précession de Schwarzschild pour un trou noir
En l'occurrence, il s'agit toujours de mesures faites avec celui nommé Gravity et dont Futura avait déjà rendu compte dans les articles précédents ci-dessous. Dans un communiqué de l'ESO, Reinhard Genzel présente les résultats en ces termes : « La théorie de la Relativité Générale d'Einstein prévoit que les orbites liées d'un objet autour d'un autre ne sont pas fermées - contrairement à ce que prédit la théorie de la Gravitation Newtonienne, mais précessent vers l'avant dans le plan du mouvement. Ce fameux effet - observé pour la première fois dans l'orbite que décrit la planète Mercure autour du Soleil - constitua la toute première preuve de la validité de la théorie de la Relativité Générale. Une centaine d'années plus tard, nous venons de déceler la même caractéristique au sein du mouvement d'une étoile en orbite autour de la source radio compacte Sagittarius A*, située au centre de la Voie lactée. Ce résultat observationnel renforce l'idée selon laquelle Sagittarius A* constitue un trou noir supermassif dont la masse avoisine les 4 millions de masses solaires. ».
L'étoile dont parle Reinhard Genzel est célèbre sous le nom de S2. Elle est située à 26.000 années-lumière du Système solaire et elle boucle en 16 ans son orbite autour du trou noir supermassif de la Voie lactée. Selon les lois de Kepler, elle se déplace sur une orbite elliptique, qui précesse du fait des équations de la relativité générale, et sa vitesse est la plus importante lorsqu'elle passe au plus près du trou noir à une distance inférieure à quelque 20 milliards de kilomètres, ce qui représente 120 fois la distance Terre-Soleil. Cette vitesse est alors vertigineuse car elle est de l'ordre de 3 % de la vitesse de la lumière.

Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». :copyright: European Southern Observatory (ESO)
* ? Bientôt une mesure de la rotation du trou noir Sgr A
Les astronomes mesurent les mouvements de S2 depuis 27 ans, ce qui veut dire qu'ils l'ont vu amorcer une seconde orbite autour de Sgr A* et qu'ils peuvent donc effectivement observer l'effet qu'ils appellent la précession de Schwarzschild et ce pour la première fois pour une étoile en orbite autour d'un trou noir supermassif. Mais il y a mieux, comme l'expliquent toujours dans un communiqué de l'ESO Guy Perrin et Karine Perraut, les astronomes français responsables du projet dans le cadre d'une équipe internationale dirigée par Franck Einsenhauer du MPE et qui a permis d'obtenir ce résultat spectaculaire : « Les mesures effectuées sur S2 sont en accord si parfait avec la théorie de la Relativité Générale que nous pouvons estimer la quantité de matière invisible, telle la distribution de matière noire ou l'éventuelle présence de trous noirs de taille inférieure, autour de Sagittarius A*. Ce champ d'investigation présente un intérêt certain pour notre compréhension de la formation et de l'évolution des trous noirs supermassifs. ».
Paulo Garcia, chercheur au Centre d'astrophysique et de gravitation du Portugal, un autre des responsables scientifiques du projet, rappelle un résultat déjà obtenu et dont Futura avait rendu compte dans l'un des articles ci-dessous : « Notre précédent résultat a montré que la lumière émise par l'étoile subit l'effet de la Relativité Générale. À présent, nous démontrons que l'étoile elle-même ressent les effets de la Relativité Générale. ».
Dans un futur proche, les chercheurs s'attendent à aller encore plus loin en débusquant des étoiles moins lumineuses et plus proches de l'horizon des événements de Sgr A*. Cela devrait être possible avec l'Extremely Large Telescope de l'ESO et on devrait avoir accès à des effets relativistes produits par la rotation du trou noir, effet découlant d'une autre solution des équations d'Einstein, celle découverte en 1963 par le mathématicien Roy Kerr et qui porte son nom. Non seulement on aurait alors accès à une nouvelle estimation de la masse du trou noir mais aussi, et pour la première fois, à la valeur de son moment cinétique si l'astre compact est bien en rotation, ce qui est très crédible.
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Cette vue à champ large dans le domaine visible montre les riches amas d’étoiles qui peuplent la constellation du Sagittaire dans la direction du centre de notre galaxie, la Voie lactée. La totalité de l’image est emplie de très nombreuses étoiles – bon nombre d’entre elles toutefois sont masquées par des nuages de poussière et ne révèlent leur présence que dans le domaine infrarouge. Cette vue a été constituée à partir de photographies acquises dans les longueurs d’onde rouge et bleue issues du Digitized Sky Survey 2. Le champ de vue est voisin de 3,5 degrés x 3,6 degrés. :copyright: ESO and Digitized Sky Survey 2. Acknowledgment: Davide De Martin and S. Guisard

Gravity conforte l'existence d'un trou noir supermassif au cœur de la Voie lactée
L'existence de véritables trous noirs - en particulier ceux décrits par la fameuse solution de Kerr lorsqu'ils sont en rotation - vient de recevoir une confirmation supplémentaire en observant, grâce à l'instrument Gravity de l'Eso, Sagittarius A*, notre trou noir supermassif galactique supposé. Cette confirmation semble solide, même si le dernier mot à ce sujet n'a pas encore été dit.
On attendait pour la fin de cette année la révélation d'une image associée au trou noir supermassif de la Voie lactée grâce à l'Event Horizon Telescope (EHT). Image en mesure de vérifier, ou non, la validité de la théorie de la relativité générale et ses conséquences, en particulier l'existence même des trous noirs avec un horizon des évènements. Mais il y a quelques semaines, l'astrophysicienne Sara Issaoun a révélé dans un article sur le site de l'Istituto nazionale di astrofisica italien, en abrégé Inaf, pour Institut national d'astrophysique, qu'il faudra attendre encore l'année 2019.
Toutefois, une équipe internationale de chercheurs européens menée par Reinhard Genzel - de l'Institut Max-Planck dédié à la Physique extraterrestre (MPE), de l'Observatoire de Paris, de l'Université Grenoble-Alpes, CNRS, de l'Institut Max-Planck dédié à l'Astronomie, de l'université de Cologne, du Centre d'astrophysique et de la gravitation (Centra) portugais, tous membres de l'ESO - vient de faire savoir qu'elle était déjà parvenue à un résultat spectaculaire. Ce résultat conforte l'existence des trous noirs et en particulier de ceux en rotation décrits par la fameuse métrique de Kerr (une découverte du mathématicien néo-zélandais Roy Kerr, en 1963) et qui fournissent les bases des explications de la nature des quasars.
Les chercheurs expliquent, dans un article disponible sur Astronomy & Astrophysics (A&A), qu'ils ont utilisé l'instrument Gravity équipant l'Interféromètre du Very Large Telescope (VLT) de l'ESO pour observer les émissions de rayonnement infrarouge polarisé en provenance du disque d'accrétion qui entoure Sagittarius A* au cœur de notre Galaxie. Rappelons que Gravity permet de combiner la lumière en provenance des quatre télescopes du VLT pour créer un télescope virtuel de 130 mètres de diamètre.

Cette simulation figure les orbites d’un petit groupe d’étoiles situées à proximité du trou noir supermassif au centre de la Voie lactée. Au cours de l’année 2018, l’une de ces étoiles, baptisée S2, passa tout près du trou noir et fut l’objet d’une intense campagne d’observations au moyen des télescopes de l’ESO. Son comportement fut conforme aux prédictions de la théorie de la relativité

énérale d’Einstein – incompatible en revanche avec la théorie de la gravitation de Newton. © ESO/L. Calçada/spaceengine.org

Comme Futura l'avait expliqué dans un précédent article (voir ci-dessous), le VLT et Gravity avaient déjà permis de faire passer des tests remarquables à la théorie de la relativité générale et à certaines théories alternatives de la gravitation relativiste, notamment en étudiant les mouvements rapprochés de certaines étoiles autour de Sagittarius A*. Tout dernièrement, c'est le décalage relativiste vers le rouge de la lumière émise par l'étoile S2 dans le champ de gravitation de Sagittarius A* - un objet dont on sait, sans l'ombre d'un doute, qu'il contient quatre millions de masses solaires environ - qui avait été mis en évidence avec Gravity, confortant la théorie d'Einstein.
Une limite pour la taille minimale d'une orbite stable autour d'un trou noir
Aujourd'hui, tout porte à croire que Gravity a observé des bouffées de rayonnement infrarouge provenant d'équivalents des éruptions solaires mais localisées au niveau de points chauds dans le plasma à hautes températures orbitant très près de l'horizon supposé du trou noir de Kerr, censé être la source radio Sagittarius A*. Or, si tel est bien le cas, ces points chauds se trouveraient dans de la matière se déplaçant à environ 30 % de la vitesse de la lumière, en environ 45 minutes, sur une orbite circulaire très proche de celle que les astrophysiciens relativistes appellent l'orbite circulaire stable la plus interne (Innermost stable circular orbit ou Isco). L'orbite circulaire relativiste stable la plus proche possible d'un trou noir en l'occurrence, et qui dépend de la valeur du moment cinétique du trou noir de Kerr en rotation en plus de sa masse. En deçà de cette orbite, c'est la chute vers le trou noir - une prédiction caractéristique de la relativité générale avec ce type d'astre compact - et que l'on ne retrouve pas dans la théorie de la gravitation de Newton.

L’exceptionnelle sensibilité de l’instrument Gravity de l’ESO a apporté un nouvel élément de confirmation de l’existence pré-supposée d’un trou noir supermassif au centre de la Voie lactée. De nouvelles observations stipulent en effet la présence de gaz tourbillonnant, et en particulier d'une poche de plasma chaude, à une vitesse inférieure à un tiers de celle de la lumière le long d’une orbite circulaire encerclant un trou noir doté d’une masse de quatre millions de masses solaires. C’est la toute première fois que de la matière est observée à si grande proximité du point de non retour. :copyright: ESO/Gravity Consortium/L. Calçada

Les caractéristiques de cette orbite et le rayonnement des points chauds ont été découverts en partie par sérendipité alors que les astrophysiciens étaient avant tout occupés à observer l'étoile S2 (en effet, l'existence de ces paquets de plasma et leur potentiel pour l'étude des trous noirs avaient déjà été étudiés théoriquement depuis des années par Avery Broderick, maintenant à l'Institut Perimeter de physique théorique et à l'Université de Waterloo au Canada, et Avi Loeb de l'Université Harvard). Cette découverte semble être en parfait accord avec des prédictions déduites de l'existence d'un trou noir avec un espace-temps décrit par la métrique de Kerr, solution des équations d’Einstein de la relativité générale. On peut en déduire la masse du trou noir Sagittarius A*, qui est d'ailleurs compatible avec celle déjà estimée, et en théorie, mais pas encore en pratique, la valeur de son moment cinétique de rotation (il faudra accumuler d'autres observations d'éruptions dans le disque d'accrétion autour du trou noir).
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Sur cette vue d’artiste figure la trajectoire de l’étoile S2 passant à proximité du trou noir supermassif situé au centre de la Voie lactée. À mesure qu’elle s’approche du trou noir, l’étoile arbore une couleur toujours plus rougeâtre. Cet effet, prédit par la théorie de la relativité générale d’Einstein, résulte de la présence d’un champ gravitationnel très intense. Sur ce graphe, le rougissement ainsi que la taille des objets ont été volontairement exagérés. :copyright: ESO/M. Kornmesser





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