L’homme de Mechta el-Arbi, dernier descendant de l’Atlanthrope ?
p. 65-75
TEXTE INTÉGRAL
1Avec Mechta el-Arbi, près de Chelghoum el Aïd, qui a donné son nom à un type humain, c’est encore un des hauts lieux de la préhistoire mondiale que possède le Constantinois. A cette époque, la fréquence des hommes dans le nord de l’Algérie, que traduit le nombre important de sites, oppose cette partie du pays au Sud qui, lui, paraît quasi désert.
2En 1912, A. Debruge retirait des restes humains du gisement de Mechta el-Arbi, près de Chelghoum el Aïd ; en 1928, C. Arambourg retrouvait des restes comparables dans l’abri sous roche d’Afalou bou Rhummel non loin de Bejaia. L’étude qu’en firent M. Boule, H. Vallois et R.Verneau les amena à identifier un homme « moderne », aux traits voisins de ceux des hommes de Cro-Magnon connus en France, qu’ils nommèrent « homme de Mechta el-Arbi ». On l’appelle aussi homme de Mechta-Afalou en raison du grand nombre de squelettes trouvés dans le gisement d’Afalou bou Rhummel. Depuis, les découvertes n’ont cessé de se succéder — on compte aujourd’hui plus de cinq cents individus —, donnant une connaissance très précise de cette population.
L’homme de Mechta el-Arbi
3L’homme a une stature élevée, 1,72 à 1,74 m — les femmes mesurant une dizaine de centimètres de moins —, des avant-bras et des jambes très allongés. Les mains sont longues et étroites. La tête présente une disharmonie crânio-faciale due à une face basse et large et à un crâne à voûte haute dont la forme pentagonale est très caractéristique. La capacité crânienne est élevée, d’une moyenne de 1 650 cm3. Les orbites, que surmontent des arcades sourcilières proéminentes, ont une forme rectangulaire. La mâchoire inférieure, au menton accusé, est puissante ; les gonions, angles de la mâchoire, développés, retournés vers l’extérieur, indiquent une forte musculature faciale.
18. La tête de l’homme ibéromaurusien reconstituée par l’informatique. Les travaux de D. Hadjouis et J-N. Vignal permettent actuellement, à l’aide de méthodes numérisées établies grâce à l’orthopédie dento-maxillo-faciale, de reconstituer les visages par l’informatique avec une très grande précision (d’après Hadjouis et al. 2 000).
4Quand on imaginait l’homme de Néandertal peuplant le nord de l’Afrique à l’Atérien, on crut que les hommes de Mechta el-Arbi l’avaient envahi. Les divergences techniques entre leurs industries et celles, atériennes, qui les ont précédées, l’existence fréquente de niveaux stériles entre ces deux niveaux laissés par l’homme avaient pu conforter cette hypothèse. Les hommes ibéromaurusiens auraient déferlé jusqu’à l’océan Atlantique et ce malgré certaines incohérences dans cette progression, en particulier l’absence d’évolution des industries d’est en ouest.
5Les auteurs n’étaient toutefois pas d’accord quant à l’origine de ces populations. H. V. Valois la voyait au Proche-Orient où était reconnue une évolution de l’homme acheuléen en homme moderne, J.-L. Phillips en Orient ou dans la vallée du Nil, J. Tixier dans le nord du Soudan où l’on connaissait une population semblable. Mais ces populations sont plus récentes que celles du nord de l’Afrique, aussi, à l’inverse de cette idée d’un déplacement de populations d’est en ouest, F. Wendorf propose, lui, une origine nord-africaine aux populations du sud de l’Égypte.
6Aujourd’hui, on pense que l’homme de Mechta el-Arbi serait l’aboutissement d’une évolution d’Atlanthropus mauritanicus. On ignore quels liens peuvent l’unir à l’homme de Cro-Magnon, mais il est de plus en plus difficile de retenir l’hypothèse d’une migration à partir du Proche-Orient qui prendrait en tenaille la Méditerranée au nord et au sud, et les ressemblances entre les populations Cro-Magnon et Mechta el-Arbi sont assez nombreuses pour poser autant qu’une question de convergences, celle de migrations par l’Espagne ou plutôt l’Italie, aucune population cro-magnoïde n’étant connue dans la péninsule Ibérique.
L’Ibéromaurusien, épanouissement de l’homme de Mechta el-Arbi
7En 1899, P. Pallary découvrait dans l’abri de La Mouillah, près de Maghnia, une industrie comportant une proportion écrasante de lames courtes et étroites, dites lamelles, dont un côté a été abattu par une retouche très abrupte. En la nommant « Ibéro-maurusien », il voulait faire valoir des relations avec l’Espagne qu’il croyait y percevoir. Bien que cette dénomination se soit révélée inopportune, aucune de celles que l’on a tenté de lui substituer, comme Oranien, Mouillien n’est parvenue à supplanter celle-ci, qui a seulement perdu son trait d’union pour s’écrire « Ibéromaurusien ».
8À cette période, le débitage ne fournit que peu d’éclats ; il vise à la production de lamelles et montre, dans certains sites, une recherche de standardisation. L’outillage fait un ample usage de la retouche abrupte. Un bord des lamelles est ainsi retouché pour fournir une grande variété de formes. Contrairement à ce qui fut souvent avancé, cet ensemble industriel n’est ni pauvre, ni monotone, ni de médiocre qualité. La fréquence de certains types est caractéristique, des pièces courtes, à dos arqué, paraissant privilégiées ; E.G. Gobert, G. Camps ont fait remarquer la prédilection des Ibéromaurusiens pour la retouche de la partie la plus robuste de la lamelle, sa base. Ce sac à outils montre l’existence d’une nouvelle technique, celle du microburin, mode de cassure assez particulier qui se fait par flexion après avoir façonné une coche à l’endroit où l’on veut sectionner la lamelle ; on élimine ainsi les extrémités qui portent alors ce nom. Cela permet de produire aisément des dos courbes et des troncatures ; en retouchant la cassure, on obtient de petites pièces à double troncature, les microlithes géométriques, qui se développeront plus tard dans le Capsien. On trouve aussi dans l’Ibéromaurusien des pièces esquillées, peu épaisses, souvent petites, qui présentent des groupes de petits enlèvements écailleux plus ou moins réguliers, opposés, donnant l’aspect de bords écrasés. Tout comme pour les pièces à coches, il est difficile de savoir si cette forme résulte du travail effectué ou d’une retouche particulière. Ces pièces peuvent figurer en nombre ; ainsi dans le gisement DDC où elles sont associées à des restes osseux abondants, elles atteignent 30 %. Elles y évoquent des coins qui auraient servi à fendre les os.
9Cet outillage lithique lamellaire à retouche abrupte a longtemps occulté un gros matériel qui lui est associé. Il est vrai qu’il souligne un événement nouveau, l’emploi d’objets de petite dimension qui impliquent un support et dont on peut se demander s’ils étaient utilisés isolément ou regroupés en outils complexes.
10Le développement d’un habitat sous roche a favorisé la conservation des outils en os de cette époque, qui sont donc bien connus. Le tranchet est une pièce qui paraît caractéristique ; il n’existera plus tard que dans les sites connaissant une forte influence ibéromaurusienne et ne se répandra qu’au Néolithique.
11Cependant, malgré ces données, on saisit encore mal l’évolution de l’Ibéromaurusien. Pour certains auteurs, il aurait connu une évolution linéaire, chaque phase ayant une valeur chronologique. Pour d’autres, il y aurait eu plusieurs branches évoluant indépendamment.
12L’Ibéromaurusien fut longtemps entendu comme une culture épipaléolithique en raison de l’aspect de ses outils de pierre et de quelques indices concernant sa position stratigraphique. Les sites de Kouali et d’Oueds Kerma, proches d’Alger, avaient permis en effet de les rapporter à la fin de la régression préversilienne ou au tout début de la transgression versilienne, vers — 10 000. Cela permettait de voir dans l’Ibéromaurusien un faciès latéral d’une autre culture, le Capsien, avec lequel il semblait partager le territoire ; le Capsien aurait occupé les hautes plaines constantinoises alors que l’Ibéromaurusien n’aurait été connu que sur le littoral et en région tellienne.
13Depuis, de multiples datations situent le développement de l’Ibéromaurusien entre les XXIIe et IXe millénaires, quelques éléments ayant pu perdurer jusqu’au milieu du VIIIe. En remontant au XXIIe millénaire, l’Ibéromaurusien occupe chronologiquement la moitié terminale de ce que l’on nomme ailleurs Paléolithique supérieur ; il est nettement antérieur au Capsien, seule sa fin chevauche peut-être les débuts de celui-ci.
14Le Paléolithique supérieur se distingue du Paléolithique moyen auquel il succède par l’abandon du débitage Levallois et par l’emploi généralisé de lames - et à un degré moindre, de lamelles-, et de la retouche abrupte. En Europe, où il fut défini à partir de ses techniques et de sa position stratigraphique, le Paléolithique supérieur voit s’épanouir diverses cultures liées à l’apparition et au développement de l’homme moderne, Homo sapiens sapiens, qui s’y substitue à Homo sapiens neanderthalensis. C’est la période où le renne Rangifer guettardi occupe l’Europe occidentale, d’où le nom d’Âge du Renne qui lui a été donné par certains auteurs. Mais, alors qu’en Europe cette phase n’utilise guère la technique du microburin, se différenciant ainsi du Mésolithique qui lui succède, le Maghreb la développe déjà.
Les principaux gisements ibéromaurusiens
15Vue longtemps comme inféodée au milieu côtier, la civilisation ibéromaurusienne a occupé un territoire bien plus vaste. Elle est identifiée sur le versant sud de l’Atlas saharien. Au Maroc, de petites stations en relation avec des points d’eau se retrouvent jusqu’à 2000 m dans le Haut et le Moyen Atlas. Seule, la Tunisie orientale n’en a livré aucun, mais l’on y connaît dès le XXe millénaire des industries lamellaires qui lui sont apparentées. Et, si l’on rappelle qu’à l’époque où l’Ibéromaurusien s’est développé, le rivage du golfe de Gabès se trouvait à quelque 200 km au large, on ne peut a priori éliminer l’idée d’en trouver traces sous les eaux. Non loin de la mer, les hommes ibéromaurusiens se sont volontiers installés dans des abris sous roche ; en plein air dans ces mêmes régions on peut surtout faire état d’une traînée matérialisée par un petit nombre de pièces, plus rarement par des stations d’envergure comme celles de Rachgoun ou Courbet-marine. À l’inverse, dans les régions plus méridionales, les sites se rencontrent plutôt en plein air. Cette position de l’habitat laisse supposer la recherche d’une protection contre la rigueur du climat.
16Divers sites importants ont été retrouvés en Oranie. Le gisement princeps, l’abri sous roche de La Mouillah découvert par P. Pallary, a été fouillé par A. Barbin de 1907 à 1910. Il est dit « princeps » car c’est à partir des objets qui y furent trouvés qu’un modèle fut défini et que l’identité ibéromaurusienne s’est construite. La couche où se sont entassés les restes de l’occupation humaine est épaisse de 1,80 à 2 m. Elle est riche en lamelles à dos courbe, entières ou brisées, qui ne portent souvent qu’une retouche partielle. Les rares formes géométriques sont des segments également nommés croissants. Les fouilles ont aussi livré des pièces plus volumineuses en quartzite, quelques molettes et broyeurs dont certains étaient enduits d’ocre, des objets de parure, perles, pendeloques, des fossiles ainsi que des matières colorantes, ocre, obgiste. Parmi le matériel osseux se trouvait un andouiller de cerf. Des ossements humains réduits à l’état de débris provenaient d’une quinzaine d’individus.
17L’Abri Alain à Oran renfermait une couche de 3 m d’épaisseur, jaune dans sa partie inférieure, noire dans sa partie supérieure. Les lamelles à bord abattu, trouvées en très grand nombre, étaient mêlées à des galets aménagés. Des pétoncles, utilisé comme godets, retenaient des restes de colorant. Des poissons et des mollusques abondaient, témoignant d’étroites relations avec la mer.
18Des divers sites de la région d’Alger, seules les grottes Rassel et Courbet-marine ont fait l’objet de fouilles récentes. La grotte Rassel se situe sur le flanc ouest du Chenoua, non loin de la grotte Roland qui, elle aussi, renfermait un niveau ibéromaurusien. A Rassel, après l’effondrement de la voûte, de nombreux blocs ont oblitéré les dépôts archéologiques et fortement détérioré des restes humains. Homogènes, ces dépôts sont essentiellement constitués de pièces lithiques à la facture négligée. Les nucléus, usés à l’extrême, soulignent une faible disponibilité de la matière première, un silex noir qui se rencontre dans les oueds du voisinage. Les lamelles à dos qui forment la masse du matériel offrent une grande variété avec suprématie des dos partiels, plutôt arqués dans la partie inférieure du site, rectilignes dans sa partie supérieure. Quelques outils sont ocrés. À cet outillage taillé s’ajoutent quelques outils en os, des galets et des coquillages perforés ayant servi d’objets de parure, des colorants, ocre rouge, jaune, galène. Un grand pétoncle évoque une coupelle à fard.
19C’est peut-être la corniche jijellienne qui conserve les sites les plus importants dans les abris sous roche de Tamar-Hat, Afalou bou Rhummel et Taza. Ce dernier, détruit en grande partie par la construction de la route, sert depuis quelques années d’école de fouilles préhistoriques à l’Institut d’archéologie de l’université d’Alger, sous la conduite de A. Derradji et M. Medig. Il en fut retiré une tête humaine offrant d’intéressantes déformations actuellement en cours d’études. Creusé dans les calcaires dolomitiques, 2 km à l’est de l’oued Agrioun, l’abri de Tamar Hat, profond d’une dizaine de mètres, à peu près aussi haut, s’ouvre vers la mer en dominant d’une quinzaine de mètres l’étroite plaine côtière du Melbou. À la base du talus d’avant-grotte, se trouvent 7 m d’argile renfermant quelques restes d’ours et d’éléphants. Au-dessus, reposent 5 m de sédiments argilo-cendreux à cailloutis. Ils renferment l’outillage des hommes préhistoriques, des coquilles et des os, rejets de leur nourriture. Les outils, taillés sur place, comportent nombre de lamelles dont un bord a été partiellement abattu afin de réduire la largeur de la base. Ce dos est toujours dextre alors que, lorsqu’il est totalement abattu, une position senestre prédomine. Cela révèle sans aucun doute des utilisations différentes. Deux boules percées sont probablement des bâtons à fouir. Mais ce qui frappe le plus, c’est l’abondance du mouflon. Elle a conduit E.C. Saxon à envisager des rapports très étroits entre cet animal et les hommes, prémices à une domestication. Tel n’est pas le point de vue de J. Morel qui n’y voit qu’une chasse préférentielle.
20Avec une profondeur de 10 m et une hauteur comparable, l’abri d’Afalou bou Rhummel, qui n’est éloigné de Tamar Hat que de quelques kilomètres, s’ouvre plein nord. Actuellement, il surplombe la route d’une quarantaine de mètres. L’intérieur était occupé par un remplissage archéologique gris sombre d’une dizaine de mètres d’épaisseur, à surface convexe culminant à l’aplomb d’une cheminée qui perfore le plafond de l’abri dans sa partie médiane. Il repose sur une formation rouge argileuse bien visible à l’avant de l’abri où elle atteint de 8 à 10 m d’épaisseur. Vers les parois, des restes alimentaires remplissent des fosses.
8 Il ne peut s’agir de cas particulier car un fragment de figurine comparable a été trouvé à Tamar Ha (...)
21Globalement l’industrie montre des traits identiques sur toute l’épaisseur des dépôts, les niveaux identifiés ne se distinguant que par des détails. De petite taille, l’outillage lithique est riche en lamelles à dos courtes, dont la longueur paraît prédéterminée. Dans la partie la plus récente de l’occupation, le débitage a nettement privilégié un mode particulier qui standardise la longueur des lamelles. Les lamelles à dos renferment une vingtaine de types dont certains étaient jusque-là inconnus dans les industries ibéromaurusiennes et considérés comme typiques du Capsien ; il en est de même de quelques cas de débitage par pression. L’industrie osseuse, dont de nombreuses pièces portent à une extrémité des restes d’articulation, a été durcie au feu. Du matériel de broyage, aménagé dans des galets de nature minéralogique diverse, a été utilisé, dans un second temps, pour débiter des éclats. À la base du niveau moyen qui date de –15 000/ –12 000, furent trouvées des figurines en terre cuite représentant des têtes d’animaux à cornes interprétés comme des capridés8 . Une autre singularité de la couche, est un cubitus d’enfant raclé et durci au feu. La faune a livré des restes de bovin Bos primigenius, de gazelle, sanglier, chacal, renard, porc-épic, macaque, ours ; on y retrouve la même abondance de mouflon qu’à Tamar Hat.
22Courbet-marine est un site de plein air, retrouvé sur la plage actuelle de Zemmouri où le sommet des dépôts anthropiques affleurait. Les fouilles montrèrent un niveau de 40 à 50 cm d’épaisseur, noir, sableux, renfermant un outillage abondant à distribution homogène qui reposait sur des gravillons jaune clair. Le matériel se réduit à l’industrie lithique, quelques fragments d’oligiste et d’ocre rouge, quelques menues esquilles osseuses inidentifiables, ce qui ne peut surprendre dans un site ne bénéficiant d’aucune protection. Les lamelles, en nombre écrasant, sont très souvent fragmentées ; il s’agit toujours de cassures anciennes et la fréquence de ces pièces augmente à mesure qu’on se rapproche du début de l’occupation. Du gros matériel de broyage, des galets qui ont pu être utilisés comme enclume s’ajoutent à cet outillage.
23Rachgoun mérite une mention particulière malgré le peu d’outils qui y fut trouvé. Là, un outillage volumineux fait de galets aménagés, de vastes éclats portant des retouches ou des coches, qui accompagnait quelques outils microlithiques et de nombreuses pierres, a renouvelé la vision que l’on avait du sac à outils ibéromaurusien en concédant à celui-ci l’usage de gros matériel. On y découvrit des restes humains de type protoméditerranéen et non Mechta-Afalou, seul cas connu d’une présence autre que celle d’un homme de Mechta dans un site ibéromaurusien.
24Plus à l’intérieur des terres, dans la région de Tiaret, Columnata offre une très belle stratigraphie où, sur une surface de 30 x 25 m et une épaisseur de 2 m, se succèdent, en se superposant partiellement, des occupations procédant de quatre cultures, dont la plus ancienne est ibéromaurusienne. Cette dernière est truffée de pierres, fragments de grès de dimensions variables allant de 20 à 4 cm, sans agencement particulier. C. Brahimi a discerné une occupation faible ou discontinue y précédant une occupation durable. Comme à Courbet-marine, les lamelles à dos sont souvent fragmentées. Des pièces émoussées, d’aspect divers, présentent sur le tranchant des stries perpendiculaires au fil qui supposent une action de raclage. Le matériel osseux est banal, peu abondant, souvent brisé et porte des traces d’utilisation dont un émoussé. On trouve aussi de l’œuf d’autruche, qui n’est jamais gravé.
25El Haouita, dans la région de Laghouat, a donné son nom à une formation géologique ponctuelle, un remblaiement sableux qui empâte la cluse et dont P. Estorges identifia les particularités et la signification. Un niveau épais de 20 à 60 cm est matérialisé par des pierres taillées peu denses et des plages de minuscules charbons. Inclus à 40 cm du sommet, il était coiffé d’une dalle gréseuse. Les fouilles ont mis en évidence des lentilles d’occupation humaine centrées sur des foyers. Seuls les objets en pierre, avec une forte majorité de lamelles à dos, ont été retrouvés. La position du gisement implique qu’il ait été édifié lors d’une importante phase aride qui a mis en place le dépôt sableux dont le sommet date des XIIIe-Xe millénaires. Une humidité locale, fiée à une source de débit insuffisant pour assurer des écoulements constants, a joué comme piège à sable. Ce type de dépôt est devenu une clé pour la compréhension de l’évolution du paysage saharien car il permet d’y identifier les anciennes émergences d’eau.
26On trouve souvent des sites comparables dans ces formations sableuses. Dans l’oued Bou Saada empâté en amont de l’oasis par un remblaiement complexe, diverses occupations ibéromaurusiennes ont été rencontrées. En rive droite, le site Es Sayar affleure à 1 m de la surface. Une mince couche archéologique, datée autour de — 11 000, fouillée par A. Amara, a montré un outillage dominé par les lamelles à dos, riche en microburins qui paraissent liés à la fabrication de lamelles à dos arqué. Il comporte quelques pièces appartenant à des types traditionnellement attribués au Capsien. Non loin d’Es Sayar, El Onçor affleure au sommet de ce même remblaiement. Les fouilles menées par A.E.K. Heddouche montrent un dépôt anthropique qui se prolonge sous une dalle calcaro-gréseuse. Il a été daté autour de — 8 000. À l’outillage lithique se mêlent quelques fragments d’os, une grande quantité d’œuf d’autruche sans le moindre décor, des pierres brûlées dont certaines formaient un foyer en cuvette de 50 cm de diamètre. Comme à Es Sayar, la masse des outils est constituée de lamelles à dos arqué.
9 Cf. p. 110
27Un peu plus récent encore est le niveau ibéromaurusien d’El Hamel, à 14 km au sud-ouest de Bou Saada. Daté vers — 7 500, il pourrait être une des manifestations les plus tardives de l’Ibéromaurusien, peut-être contemporaine des premières expressions de culture capsienne. Les fouilles menées par J. Tixier ont montré une stratigraphie des plus importantes, avec à la base un niveau ibéromaurusien. Il était surmonté d’une couche rapportée à l’Élassolithique9 par C. Roubet, puis d’un niveau néolithique. Une lentille incluse dans une formation sableuse, 1,5 m au-dessous du niveau ibéromaurusien, renfermait quelques silex lamellaires dont le trop petit nombre ne permet pas d’apprécier l’appartenance culturelle. Le niveau ibéromaurusien comportait de nombreuses taches d’ocre, quelques pierres de foyer et des charbons. Les lamelles à dos prédominaient. L’os était abondant, mais très fragmenté et très altéré, ce qui n’a guère permis d’identification. Aucun fragment d’œuf d’autruche n’y a été trouvé.
10 Cf. p. 57
28Dans la région d’Annaba, les hommes qui s’étaient installés au milieu des dunes10, non loin du rivage actuel, ont disposé d’un sac à outils original. A Demnet el Hassan, leurs outils apparaissent dans les ravinements ou lors des labours, associés à un cailloutis très émoussé sortant des sables. À l’outillage microlithique traditionnel des Ibéromaurusiens s’ajoutent des pièces de technique Levallois qui peuvent être de très petites dimensions, de nombreuses pierres de jet de la taille d’une noix à une noisette, façonnées par épannelage ; les racloirs sont {dus fréquents qu’à l’habitude dans les industries ibéromaurusiennes. À Aïn Khiar, où l’on trouve la même association outils microlithiques/outils Levallois, le matériel Levallois a été débité sur place à partir de petits nucléus dont les dimensions résiduelles se situent entre 24 et 14 mm. La coïncidence systématique entre les surfaces supportant les objets microlithiques et ceux issus d’un débitage Levallois, la répétitivité de cette association rencontrée dans plus de quarante stations ne permettent guère de croire à la superposition de plusieurs habitats. Dans le contexte des connaissances actuelles, on y voit plus volontiers une industrie évolutive que le mélange de deux ensembles industriels, l’un atérien, l’autre ibéromaurusien. C’est ce que confortent les récents travaux menés à Sidi Saïd. À la Pointe Noire près d’El Kala, les dates du sommet des dunes qui supportent un tel gisement, – 22 000, – 20 000, à Chetaïbi, environ – 24 000, conformes à celles de Sidi Saïd, renforcent cette proposition.
29Ainsi, la rupture technologique que l’on lisait entre le sac à outils atérien et celui des Ibéromaurusiens qui lui succède, la rupture chronologique que l’on supposait, disparaissent. L’évolution de l’outillage qui se met en place doit traduire d’importantes modifications du mode de vie qu’il y a tout lieu de rattacher à un changement climatique, l’aridification engendrée par la glaciation de Würm IV.
D’autres cultures au Paléolithique final ?
30C’est la question que posent divers sites de la région des chotts, bien connus dans le Sud tunisien, où ils ont été retrouvés auprès de sources. Ils sont datés entre – 18 000 et – 15 000. L’abondance des lamelles à dos, qui représentent 80 à 90 % des outils, les range dans le monde ibéromaurusien mais divers détails les divisent en deux groupes. L’un, qui se développe vers le nord, offre des traits totalement identiques à ceux de l’Ibéromaurusien alors que l’autre, qui se développe vers le sud, en diffère quelque peu par l’aspect des lamelles à dos, dont le dos n’est plus arqué, mais rectiligne, qui sont longues, et parmi lesquelles interviennent des types inconnus dans l’Ibéromaurusien. Cela pose, entre autres problèmes, celui des relations de ces deux faciès et du devenir du faciès méridional qui a pu se déployer sur le nord du Sahara septentrional lorsque l’aridité de la période glaciaire, qui le confinait près des sources subsistantes, a pris fin.
NOTES
8 Il ne peut s’agir de cas particulier car un fragment de figurine comparable a été trouvé à Tamar Hat dans un niveau du XXe millénaire.
9 Cf. p. 110
10 Cf. p. 57
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Légende 18. La tête de l’homme ibéromaurusien reconstituée par l’informatique. Les travaux de D. Hadjouis et J-N. Vignal permettent actuellement, à l’aide de méthodes numérisées établies grâce à l’orthopédie dento-maxillo-faciale, de reconstituer les visages par l’informatique avec une très grande précision (d’après Hadjouis et al. 2 000).
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