Rosetta : l’eau de la Terre ne viendrait pas des comètes

Rosetta : l’eau de la Terre ne viendrait pas des comètes 40110

La mesure isotopique de l’hydrogène sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko par l’instrument Rosina de la sonde Rosetta interroge les modèles de l’origine de l’eau terrestre.
L’eau est omniprésente sur Terre, mais d’où vient-elle ? L'une des explications avancées est qu’elle aurait été amenée vers la fin de l'accrétion terrestre, par des corps riches en éléments volatils (dont l'eau) situés originellement dans des régions plus éloignées du Soleil. Les candidats potentiels sont les astéroïdes et les comètes. Mais pour préciser quels corps ont apporté l’eau sur Terre, les astrophysiciens comparent les caractéristiques des molécules d’eau de la Terre et des différentes comètes et astéroïdes. L’instrument Rosina, à bord de la sonde Rosetta, a effectué une telle mesure de l’eau sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko.
La question de la provenance de l’eau est encore vivement discutée par les astrophysiciens et les cosmochimistes. La Terre s'est formée dans une région du Système solaire proche du Soleil par condensation de matière et par collisions très énergétiques entre corps de plus en plus gros. Le piégeage des éléments volatils ne pouvait se faire. Ainsi, l’eau s’est vaporisée... Pour expliquer la présence des océans, des fleuves et des glaciers, il faut supposer que cet élément a été apporté ultérieurement par des corps qui ont bombardé la Terre. Ce pourrait être les astéroïdes de la ceinture de débris située entre Mars et Jupiter, ou les comètes issues de deux réservoirs, la ceinture de Kuiper et le nuage d’Oort. Les astéroïdes sont des corps de quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres de diamètre, dont certains semblent contenir jusqu'à 15 % d'eau sous forme de minéraux hydratés. On en connaît la composition par l'analyse de fragments qui tombent sur Terre, les météorites. Les comètes, quant à elles, se sont formées dans les régions les plus lointaines et les plus froides du Système solaire, et comportent jusqu'à 50 % de glace d'eau. Des perturbations gravitationnelles en dévient certaines de leur trajectoire et les envoient dans la partie interne du Système solaire où se trouve la Terre.
Pour tester les différentes origines possibles de l'eau, les astrophysiciens s’intéressent au deutérium – un isotope de l’hydrogène dont le noyau atomique est formé d'un proton et d'un neutron – qui peut constituer ce que l’on nomme l’eau lourde, une molécule d’eau dans laquelle un atome d’hydrogène (H) est remplacé par un atome de deutérium (D). Le rapport isotopique D/H est évalué en comparant l’abondance respective de molécules HDO et H20. Il présente d’importantes variations dans le Système solaire : il est de 0,25 × 10–4 dans la composition de la nébuleuse protosolaire (le nuage de gaz dont est issu le Système solaire et dont les vestiges se retrouvent dans l'atmosphère des planètes géantes), 1,5 × 10–4 pour la Terre, dans une gamme de valeurs proches de celles de la Terre pour les astéroïdes, et il est élevé pour les comètes du nuage de Oort (environ 3 × 10–4). Les modèles suggèrent que les corps sont de plus en plus riches en deutérieum à mesure que l’on s’éloigne du Soleil. Le fait que la Terre soit plus riche en deutérium que les géantes gazeuses est un indice qu’elle a acquis son eau du bombardement des comètes ou des astéroïdes. La comparaison des rapports isotopiques devrait permettre de savoir de quel réservoir vient l’eau sur Terre.

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La comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko présente de l'eau riche en deutérium. Plus riche que ne l'est l'eau terrestre.



Les rapports isotopiques sont surtout connus pour les comètes de longue période provenant du nuage de Oort. Ils ont été mesurés directement par le spectroscope de masse de la sonde Giotto pour la comète de Halley ou par spectroscopie pour d'autres comètes. Ces comètes sont plus riches en deutérium que la Terre. Qu’en est-il des comètes de la ceinture de Kuiper ? Les mesures sur deux comètes (103P/Hartley 2 et 45P/Honda-Mrkos-Pajdusakova) donnent des valeurs compatibles avec celle de la Terre. Ces comètes pourraient donc être la source de l’eau sur Terre ainsi que les astéroïdes.
Le deutérium de Tchouri
Rosina (Rosetta Orbiter Sensor for Ion and Neutral Analysis) a mesuré la concentration des différentes variétés de la molécule d’eau (H2O, HDO) dans l’environnement de la comète « Tchouri » qui, du fait de sa courte période (6,5 ans), proviendrait de la ceinture de Kuiper. Les astrophysiciens ont calculé l’abondance de deutérium de la comète. Elle est environ trois fois supérieure à celle de la Terre. Cette valeur est bien au-dessus de celle de la comète Hartley, pourtant elle aussi issue de la ceinture de Kuiper.
Ce résultat surprenant indique que la composition isotopique de l’hydrogène dans les comètes de la ceinture de Kuiper pourrait être plus hétérogène qu'on ne le pensait. Par ailleurs, il exclut les modèles qui supposent que l'eau terrestre provient des comètes et confirme des scénarios selon lesquels l'eau proviendrait des astéroïdes et peut-être, dans une moindre mesure, de comètes. En outre, le deutérium n’est pas le seul marqueur. D'autres traceurs isotopiques et chimiques tels que les isotopes de l'azote et les abondances des gaz rares permettent aussi de reconstruire l'histoire du Système solaire. Ces traceurs mettaient déjà en difficulté l'origine cométaire de l'eau terrestre. Rosina devrait bientôt analyser ces éléments sur Tchouri.
Le modèle de Nice
Une question demeure : si le rapport isotopique D/H augmente avec la distance au Soleil, d'où vient Tchouri, dont le rapport D/H est supérieur même à celui des comètes du nuage de Oort ? Tchouri se serait formé aux confins du Système solaire, mais différents modèles expliquent la répartition actuelle des comètes. Dans l'un d'eux, le « modèle de Nice », les comètes de la ceinture de Kuiper et du nuage de Oort proviendraient initialement du même réservoir qui présentait une certaine variabilité de rapport isotopique D/H entre les corps les plus proches du Soleil et les plus éloignés dans le réservoir. Puis, il y a 4,1 milliards d’années, les géantes gazeuses, suite à une instabilité dynamique, ont changé d’orbite et ont dispersé les comètes en deux populations réparties aujourd’hui sur la ceinture de Kuiper et le nuage d’Oort. Leur composition serait donc équivalente avec des fractions isotopiques de deutérium variées, comme l’indiquerait la mesure de Rosina. Cependant, le nombre de comètes étudiées est restreint et d’autres mesures seront nécessaires pour renforcer ce scénario.




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