La naissance des États-Unis : treize colonies en révolution
Dans cette toile de 1787 représentant la reddition de Lord Cornwallis, John Trumbull immortalise la capitulation des armées britanniques face aux "insurgents" américains, le 19 octobre 1781 • WIKIMÉDIA COMMONS
En proclamant leur indépendance le 4 juillet 1776, les colonies britanniques d’Amérique du Nord entament avec leur métropole un bras de fer sanglant qui bouleverse l’histoire. Une révolution qui signe l’acte de naissance politique des États-Unis.
La révolution puis l’indépendance américaine constituent l’un des grands bouleversements du XVIIIe siècle. Un événement fondateur. Prise dans son ensemble, la naissance des États-Unis couvre une assez longue période allant de 1763 – date de la fin de la guerre de Sept Ans et de la signature du traité de Paris entre la France et la Grande-Bretagne – à 1789 – année de l’élection de George Washington à la présidence des États-Unis, qui entérine les nouvelles institutions nées de l’adoption de la Constitution fédérale, toujours en vigueur même si amendée de nombreuses fois depuis 1787. Si l’historien peut reconstruire le fil de ces événements, il faut toujours garder à l’esprit la dimension inattendue de ces derniers pour leurs contemporains. Jusqu’en 1775, soit au plus fort de la crise entre les colonies nord-américaines et Londres, l’indépendance effraie plus qu’elle n’enthousiasme les Américains, hormis une poignée de radicaux. Pourtant, elle sera proclamée un an plus tard, en juillet 1776…
Pièces maîtresses de l’économie britannique
Au milieu du XVIIIe siècle, la Grande-Bretagne contrôle 15 colonies en Amérique du Nord : les futures 13 colonies, soit du nord au sud le New Hampshire, le Massachusetts, le Connecticut, le Rhode Island, New York, le New Jersey, la Pennsylvanie, le Delaware, le Maryland, la Virginie, la Caroline du Nord, la Caroline du Sud et la Géorgie, auxquelles s’ajoutent la Nouvelle-Écosse – l’ancienne Acadie, où demeurent encore beaucoup de francophones – et Terre-Neuve. À ces territoires, il convient d’ajouter les colonies caribéennes, dont la florissante Jamaïque. L’Amérique du Nord britannique se distingue par son dynamisme démographique – 1,2 million d’habitants (dont 200 000 esclaves) en 1750 pour 250 000 en 1700 – et sa prospérité. La Virginie et le Maryland cultivent du tabac ; la Caroline du Sud et la Géorgie, du riz et de l’indigo (une plante tinctoriale à partir de laquelle s’obtient le bleu) –, ces quatre colonies concentrant la majorité de la population servile. La Caroline du Nord produit du goudron et de la poix obtenus à partir de la résine de pin pour calfeutrer les navires ; la Pennsylvanie, le New Jersey et New York, des céréales, des farines et de la viande. Le Rhode Island élève des chevaux ; le New Hampshire exporte du bois de marine (notamment pour les mâts) ; le Massachusetts, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve livrent des produits baleiniers et du poisson en abondance.
La Révolution américaine (1775-1783) | Historique | Alloprof
Clairement, ces colonies sont une pièce maîtresse de l’économie britannique : anglaise, bien sûr, avec Londres, véritable capitale d’empire, et Liverpool, grand port négrier, mais aussi écossaise, Glasgow devenant au XVIIIe siècle un port colonial majeur. Cependant, ces colonies sont, à bien des égards, rivales. Elles entretiennent des agents à Londres qui défendent leurs intérêts propres. L’Amérique n’est qu’un terme géographique, et le mot « Américain » se réfère alors aux Amérindiens, qui constitueront d’ailleurs de précieux alliés pour chaque camp lors de la guerre de Sept Ans (1756-1763).
En 1754, un planteur de Virginie s’engage dans la guerre de Sept Ans contre le royaume de France. Un certain George Washington, qui prendra vingt ans plus tard la tête des insurgents contre la Grande-Bretagne… avec le soutien français.
Cette guerre débute en Virginie dès 1754 par des opérations que mène un certain George Washington, planteur et capitaine de milice, contre les Français. En Amérique du Nord, ce conflit majeur se déroule principalement dans le pays de l’Ohio, le piémont de Virginie au bord des Appalaches, et en Nouvelle-Écosse – d’où les Acadiens sont déportés dans toutes les colonies britanniques continentales en 1755. Sur le plan impérial, la France perd toutes ses possessions : le Québec et l’Ohio sont remis aux Britanniques, la Louisiane et le pays des Illinois cédés aux Espagnols, qui donnent pour leur part la Floride aux Britanniques.
La Grande-Bretagne, avec cette éclatante victoire entérinée par le traité de Paris de 1763, contrôle tous les territoires nord-américains à l’est du fleuve Mississippi. Les colons américains, qui pour la première fois se sont battus ensemble aux côtés des troupes britanniques, revendiquent aussi fièrement cette victoire. En 1763, les « Américains » se sentent pleinement britanniques ! C’est pourtant au faîte de cette euphorie que la crise entre les colons et la métropole débute…
Impôts et surveillance, le cocktail explosif
En 1763, la Grande-Bretagne est confrontée à trois défis majeurs. Le premier est sa dette – 130 millions de livres sterling pour 50 millions dans les années 1720 – qui l’oblige à lever des impôts. Or, à Londres, on estime que les colons américains doivent participer à l’effort financier. Dès 1765, le gouvernement britannique propose un impôt sur le timbre, le Stamp Act. Sur tout papier officiel doit désormais figurer un timbre fiscal. Pour les colons, c’est une mesure nouvelle et inadmissible. À leurs yeux, le parlement de Londres ne peut, selon le principe du consentement des gouvernés si cher aux Britanniques de part et d’autre de l’océan, les taxer, car ils n’y sont pas représentés et, surtout, ils jouissent de leurs propres assemblées, qui existent depuis la fondation des colonies au début du XVIIe siècle.
Le deuxième défi est l’administration d’un territoire désormais immense en Amérique du Nord, où la Grande-Bretagne veut garder des troupes, ce qui est très mal perçu par les habitants des colonies. La présence de quelque 10 000 hommes, stationnés surtout dans les villes, provoque l’incompréhension. Pourquoi maintenir cette armée, que les colons doivent aider à loger, alors que les Français ont été vaincus ? Est-ce une armée d’occupation ? Que surveille-t-on, au juste ? Les frontières, les Amérindiens ou la population coloniale ? Enfin, souhaitant ménager ses alliés amérindiens et contrôler le commerce avec ces derniers, la Grande-Bretagne veut empêcher les colons américains de franchir les Appalaches et les contenir près des côtes. La Proclamation royale de 1763, qui interdit aux habitants des colonies d’occuper des terres au-delà des Appalaches et de commercer avec les autochtones, est tout aussi inédite qu’inacceptable. George Washington déclare qu’il ne faudrait « rien moins qu’une muraille de Chine » pour bloquer l’avancée les colons vers l’Ouest.
Attaques à coups de pamphlets
Révolution américaine - Première partie : Les treize colonies britanniques
Les années 1760 sont traversées par une guerre de pamphlets entre Anglais et Américains (le mot commence alors à prendre son sens contemporain). D’une part, sur la différence entre lever des droits de douane (une prérogative du Parlement ancestrale et acceptée par les colons) et lever des impôts dans les colonies (un droit réservé, à leurs yeux, aux assemblées coloniales), et, d’autre part, sur l’impossible représentation des Américains au Parlement. Londres prétend que les colons y sont représentés virtuellement en qualité de sujets britanniques… Les Américains récusent catégoriquement cet argument. Cette même décennie voit le tout premier Congrès, réunissant les habitants de neuf colonies, se tenir à New York en 1765. Alternant menaces et reculades, le gouvernement britannique ne sait pas comment gérer cette crise qui ne fait que s’aggraver. Les Américains choisissent l’arme du boycottage, qui pénalise durement les marchands de métropole.
Au cours des années 1770, la crise atteint un point de non-retour. En mars 1770, un affrontement entre soldats et colons à Boston cause la mort de sept personnes. Ce tragique incident, qui reflète le très haut niveau de tension entre les Bostoniens et les troupes britanniques, est vite qualifié par les Patriotes (le nom que se donnent les révolutionnaires américains) de « massacre de Boston ». Menant toujours une politique incohérente, Londres décide alors de lever des taxes douanières sur plusieurs produits, puis se rétracte et ne garde que celle sur le thé, dont les Américains sont alors de grands consommateurs. Souhaitant aider la Compagnie des Indes orientales, qui s’est investie dans la colonisation du Bengale au point d’être au bord de la faillite, le gouvernement lui accorde le monopole du marché nord-américain pour écouler son thé. Une décision inacceptable pour les marchands américains – qui, par ailleurs, pratiquent la contrebande de thé hollandais à grande échelle… En décembre 1773, des Bostoniens grimés en Mohawks jettent la cargaison de thé de trois navires de la Compagnie ancrés dans le port. C’est la « Boston Tea Party ».
Boston, le cœur du désordre
En 1774, Londres décide de frapper du poing sur la table. Cette insubordination est devenue inadmissible et doit être durement matée. Le Parlement vote alors ce que les Britanniques appellent les « lois coercitives », mais que les Américains nomment les « lois intolérables ». Ces lois ciblent tout particulièrement Boston et la colonie du Massachusetts, considérés comme le cœur du désordre. Le port de Boston est fermé, et les Bostoniens doivent loger les troupes britanniques. La charte du Massachusetts est modifiée pour donner plus de pouvoirs au gouverneur – un général britannique est nommé à ce poste –, au détriment de l’assemblée. De plus, une autre loi, l’Acte de Québec, étend les limites de cette province loin vers le sud, tout en y établissant un gouvernement bienveillant envers les habitants francophones et catholiques. Londres, clame-t-on outre-Atlantique avec amertume et étonnement, traite les colons américains, sujets britanniques, si durement et se montre si tolérante envers d’anciens ennemis…
En 1774 et en 1775, en réaction à ces mesures, se réunissent à Philadelphie le Premier, puis le Second Congrès continental. Cette fois-ci, 13 colonies y sont représentées. Jusqu’à la fin de la période, ce Congrès de 55 membres restera le cœur politique de la rébellion. En avril 1775, des escarmouches entre colons et troupes britanniques dans les petites villes de Lexington et de Concord, au nord de Boston, lancent la guerre. En juin 1775, le Congrès nomme George Washington général en chef de l’armée américaine. La bataille de Bunker Hill, livrée à Boston le 17 juin, est féroce. Les Britanniques la remportent, mais perdent près de 1 000 hommes. Les Américains apparaissent farouchement déterminés. À l’automne 1775, le roi George III déclare l’Amérique en état de rébellion.
En juin 1776, Thomas Jefferson soumet sa Déclaration d’indépendance au Congrès, qui l’adopte unanimement le 4 juillet. Un nouveau pays est né.
Alors que la guerre fait rage et que les Américains tentent toujours de négocier avec Londres, le mouvement vers l’indépendance s’accélère soudainement. En janvier 1776, l’Anglais Thomas Paine, établi à Philadelphie depuis 1774, publie un brûlot antimonarchique en faveur de l’indépendance. Le pamphlet connaît un très grand succès, avec 140 000 exemplaires vendus. En mai 1776, le Congrès invite les colonies à rompre leurs liens avec la métropole et à devenir des États en rédigeant leurs propres Constitutions. Certaines l’ont d’ailleurs déjà fait, tel le New Hampshire dès janvier. En juin 1776, Thomas Jefferson soumet sa Déclaration d’indépendance au Congrès, qui l’adopte unanimement le 4 juillet. Les 13 colonies se proclament « des États libres et indépendants ». Un nouveau pays est né. Magistrale et éloquente, la Déclaration est composée de trois parties. La première expose, dans un condensé de principes hérités des Lumières, les raisons « philosophiques » qui ont conduit ces colonies à proclamer leur indépendance. La seconde liste les griefs reprochés au roi George III : volontairement répétitive et accusatrice, la formulation fait débuter chaque paragraphe par l’anaphore « Il a… ». La troisième, enfin, proclame l’indépendance des colonies.
Au cœur de l'histoire: La naissance des Etats-Unis (Franck Ferrand)
Les anciens ennemis réconciliés
Proclamer son indépendance alors que la métropole a plus de 35 000 hommes de troupe sur place ne suffit pas pour l’obtenir. Et d’ailleurs, ces planteurs, avocats et marchands sont bien courageux, car ils risquent d’être arrêtés et emprisonnés à tout moment. L’Amérique a besoin d’une victoire importante, afin de convaincre les nations européennes de les soutenir. Au Congrès, on pense principalement à la France, la seule qui puisse rivaliser militairement, notamment sur mer, avec la Grande-Bretagne, et qui nourrit un esprit de revanche depuis sa défaite de 1763. Cette victoire décisive sera celle de Saratoga, dans l’État de New York, le 7 octobre 1777. Depuis son arrivée en France en décembre 1776, Benjamin Franklin, qui y a rejoint le premier émissaire du Congrès à la cour de Versailles, Silas Deane, s’active sans relâche et avec succès pour obtenir l’appui financier, diplomatique et militaire de Louis XVI. En février 1778, quatre mois après la victoire de Saratoga, la France, qui a reconstitué sa marine, signe avec les États-Unis un traité d’alliance et d’amitié, et s’engage dans la guerre auprès des « insurgents ». À l’automne 1780, elle envoie en Amérique une partie de sa flotte et un contingent de 6 000 hommes, commandé par le général Rochambeau et basé à Newport, dans le Rhode Island. Quant à La Fayette, il combat déjà dans l’armée américaine depuis 1777 auprès de Washington.
Anciens ennemis, les Français et les Américains s’entendront somme toute bien après une inévitable période d’adaptation. Renonçant à tenter de prendre New York, où les Britanniques ont établi leur quartier général, les nouveaux alliés décident de porter toutes leurs forces en Virginie, près de la petite ville de Yorktown, où le général Cornwallis s’est retranché. Une telle décision implique une coordination parfaite entre les régiments américains de La Fayette, qui arrivent du sud depuis les deux Carolines, et des armées de Washington et de Rochambeau. Cette dernière doit parcourir 800 kilomètres à marche forcée… Enfin, l’assaut terrestre doit aussi être coordonné avec la flotte française, qui a pour mission de fermer la baie afin que les troupes de Cornwallis ne puissent obtenir des renforts ou se retirer par mer. De septembre à octobre 1781, les Franco-Américains mènent à bien ce plan. Après un siège de trois semaines, Cornwallis capitule.
En février 1778, Louis XVI avait engagé la France aux côtés des insurgents américains. En 1783, c’est à Paris qu’est signé le traité reconnaissant l’indépendance des États-Unis.
Le traité de Paris de 1783 reconnaît l’indépendance des États-Unis. Mais l’euphorie cède vite la place à une grande inquiétude et à une confusion nées des sérieuses difficultés que traverse le pays. Les États sont très endettés, l’économie va mal. Une grande partie des terres ont été ravagées par la guerre. Les 60 000 colons loyalistes, partisans de la Grande-Bretagne, ont quitté le pays. Deux révoltes secouent le pays. Enfin, les institutions se révèlent fragiles et peu efficaces. Depuis 1781, le Congrès gouverne sous le régime des articles de la Confédération, qui a créé une ligue d’États souverains, mais sans le pouvoir de lever des impôts, et où toute décision doit être prise à l’unanimité.
En 1787, une convention de délégués des États se réunit avec pour instruction de modifier cette première Constitution. En fait, ils en rédigent une nouvelle, qui change radicalement la donne. Le pays sera désormais gouverné par un exécutif en la personne d’un président élu, et par deux assemblées législatives. Le pouvoir des institutions fédérales est par ailleurs fortement renforcé. La campagne de ratification de cette Constitution est disputée. Finalement, alors que le Rhode Island ne l’a toujours pas ratifiée, elle se met en place. Au début de 1789, Washington, le général qui sauva la cause américaine lors de la guerre, est élu président. La république états-unienne est née.
Pour en savoir plus
Histoire des États-Unis. De 1492 à nos jours, de Bertrand Van Ruymbeke, Tallandier, 2018.
Chronologie
10 février 1763
Le traité de Paris consacre la victoire de la Grande-Bretagne sur la France dans la guerre de Sept Ans.
Avril 1775
Les incidents qui surviennent dans les villes de Lexington et de Concord provoquent la guerre d’Indépendance.
4 juillet 1776
Les 13 colonies britanniques d’Amérique du Nord font sécession et proclament leur indépendance.
6 février 1778
Grâce à leur diplomatie active, les « insurgents » signent un traité d’alliance défensive avec la France.
19 octobre 1781
Avec l’aide de troupes françaises, les « insurgents » remportent une victoire décisive à Yorktown.
3 septembre 1783
Le traité de Paris met fin à la guerre et reconnaît l’indépendance des colonies américaines.
1787
Une Convention réunie à Philadelphie est chargée de rédiger la Constitution des États-Unis.
1789
Grand héros de la guerre, George Washington devient le premier président des États-Unis.
Bertrand Van Ruymbeke, historien spécialiste des États-Unis
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