Écriture libyque (G. Camps)

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Le Maghreb et le Sahara possèdent un grand nombre d’inscriptions utilisant une écriture propre au quart nord-ouest de l’Afrique et qui reçut le nom de numidique puis de libyque. Le premier nom est tombé en désuétude ; il pourrait cependant être conservé pour désigner l’une des formes, dite orientale, de cette écriture répandue en Tunisie et dans l’Est de l’Algérie.
2On peut estimer à quelque mille deux cents les inscriptions libyques publiées jusqu’à ce jour et considérées comme antiques, disons préislamiques, mais le Sahara possède, gravés sur des rochers patinés des milliers de graffiti et d’inscriptions plus récentes dans la même écriture encore utilisée par les Touareg qui lui donnent le nom de tifinagh.
3Depuis les origines jusqu’aux tifinagh actuels, dits récents ou modernes, cette écriture a gardé, avec une constance remarquable, ses caractéristiques dans sa morphologie et dans sa structure.
4Les signes sont nettement séparés dans les écritures antiques qui ignorent les associations et ligatures, celles-ci sont moins rares dans les tifinagh où les associations avec le n initial et le t final donnent une vingtaine de ligatures d’après K. Prasse.
5Autre caractère, l’écriture libyque, comme les tifinagh, reste essentiellement consonantique. Les semi-voyelles (y, w) sont notées mais les voyelles ne sont pas transcrites graphiquement sauf parfois par un point dans les tifinagh à la fin de certains mots (sur une tentative actuelle de noter les voyelles en tifinagh voir infra, p. 2575). Le signe ≡ semble avoir eu une fonction grammaticale ou simplement séparative dans l’écriture orientale et le point être l’équivalent de l’aliph.
6L’écriture libyque ignore également le redoublement des consonnes et n’indique pas la tension : aussi l’alphabet est-il réduit : on reconnaît en effet dans la forme dite orientale 24 signes, dont un est douteux, ce qui s’accorde avec l’indication donnée par un écrivain africain du ve siècle, Fulgence, selon qui l’alphabet libyque comptait 23 signes.
7Les inscriptions libyques, les inscriptions libyco-berbères ou tifinagh anciens et les tifinagh récents occupent un territoire immense qui semble correspondre à l’ancien domaine des langues berbères. En gros, on trouve des signes de cette écriture employés depuis la Méditerranée jusqu’au sud du Niger et les îles Canaries jusqu’en Libye. C’est vers l’est que la limite de l’usage de cette écriture est la moins connue.
8En Libye elle a été en usage aussi bien au Fezzan qu’en Tripolitaine. Récemment, lors de ses fouilles de Bu Ngem, R. Rebuffat a noté que les inscriptions et graffiti libyques y étaient influencés par la graphie latine au point de constituer un alphabet spécial. Au-delà, les témoignages sont moins sûrs ; toutefois il fut publié récemment une inscription rupestre trouvée à Khor Kilobersa en Nubie. Les signes de cette inscription sont suffisamment proches des tifinagh anciens pour que Alvarez Delgado ait proposé une transcription et une traduction. Un autre auteur, Zawodowsky pensa même reconnaître une contamination de l’écriture méroïtique par le libyque, mais cette hypothèse est rejetée par la plupart des spécialistes.
9Dans ce vaste territoire, la densité des inscriptions est très variable, elles sont, de plus, d’âges différents. La zone de plus forte concentration d’inscriptions libyques, leur pays d’élection, est, sans conteste, la Tunisie du nord-est et la partie de l’Algérie qui lui est voisine ; sur les 1 124 inscriptions publiées par J.-B. Chabot dans son Recueil, 1 073 proviennent de cette région. Or il s’agit du pays des Numides Massyles, berceau du royaume numide où la langue et l’écriture libyques demeurèrent longtemps vivantes. Dans ce secteur, bon nombre des inscriptions sont d’ailleurs d’époque romaine. Le reste de l’Algérie ainsi que le Maroc septentrional connaissent une faible densité d’inscriptions. Malgré les découvertes effectuées depuis le Recueil des Inscriptions Libyques de J.-B. Chabot paru en 1941, le nombre de ces inscriptions s’élève à 27 dans le Maroc (L. Galand) et on peut estimer à une cinquantaine celles d’Algérie à l’ouest de Sétif dont une dizaine pour la seule Kabylie.
Inscription bilingue punique-libyque de Dougga.

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Carte de répartition des inscriptions libyques en Algérie et Tunisie.

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Les points de grosseur différente correspondent respectivement à une, cinq et dix inscriptions

Les choses sont moins claires quand on aborde les régions sahariennes. L’exploration est incomplète et surtout très inégalement conduite, de plus les conditions géologiques et topographiques sont des facteurs très influents de répartition. Il est fort compréhensible que les régions plates, comme les hamada ou les bassins occupés par les dunes comme le Grand Erg occidental, le Grand Erg oriental, l’Edeyen de Mourzouk, ne renferment que fort peu d’inscriptions alors que les régions rocheuses sont infiniment plus riches. Dans l’état de nos connaissances, qui ne reflètent pas nécessairement la réalité, les régions sahariennes les plus riches sont le Hoggar et le Tassili n’Ajjer, ainsi que son prolongement libyen que sont la Tadrat et l’Acacus, l’Aïr, l’Adrar des Iforas et la bordure méridionale de la chaîne atlasique, particulièrement le sud du Haut Atlas, l’Anti-Atlas et le Rio de Oro.
11Les inscriptions dont les signes sont proches de l’alphabet saharien, ne sont pas exceptionnelles dans les îles Canaries.
12Traditionnellement on distingue plusieurs « alphabets » dans l’écriture libyque. Certains sont contemporains comme les alphabets dits oriental et occidental. Les écritures libyco-berbères du Nord Sahara et les tifinagh anciens ont précédé les tifinagh utilisés aujourd’hui par les Touaregs qui sont incapables de lire les tifinagh anciens. Les tifinagh récents peuvent connaître des variations régionales qui sont aujourd’hui bien connues.
13L’alphabet libyque oriental couvre le nord de la Tripolitaine, la Tunisie et l’Algérie orientale ; la limite occidentale de son usage se place à l’est de Sétif bien que deux inscriptions de type occidental soient connues à Guelma et que les inscriptions de type oriental puissent exceptionnellement se trouver en Kabylie : tel est le cas de la stèle ornée figurant un personnage debout trouvée à Kerfala qui porte sur la face principale, de part et d’autre du personnage, une inscription avec signes orientaux. Or cette inscription mentionne des fonctions et des titres semblables à ceux en usage à Dougga au iie siècle avant J.-C. Ce détail permet de présenter l’hypothèse qu’il s’agit peut-être d’une inscription de caractère officiel du royaume numide massyle et quelque peu « étrangère » dans un pays anciennement masaesyle.
14Cette hypothèse paraît confortée par l’existence sur le verso de la stèle de graffiti utilisant l’écriture occidentale qui est celle des autres inscriptions de la région. Dans l’état de nos connaissances, la stèle de Kerfala est le témoin le plus occidental de l’alphabet numidique ou oriental qui nous paraît plus précisément massyle. Inversement on connaît au Kef, publiée par M. Ghaki, une inscription libyque en caractères occidentaux, et cet auteur rappelle l’existence dans le Sud Tunisien d’inscriptions (RIL 63 à 71) qui présentent des signes connus dans le seul alphabet occidental.
15L’alphabet libyque occidental couvre les pays peuplés par les Masaesyles et les Maures. Il compte un plus grand nombre de signes que l’oriental, mais présente aussi plus de variations ; certains signes reconnus en Algérie sont inconnus au Maroc et vice-versa. Cette écriture occupe donc une vaste région car toutes les inscriptions libyco-berbères du nord du Sahara et de l’Atlas dépendent peu ou prou d’elle. Une bonne partie des inscriptions canariennes possèdent les mêmes signes dont malheureusement la valeur n’est pas connue avec certitude ; il est d’ailleurs peu vraisemblable que l’écriture occidentale et celle des inscriptions libyco-berbères puissent être transcrites partout de la même façon. Il n’empêche que la succession de trois signes +] V (lus de droite à gauche) se retrouve dans tout le domaine occidental, de Guelma à l’Atlantique et témoigne d’une certaine unité. La répartition des inscriptions au chevron invite à qualifier de masaesyle cet alphabet occidental, ou comme le suggère L. Galand, de le nommer maure ; ce qui laisserait entendre que les inscriptions d’Algérie centrale ne seraient pas antérieures à 106 av. J.-C., date de l’acquisition de cette région par Bocchus roi des Maures.
16Les tifinagh récents, actuels ou sub-actuels, dont l’usage remonte au moins au ve siècle de notre ère (tombeau de Tin Hinan au Hoggar) sont connus dans l’ensemble du monde touareg et le débordent au nord-ouest : Touat, Gourara, où ils furent même en usage chez les Berbères judaïsés.
17Dans certaines régions comme l’Anti-Atlas, particulièrement dans les Tinzouline les signes de l’écriture occidentale sont parfois mêlés à de petites figurations animales (chevaux, chiens, oryx) qui paraissent jouer le rôle de pictogrammes ; ils sont si étroitement associés qu’il semble difficile de croire qu’ils n’ont pas le même contenu sémantique. La présence de figurations de dromadaires dans les mêmes scènes interdit de donner à ces inscriptions une très grande antiquité. Ces pictogrammes, s’ils jouent vraiment ce rôle, ne peuvent servir à étayer l’hypothèse d’une naissance sur place de l’alphabet libyque par transformations d’anciennes marques de propriété et autres graphismes traditionnels, tels que ceux qui figurent encore dans les tatouages.
18On doit cependant noter que les tifinagh connaissent deux signes : X1 qui a valeur j et Ж qui a valeur Z et qui semblent être dérivés de signes figuratifs de caractère plus ou moins anthropomorphe. Plus fréquemment que le libyque, les tifinagh sont écrits en lignes horizontales mais le sens de la lecture est des plus variables : tantôt il est de droite à gauche, tantôt de gauche à droite, de haut en bas et en boustrophédon. K. Prasse a même remarqué que l’usage d’un support mobile comme une feuille de papier favorisait cette tendance. On connaît même des inscriptions qui décrivent des spirales ou des courbes presque fermées.
19Seuls les tifinagh actuels et l’alphabet libyque oriental peuvent être transcrits, les premiers parce que l’écriture et la langue sont encore en usage chez les Touareg, le second parce que nous disposons de quelques inscriptions bilingues libyco-puniques, en particulier celle de Dougga*, pour lesquelles nous savons que le texte libyque répond assez exactement au texte punique. Celui-ci a même transcrit, sans les traduire, certains titres ou fonctions municipales libyques, tels que GLD GMIL ou GZB qui n’avaient pas, semble-t-il, leur équivalent dans les villes puniques. Malheureusement si la valeur des signes est connue pour l’essentiel et ne donne lieu qu’à des vérifications ou des points de détail, la langue des inscriptions libyques échappe encore à notre connaissance. Le peu que l’on sait du libyque, quelques éléments de vocabulaire et quelques présomptions de fonctions grammaticales révèlent bien que cette langue appartient au berbère ; un berbère ancien, certes, et transcrit imparfaitement par un alphabet strictement consonantique mais qui ne peut être fondamentalement différent des nombreux dialectes berbères actuels.
L’alphabet libyque « oriental » d’après J.-B. Chabot

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Cependant, depuis la rédaction du célèbre Recueil des Inscriptions libyques de J.-B. Chabot, les spécialistes, bien trop rares, se refusent généralement à proposer la moindre traduction des textes, à vrai dire très courts, de la plupart des inscriptions libyques ; certains allant même jusqu’à se poser la question de l’appartenance du libyque au berbère. Cette prudence contraste avec les tentatives aventureuses de G. Marcy qui s’appuyant sur le berbère, particulièrement la tamazirt marocaine et la tamacheq touarègue, proposait la traduction de la plupart des inscriptions libyques connues à son époque. Cette tentative a été poursuivie par M. Alvarez Delgado qui l’étend à certaines inscriptions canariennes.
21Entre la prudence peut-être exagérée des premiers et l’enthousiasme certainement dangereux des seconds il doit exister une situation moyenne qui accepte à la fois le contrôle le plus sérieux et le minimum d’hypothèses indispensables au progrès de toute connaissance. Aussi applaudissons-nous S. Chaker d’avoir tenté d’expliquer par une étymologie berbère très convaincante un grand nombre de noms propres libyques.
22L’alphabet occidental comprend des signes supplémentaires que l’oriental ignore et dont L. Galand, dans les Inscriptions antiques du Maroc, a montré l’originalité. L’usage de ces deux alphabets antiques fut certainement contemporain et ce serait une erreur de croire, suivant une logique historicisante, que l’alphabet oriental est le plus ancien parce que l’écriture est venue de l’Orient. Personnellement, reprenant une hypothèse de J. Février, je serais plutôt porté à penser que la forme orientale de l’écriture libyque (alphabet numidique ou massyle) est une forme remaniée et simplifiée de l’écriture originelle au contact du punique, alors qu’en dehors du pays massyle les formes anciennes ont continué à être employées et à poursuivre leur évolution jusqu’aux tifinagh actuels qui présentent eux-mêmes des variations. Mon seul désaccord avec l’hypothèse présentée par J. Février réside dans l’âge de ce remaniement qu’il plaçait au iiie siècle ou au début du iie siècle avant J.-C, alors qu’il me paraît largement antérieur.
23Longtemps a prévalu, parmi d’autres, l’hypothèse que l’alphabet libyque dérivait directement de l’alphabet punique, comme le laisse entendre le nom de tifinagh donné à la forme actuelle de cette écriture. Mais on sait combien peut être fallacieuse l’origine tirée de l’étymologie : le volatile américain que nous appelons dinde ou dindon et que les Anglo-saxons nomment turkey cok ne vient ni des Indes (orientales) ni de Turquie ; les chiffres « arabes » sont persans et les figues de Barbarie, américaines. Il n’empêche que l’alphabet libyque présente plusieurs signes communs avec l’écriture punique où ils ont la même valeur (G.T. Š.). S. Gsell avait cependant élevé des objections de taille contre cette opinion. La graphie des caractères puniques, tels qu’ils sont transmis par de nombreuses stèles de Carthage, Utique, Hadrumète et Cirta est radicalement différente de celles de tous les alphabets libyques. Non seulement presque tous les signes puniques ont une forme cursive, alors que les signes libyques sont anguleux, géométriques, mais encore le sens même de l’écriture diffère. Toutes les inscriptions puniques, comme tout texte sémitique, sont écrites en lignes horizontales et de droite à gauche alors que les inscriptions libyques sont en général écrites de bas en haut en colonnes verticales, particulièrement celles que nous avons tout lieu de croire les plus anciennes. Ce n’est qu’à Dougga pendant quelques décennies, sous les règnes de Massinissa et de Micipsa, que furent écrites en lignes horizontales des inscriptions libyques de caractère officiel. Ces inscriptions sont au nombre de 11, ce qui représente moins d’un centième des textes recueillis par J.-B. Chabot. Cette proportion serait encore plus faible si nous tenions compte des inscriptions découvertes depuis. Le cas des textes inscrits de Dougga est donc très original, il dénote une influence punique très puissante, mais celle-ci n’apparaît que comme un facteur de modernisation et non point comme un élément originel déterminant.
Stèle de Kerfala, Kabylie.

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Stèle de Kerfala, Kabylie.

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Stèle d’Aïn Kermat Smin ; R.I.L. 287.

S’il faut donc rechercher parmi les écritures proches orientales, comme cela paraît vraisemblable, la ou les formes dont dérive l’alphabet libyque, ce n’est pas le Phénicien d’Afrique tel qu’il est connu à Carthage mais vers une écriture plus archaïque qu’il faut se tourner, ce qui expliquerait les ressemblances signalées avec les écritures sud-arabiques (hymiarite, sabéen) mais aussi avec l’alphabet turdétan du Sud de l’Espagne.
25La pénétration de l’écriture en Afrique ne se fit pas nécessairement par mer, il est même plus vraisemblable qu’elle se fit à travers le continent et que la forme numidique massyle (le plus récent des alphabets libyques antiques) soit née d’une transformation des formes archaïques au contact du monde punique.
26En ce qui concerne cet alphabet lui-même, deux hypothèses anciennes doivent être définitivement rejetées. La première est celle de Meltzer suivant qui l’alphabet oriental aurait été inventé de toutes pièces par Massinissa, puisque nous savons aujourd’hui que des inscriptions libyques sont antérieures à ce roi et, de plus, que l’administration royale numide employa exclusivement le punique dans ses inscriptions officielles comme dans la légende de ses monnaies. L’autre hypothèse, celle de Lidzbarski qui veut rattacher le libyque au néo-punique est encore plus invraisemblable, car elle repose sur une chronologie totalement dépassée de l’écriture néo-punique.
27Si l’origine de l’alphabet libyque pose des problèmes insolubles, il est encore plus difficile de dater son invention ou son introduction.
28Contrairement à ce que pensaient plusieurs auteurs (D. Blanchet, S. Gsell), les inscriptions ou les signes libyques qui accompagnent plusieurs gravures rupestres, comme au Kef Mektouba, au Chaba Naǐma et au Khanguet el Hadjar, ne peuvent être contemporaines de ces dernières. On sait aujourd’hui que ces gravures sont pour la plupart d’âge néolithique et donc très antérieures à toute écriture. L’examen attentif révéla chaque fois la superposition des inscriptions aux gravures.
Gravure de l’Azib n’ikkis, Haut Atlas marocain.

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Gravure de l’Azib n’ikkis, Haut Atlas marocain

Ce n’est pas le cas toutefois de l’inscription des Azib n’Ikkis (Haut Atlas, Maroc). Cette inscription occupe un cartouche vertical délimité dans un anthropomorphe dont il fait incontestablement partie. Il est indubitable que cette inscription, qui compte quinze ou seize signes n’appartenant pas à l’alphabet saharien, est contemporaine de la gravure. Or la technique du trait, la patine, le style et les détails tels que le figuré du sexe ou les franges latérales, qui accompagnent le personnage, sont identiques aux autres gravures qui sont habituellement attribuées au Bronze ancien (civilisation d’El Argar en Espagne). Même en rajeunissant à l’extrême le contexte archéologique, cette inscription nous paraît bien antérieure au vii-ve siècle av. J.-C.
30Au Maroc nous retiendrons encore l’inscription de Sidi Slimane du Rharb qui fait référence au tumulus qu’elle jouxtait et dont elle est, par conséquent, contemporaine, or le mobilier funéraire de ce monument appartient au iv-iiie siècle av. J.-C.
31En Algérie orientale une bazina* de Tiddis renfermait des poteries dont l’une porte trois lettres libyques peintes sur la panse. Les ossements contenus dans les poteries de cette tombe ont accusé un âge de 2200 ±100 ans soit 250 ±100 av. J.-C. (date C14 non corrigée). Cette inscription a donc toutes chances d’être plus ancienne que la dédicace bilingue du temple de Massinissa à Dougga datée de la dixième année du règne de Micipsa, c’est-à-dire 138 av. J.-C. Cette inscription fut longtemps le seul texte libyque daté avec certitude, aussi beaucoup avaient tendance à considérer, inconsciemment, comme la plus ancienne. Une étude de J.-G. Février sur les inscriptions de Dougga faisant mention des fonctions municipales permet de reconstituer la généalogie d’un haut personnage, Safot qui fut deux fois prince (annuel ?) de la cité. Compte tenu de cette généalogie il est possible de faire remonter deux autres inscriptions (R.I.L. 10 et 11) à une génération qui précède les dédicants de 139 ; ces inscriptions dateraient de la décennie 170-180 av. J.-C.
32Au Sahara les documents datables sont plus rares, mais une première enquête a montré que les tifinagh jouissaient d’une plus haute antiquité que ne le pensaient les historiens qui avaient cru que les Berbères n’avaient conquis le Sahara qu’au IIIe siècle de notre ère à la suite de la pression exercée par Rome sur les terres de parcours du nord. Or au Fezzan, des tifinagh sont gravés sur les amphores trouvées à Germa et qui datent du Ier siècle de notre ère. Parmi ces graffiti figure le signe Җ qui n’existe que dans l’alphabet saharien. La nécropole fezzanaise apporte donc la preuve qu’au ier siècle de notre ère les tifinagh étaient en usage au cœur du Sahara.
Vase d’une bazina de Tiddis portant une inscription libyque.

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Vase d’une bazina de Tiddis portant une inscription libyque.

Dans le massif du Hoggar il importe de citer la stèle de l’Assekrem dont l’inscription et les gravures paraissent très anciennes et surtout les blocs gravés du monument funéraire de Tin Hinan à Abalessa. Ces blocs qui portaient des tifinagh ont été débités pour entrer dans la construction du monument dont ils constituent les assises inférieures. Le débitage a mutilé ou interrompu certains textes gravés. Ces tifinagh, qui appartiennent cependant à l’alphabet récent, sont donc au mieux contemporains du monument et vraisemblablement plus anciens : or le mobilier funéraire et la date isotopique calculée sur des bois de lit ou brancard sur lequel reposait Tin Hinan font remonter au ve siècle de notre ère la construction de ce monument.
34Tels sont les jalons chronologiques qui permettent d’affirmer la très grande ancienneté de l’écriture libyque dans les pays du Maghreb où elle est très largement antérieure au règne de Massinissa, c’est-à-dire à l’entrée des Numides et des Maures dans l’Histoire. Quant au Sahara, l’usage des tifinagh remonte au moins au début de notre ère et vraisemblablement bien plus haut.



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